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Sous le blocus israélo-égyptien de Gaza

posté le 04/10/13 Mots-clés  répression / contrôle social  solidarité 

J’ai plusieurs fois tenté d’écrire sur mon expérience au passage de Rafah, bouclé par l’Égypte et qui a laissé des milliers de personnes enfermées dans Gaza. Chaque fois que je commence à écrire, une profonde lassitude m’envahit. Peu de temps après, je me sens paralysée, et je finis par déchirer ma feuille. Je n’ai jamais trouvé cela aussi difficile d’écrire sur une expérience personnelle. Aucun mot ne peut rendre toute la souffrance et la douleur de notre peuple dans la bande de Gaza, collectivement frappé par ce suffocant et inhumain blocus israélo-égyptien.

Ce dessin que j’ai fait illustre ce que je ressens : déprimée, frustrée et étouffée en attendant une hypothétique ouverture du passage frontalier de Rafah
Au moment où j’écris, je serais censée être quelque part dans le ciel, entre les nuages​, volant vers Istanbul pour commencer mes études supérieures. Mais je n’ai pas pu prendre mon avion, je suis toujours coincée dans la bande de Gaza, assise dans l’obscurité pendant les coupures de courant provoquées par la crise du carburant, essayant d’exprimer mes pensées avec ce qu’il reste de la batterie de mon ordinateur portable.

Autant je suis attachée à la ville de Gaza, où je suis née et où j’ai passé les 22 années de ma vie, chaque jour que je passe bloquée ici me fait abhorrer cet endroit. Chaque jour qui passe me fait souhaiter encore plus désespérément de me libérer de cette grande prison à ciel ouvert. Chaque jour me rend encore moins capable de résister à cette montagne d’injustice, de tourment, de brutalité et d’humiliation .

Les difficultés et le bonheur

Je n’ai jamais connu autant de hauts et de bas extrêmes comme ce mois-ci. Malgré les difficultés tout au long de septembre, j’ai aussi eu quelques moments immensément heureux. Je pense que je me souviendrai d’eux le reste de ma vie. C’est ainsi, la vie à Gaza : des sommets au milieu des creux, tout dans l’instabilité, aucune sécurité d’un jour à l’autre, aucun projet, aucune garantie.

Au début de septembre, j’ai commencé la procédure pour obtenir mon visa pour l’Italie. Je dois y être le 10 octobre pour célébrer la publication de mon premier livre, le fruit de mon travail depuis plus de trois ans d’écriture. Il s’agit de la version italienne de mon blog, Palestine from My Eyes, que j’ai commencé en mai 2010. Mon livre est paru le 22 septembre. Il était impossible pour moi d’assister à sa sortie en Italie...

Mon blog n’a jamais été centré sur moi en tant qu’individu. Il est plutôt question d’une jeune femme palestinienne qui a grandi dans les ruelles d’un camp de réfugiés densément peuplé, avec un père emprisonné. Il s’agit d’une femme dont la prise de conscience de son identité palestinienne a été façonnée dans une ville assiégée sous la brutale occupation israélienne. Mon blog parle de notre peuple, qui est systématiquement déshumanisé et dont la vie est marginalisée et inconnue de la majorité à l’extérieur. Il traite de nos prisonniers politiques palestiniens et de leurs familles, dont les proches absents et disparus sont devenus des statistiques, des chiffres qui ne parviennent pas à faire ressentir toutes les injustices qu’ils rencontrent sous la coupe du service pénitentiaire israélien qui les prive de leurs droits les plus élémentaires.

Ce livre, inspiré par la dure et complexe réalité que nous sommes obligés de supporter, me donne le sentiment que ma responsabilité en tant que voix de notre peuple palestinien, s’est alourdie. Quelques amis italiens sont très investis dans l’organisation d’un programme remplis d’événements : des salons du livre, des conférences et des présentations dans différentes villes. Ma présence en Italie est très importante, parce que je suis sûre que peu de gens y ont rencontré des Palestiniens. J’attends avec impatience que la frontière de Rafah finisse par ouvrir afin que je puisse être là-bas pour tous ces événements, pour contribuer à ce que mon livre soit diffusé le plus largement possible.

Furieuse

J’ai lu sur le site de l’agence Reuters mardi dernier : « Suite à la demande d’Abbas, l’Égypte a accepté de rouvrir la frontière de Rafah mercredi et jeudi pour quatre heures consécutives. »

Ma première réaction a été de rire. Où était Abbas alors que la frontière de Rafah était fermée à des milliers de patients à la recherche de soins médicaux à l’étranger et auxquels ils ne peuvent pas accéder à Gaza, ou les étudiants dont les rêves de poursuivre leurs études à l’extérieur ont été foulés aux pieds ?

Nous ne payons pas seulement le prix de la situation instable en Égypte. Nous sommes même devenus les victimes de notre propre direction palestinienne divisée. Cela me rend furieuse de penser que l’ouverture du passage de Rafah, une bouée de sauvetage pour notre peuple à Gaza, est tombée sous l’influence de la division entre des partis politiques en compétition pour obtenir les faveurs de nos colonisateurs. Les factions dirigeantes semblent maintenant participer à la punition collective dont nous souffrons.

La dépêche m’a rendue furieuse plutôt que de me soulager. L’ouverture de la frontière de Rafah pendant huit heures sur deux jours n’était en rien une solution à la crise provoquée par la fermeture complète de Rafah depuis plus d’une semaine.

Le même jour, dans le taxi qui me ramenait à la maison, j’ai reçu un appel me disant que finalement j’avais obtenu un visa pour l’Italie. J’étais tellement heureuse que j’ai oublié la nature plutôt conservatrice de ma société, et j’ai commencé à crier de bonheur dans la voiture. La procédure pour obtenir le visa avait pris moins de temps que ce que je pensais. J’ai appelé mon ami Amjad Abu Asab , qui vit à Jérusalem et qui avait réceptionné mon passeport pour moi - car Israël empêche les Palestiniens de Gaza de se rendre dans la ville - pour lui demander de trouver quelqu’un venant mercredi à Gaza via le point de contrôle d’Erez au nord.

Cela peut être ma chance de partir mercredi ou jeudi, ais-je pensé. Mon bonheur n’a pas duré. « Le checkpoint d’Erez sera complètement fermé à partir du mercredi jusqu’au dimanche 22 septembre, en raison des fêtes juives », a déclaré Amjad . « Aucun courrier ni aucune personne ne pourront traverser Erez à Gaza au cours de cette période. »

« Quelle absurdité ! » ais-je crié. « Quand le passage frontalier de Rafah s’entre-ouvre enfin, c’est le checkpoint d’Erez qui ferme. Nous devons traiter avec Israël d’un côté et avec l’Égypte de l’autre. Combien de temps allons-nous vivre à la merci des autres ? Il doit y avoir une sortie de secours. »

Une vie d’incertitude

« La définition de l’incertitude dans le dictionnaire, c’est Gaza, » m’a dit un jour mon collègue écrivain de The Electronic Intifada, Ali Abunimah. Voilà qui décrit en bref ma vie en ce moment, et la vie de notre peuple en général : une vie d’incertitude.

Je n’avais pas d’autre choix que d’attendre que les fêtes juives se terminent pour qu’Erez rouvre etque je puisse obtenir mon passeport. Mais mercredi, j’ai tenu à aller à Rafah. J’ai refusé de rester assise à la maison, impuissante, incapable de faire quoi que ce soit si ce n’est d’attendre. Au poste frontière de Rafah, j’ai vu la porte de l’humiliation. Les gens entassés les uns sur les autres, parcouraient la salle d’attente, attendaient avec impatience des nouvelles ravivant leurs espoirs, et couraient après les policiers, demandant de l’aide et en expliquant leur besoin urgent de voyager.

J’ai rencontré beaucoup de mes camarades qui étaient ainsi coincés. Ils sont venus avec leurs bagages, en espérant qu’ils pourraient partir, mais ils ont fini par retourner chez eux.

Je suis resté là jusqu’à deux heures de l’après-midi, en espérant que je pourrais au moins m’inscrire. Je l’ai fait, je pense. J’ai expliqué ma situation à un policier à la porte. Il a pris la copie scannée de mon passeport et est revenu après environ cinq minutes, en disant : « Votre nom est inscrit. » Je ne suis pas sûre de ce qu’il voulait dire, mais il n’a pas dit autre chose. Je lui ai demandé s’il y avait un jour où je pourrais partir. Sa réponse a été : « Dieu seul le sait. » Je voudrais que quelqu’un puisse me dire quand je pourrai partir et si je peux faire une pause dans mes inquiétudes. Mais personne ne sait rien, « Dieu seul le sait ».

Alors que nous faisions une entrevue avec le Real News Network ce matin à la frontière, un élégant vieil homme dans un costume noir apprêté et tenant un sac noir nous a interrompu. « Je voudrais aussi faire une interview, » dit-il. « Je parle anglais, et si vous voulez, je peux aussi parler hébreu . » Le vieil homme avait l’air si sérieux que nous attendions des paroles poignantes. « Cette frontière, toute cette région , était la mienne. Ils sont venus et l’ont volée. » Comme il poursuivait, l’équipe de Real News et moi-même avons réalisé que l’interview tournait à la plaisanterie. « J’ai des bombes dans ce sac et je peux faire exploser toute la place dans une seconde ! » dit l’homme . Nous avons commencé à rire et lui avons dit en plaisantant : « Faites tout exploser, alors. Nous restons avec vous. » Oui, cette porte de l’humiliation à Rafah doit être volatilisée pour que nous, peuple palestinien de Gaza, puissions avoir un minimum de souffle de liberté .

Une plaisanterie

La frontière de Rafah s’est refermée après que 800 personnes aient pu se rendre en Égypte mercredi et jeudi. Je suis sûre que cette fermeture serait plus facile à comprendre si c’était une catastrophe naturelle. Mais sachant que ce sont d’autres êtres humains qui nous imposent cela, à moi et à 1,7 million d’ autres civils qui vivent dans la bande de Gaza, tandis que le reste du monde regarde, c’est trop difficile à croire. Le plus douloureux et choquant est de se rendre compte que notre pays arabe voisin, l’Égypte, se joint à nos geôliers sionistes et collabore avec eux pour renforcer le siège.

Cette expérience me donne à croire que la dignité humaine est devenue une plaisanterie. Le droit international n’est rien, que du vide, des mots totalement impuissants imprimés dans des livres. On nous refuse notre droit à la liberté de mouvement, notre droit de poursuivre nos études, notre droit à des soins médicaux, et notre droit d’être libre et de vivre dans la paix et la sécurité. Mais personne disposant du pouvoir nécessaire ne veut faire quoi que ce soit.

J’ai passé tout septembre à me soucier de la frontière et de mes rêves qui pourraient bien disparaître si Rafah reste fermé. Cela prend beaucoup de mon énergie et me fait souffrir d’un manque de concentration et de sommeil, et il est difficile pour moi de m’asseoir et de m’exprimer par écrit, ou par un dessin. La tragédie de notre peuple causée par la fermeture permanente de la frontière de Rafah se poursuit, et la crise s’aggrave. Vivre dans la bande de Gaza, dans ces circonstances, c’est comme être condamnée à une mort lente. Agissez et faites en sorte que nous soyons libérés ! Il est temps que cessent ces injustices auxquelles nous sommes confrontés tous les jours.

* Shahd Abusalama est artiste, blogueuse et étudiante en littérature anglaise dans la bande de Gaza.

« Mes dessins ainsi que mes articles sont ma façon de transmettre un message, et le plus important pour moi est d’élever la conscience de la communauté internationale au sujet de la cause palestinienne. Je suis très intéressée à saisir les émotions des gens, les images de ma patrie, la force de mon peuple, de sa détermination, de sa lutte et de sa souffrance. »

http://www.info-palestine.net/spip.php?article14025


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