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Regain d’intérêt pour les violences policières

posté le 11/03/20 Mots-clés  répression / contrôle social  solidarité  antiracisme 

Alors que ce week-end (14-15/03) s’organise à Bruxelles les 48h contre les violences policières, un article qui fait du bien.

Publié par Aïda Yancy dans Bamko-Cran asbl (oct 2019)

Suite aux violentes arrestations de manifestants pour la justice climatique au mois d’octobre 2019, on a vu la question des violences policières faire son grand retour (ou sa grande apparition, selon le point de vue) sur la scène médiatique. Si le fait que la question des violences policières soit plus ou moins largement médiatisée est une petite victoire, je n’arrive pas à me réjouir sans retenue de ce regain d’intérêt pour cette question cruciale pour les communautés afro-descendantes en Belgique, et voici pourquoi.

Le samedi 12 octobre 2019, des militants d’Extinction Rebellion ont occupé la place royale de Bruxelles et bloqué la circulation, notamment des trams, dans le but de faire déclarer l’urgence climatique. Extinction Rebellion est un groupe de désobéissance civile né en Angleterre à la fin de l’année 2018 et dont il existe des antennes un peu partout à travers dans le monde. Leur but est de bousculer l’ordre public de manière non-violente afin de faire réagir les États sur les questions climatiques. Leurs trois revendications vis-à-vis des gouvernements sont : 1. qu’ils disent la vérité sur la situation écologique en déclarant l’état d’urgence climatique ; 2. qu’ils agissent maintenant afin d’interrompre la disparition des espèces vivantes et de réduire la production de gaz à effet de serre pour atteindre le niveau 0 en 2025 ; 3. qu’ils dépassent les clivages politiques en créant des assemblées citoyennes qui les guideraient sur les questions de climat et de justice écologique.

Après quelques heures à bloquer la place, les militants majoritairement blancs se sont vu intimer l’ordre d’évacuer les lieux, et face à leur refus, la police a violemment procédé à cette évacuation à coups de canons à eau, gaz au poivre et arrestations musclées sous l’œil attentif des caméras et appareils photos.Les vidéos et photos de ces militants malmenés ont provoqué une vague d’indignation accompagnée de justes dénonciations des violences policières sur les réseaux sociaux.

Privilège et suprématie blanche

Pour expliquer mon malaise face à cet engouement soudain pour les violences policières, penchons-nous sur un exemple. Dans un reportage Vews (RTBF) qui suit les manifestants pendant la journée, une jeune femme blanche déclare en anglais : « nous sommes non-violents et tant que nous resterons non-violents, je sais que la police restera non-violente ». Cette simple phrase, prononcée en toute confiance et en toute innocence, alors que la personne en question était enchaînée à des rails de tram, illustre parfaitement le fait que dans une même société, dans un même pays, nous ne vivons pas tous les mêmes réalités.

D’abord, cette phrase sous-entend que la police est naturellement juste et qu’elle ne réagit que légitimement, une fois provoquée et mise en danger. Cela signifierait que les victimes de violences policières mériteraient d’une manière ou d’une autre ce qui leur arrive car elles seraient forcément coupables de quelque chose.

Ensuite, elle confirme l’idée que dans l’imaginaire collectif, ceux qui sont susceptibles d’être arrêtés ne ressemblent pas à cette jeune femme. Dans les représentations culturelles (cinéma, télévision, romans, etc.) les présumés coupables sont le plus souvent perçus comme noirs ou arabes, forcément dealers de drogue, naturellement violents et devant à tout prix être contrôlés. Rappelons que l’excuse la plus souvent utilisée pour justifier les actes de violence de la police est justement cette présomption de violence et pour certains d’entre nous cette présomption vient avec notre faciès, avec notre nom, avec notre accent grâce à ces images aux relents coloniaux et racistes infiltrées partout dans notre société.

Faire une action où le but est de se faire arrêter est clairement un privilège, mais pouvoir faire une action de ce type en n’imaginant même pas risquer de se faire arrêter (violemment ou pas) c’est du privilège, enrobé de suprématie. Parce qu’il s’agit bien de cela, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qui pousse certaines personnes à se déclarer être hors de danger face à une institution fréquemment dénoncée pour ses exactions et ses réponses démesurées si ce n’est de n’avoir en leur possession un passe-droit qui les prémunit de ces exactions et réponses démesurées ? « Quelque chose » qui les met au-dessus de ces risques, « quelque chose » qui les rend supérieurs. Je ne blâme absolument pas cette militante, j’ai entendu son discours dans la bouche de nombreux autres militants privilégiés sous différentes formes et force est de constater que ce discours n’est pas qu’un fantasme. Il se base sur des preuves fournies à répétition par nos expériences en Belgique. Ces mêmes expériences qui me permettent de dire sans exagération que si cette action de désobéissance civile avait été menée par un groupe uniquement composé de personnes perçues comme noires et maghrébines, elle aurait été dispersée beaucoup plus rapidement et dépeinte dans la presse comme beaucoup plus menaçante que cela n’a été le cas pour ces militants-ci.

« Au moins on en parle, tu devrais être contente. »

Mes critiques ne s’adressent pas spécifiquement à Extinction Rebellion mais à tous les mouvements militants qui réclament plus de justice sociale. Dans ces milieux, j’ai pu lire et entendre à plusieurs reprises qu’il était « urgent de réagir face à l’augmentation significative et inquiétante des violences policières ces derniers mois ». Les deux dates généralement citées sont le 12 octobre dont j’ai parlé plus haut et le 26 mai 2019, jour où des militants des Gilets Jaunes se sont fait arrêtés « préventivement » par la police avant même d’avoir pu manifester. Si j’approuve le fait qu’il est grand temps de réagir, le fait de dire que les violences policières augmentent est indicateur d’un angle mort. La réalité serait plutôt que ces derniers mois, certaines personnes ont été impactées par les violences policières alors qu’elles n’y avaient jamais été confrontées et qu’elles s’étaient toujours senties en sécurité vis-à-vis de la police. Des collectifs d’afro-descendants au sens large dénoncent depuis longtemps les violences policières et le profilage ethnique. Plus qu’une augmentation, nous devrions plutôt parler d’escalade dans la hiérarchie sociale. Les violences policières touchent maintenant aussi des personnes qui sont généralement perçues comme respectables par défaut, principalement des hommes blancs cis-genre[1]. Avant les manifestations de gilets jaunes et les arrestations administratives qui les ont accompagnées, des groupes moins bien perçus sur l’échelle de cette hiérarchie sociale en avaient fait l’expérience à Bruxelles. Je pense notamment aux marches nocturnes féministes Reclaim the Night dont le but est de permettre aux femmes et aux personnes trans[2] de se ré-approprier l’espace public, et qui ont été violemment réprimées en 2017 et en 2018, et aux militant.e.s de Reclaim the Pride qui se sont fait arrêter violemment deux années de suite lors du cortège de la Belgian Pride (2018 et 2019) alors qu’ils et elles s’opposaient notamment à l’instrumentalisation des revendications LGBTQI[3] à des fins racistes. Notons que les violences policières en manifestation ne sont que la partie apparente de l’iceberg. Sous l’eau, on peut trouver les contrôles « au faciès » quotidiens que subissent les jeunes racisés, le harcèlement des migrants au parc Maximilien, les refus de prendre les plaintes des femmes qui viennent rapporter des agressions sexistes et sexuelles, etc. Alors, lorsque j’exprime ma frustration et que l’on me répond « tu devrais être contente, au moins on en parle » j’ai du mal à me contenir. Oui, je suis « contente » que l’on en parle, mais cela a un prix. Ce prix c’est la confirmation de la prévalence des stéréotypes coloniaux qui minimisent l’humanité des personnes noires en Belgique. Ces stéréotypes rendent l’identification avec les noirs difficile et légitiment leur mauvais traitement. Dans une société qui nous répète à tout bout de champ qu’elle ne voit pas les couleurs et que nous sommes tous égaux, l’humanité de certains n’est toujours pas acquise d’office et c’est insultant.

Unis contre les violences policières ?

C’est indéniable, le fait que le sujet des violences policières soit arrivé sur la table de grands groupes de militants médiatisés peut faciliter les contacts entre différents mouvements sociaux et représente une opportunité non-négligeable pour les collectifs de personnes racisées d’investir des plateformes plus visibilisées. Par exemple, à la suite de l’action d’Extinction Rebellion, le groupe de jeune militants climatiques « Students for Climate » a organisé un rassemblement intitulé United against Police Violence place de l’Albertine. Cet évènement qui mettait en évidence le fait que les violences policières ne sont pas un phénomène nouveau et que « plusieurs minorités sont victimes de harcèlement policier quotidien » a été couvert par un certain nombre de médias nationaux. Parmi les prises de paroles organisées, notons celles de la Coordination des sans-papiers de Belgique et du collectif Justice pour Mehdi.

Ces liens entre groupes militants sont un premier pas pour former des alliances, pour créer cette fameuse « convergence des luttes » qui nous permettrait en rassemblant nos forces vers un même objectif d’obtenir un rapport de force politique. Si j’ai personnellement envie de croire en la sacro-sainte convergence qui arrangerait tout le monde et ferait avancer le combat contre les injustices, il faut reconnaître qu’elle reste très difficile à atteindre. Les luttes des personnes les plus minorisées ont tendance à être incorporées aux revendications de mouvements majoritaires comme par charité, en y étant considérées comme des sujets annexes, des éléments exotiques et triviaux plutôt que comme faisant partie intégrante d’un combat global. Le tout s’accompagnant généralement d’une exigence plus ou moins explicite vis-à-vis des groupes minoritaires de faire preuve de gratitude et d’une pédagogie à toute épreuve, trop souvent offerte gratuitement à des individus peu enthousiastes.

Quel type de cohésion ?

Une convergence des luttes efficace ne se limite pas à faire grossir les rangs des mouvements généraux tout en leur octroyant le statut de groupes « tolérants », capables de coopération et de compromis. Elle prend en compte les revendications spécifiques de ses minorités sans les exploiter et pousse le combat sur le long terme, même après que les revendications de la majorité aient été obtenues. Dans le cas des violences policières, l’enjeu serait que l’on ne se limite pas à enrayer les violences qui touchent les manifestants mais tous les types de violence qui émanent de cette institution. Tant qu’il n’y a pas de justice pour les personnes les plus délaissées, personne n’est à l’abri des injustices.

Références

- Extinction Rebellion réprimé par la police de Bruxelles, Vews RTBF, 15 octobre 2019.
- ACTA, Cerveaux non disponibles, Comité Adama, Comité de Libération et d’Autonomie Queer, Lettre Ouverte aux militants et militantes d’Extinction Rebellion, Grozeille Magazine, 11 Octobre 2019.
- WEKKER Gloria, White Innocence. Paradoxes of colonialism and race., Durham et Londres, Duke University Press, 2016.
- Mouvements. Des idées et des luttes., Se protéger de la police, se protéger sans la police. n°92, hiver 2017.

[1] Une personnes cis-genre ou cis est une personne dont le vécu correspond au genre qui lui a été assigné à la naissance

[2] Une personne trans est une personne dont l’identité/le vécu ne correspond pas au genre qui lui a été assigné à la naissance

[3] LGBTQI : Lesbienne, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexe


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