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Thèse 2 : La base de la force sociale réside dans l’organisation

posté le 07/05/20 par IDCGent Mots-clés  réflexion / analyse 

Au sein du mouvement radical de gauche, parmi les universitaires de gauche et parmi les jeunes militants politiques en Allemagne (aussi en Europe du Nord-Ouest et dans de nombreux autres pays occidentaux) (*1), il existe une hostilité généralisée à l’égard de l’organisation - ou plutôt, l’organisation n’est pas considérée comme une nécessité. Nous voyons plutôt de nombreuses batailles menées séparément et de petits groupes séparés.

À notre avis, l’une des principales raisons de cette attitude hostile à l’égard de l’organisation chez les radicaux de gauche réside dans le fait que les connaissances sur la démocratie radicale et les formes d’organisation anti-autoritaires ont été largement perdues. Lorsqu’on parle de la construction d’organisations révolutionnaires, la plupart des gens associent cela à des structures cadres dogmatiques, à un leadership et à des concepts centralisateurs dans lesquels se reproduisent l’autorité, la hiérarchie, l’instrumentalisation, l’aliénation des membres et la bureaucratie (ce qui est rejeté à juste titre par les anti-autoritaires). Parmi les radicaux de gauche qui ont une attitude positive envers l’organisation, les débats et les tentatives d’organisation se rabattent presque exclusivement sur ces formes d’organisation autoritaires et centralisatrices.

Une autre cause est l’influence croissante des théories issues de la chute des mouvements socialistes, qui trouvent leur origine dans le rejet des théories marxistes orthodoxes ou qui naissent en réaction aux traditions marxistes (postmodernisme, poststructuralisme, post-marxisme, postanarchisme). (*2) Ces courants théoriques rejettent théoriquement la possibilité et la nécessité de la mobilisation des masses et de la lutte organisée et font plutôt appel à la micropolitique ou à la spontanéité des masses. Ces théories se sont imposées parmi les radicaux de gauche comme un discours général, ce qui rend la construction d’organisations révolutionnaires particulièrement difficile.

Pour nous, la nécessité de construire une organisation révolutionnaire découle à la fois de l’analyse de l’impact des relations capitalistes et de l’analyse des soulèvements révolutionnaires historiques et contemporains, de la raison de leur émergence et de leur éventuelle chute.

Une analyse des relations capitalistes fait ressortir le besoin d’organisation. Le mode de production post-fordiste (*3) a entraîné des changements dans la société et a imposé ces nouvelles conditions dont sont issues les structures néolibérales contemporaines. La logique du capital - une approche purement économique - a pris le dessus dans tous les domaines de la société. En conséquence, la concurrence, la performance et la pression du travail, l’individualisation et la vulnérabilité se sont fortement établies comme la cause de la division et de la fragmentation de la société. Dans de telles circonstances, non seulement les problèmes communs sont perçus comme des problèmes individuels et abordés individuellement, mais chacun, au sein du système capitaliste, après l’effondrement des structures sociales résultant de la mise en œuvre du néolibéralisme (*4), est en fait laissé à lui-même - que ce soit au travail, au service social, etc. Il n’est pas étonnant que dans ces conditions précaires, la concurrence prenne la place de la solidarité et l’individualisation la place de la communalité. Elle renforce également les divisions racistes et nationalistes. Cela rend la recherche commune de processus organisationnels spontanés et émancipatoires beaucoup plus difficile.

L’hégémonie (*5) des idées capitalistes étant une hégémonie structurelle, il n’est pas possible de lutter contre celle-ci individuellement ou en petits groupes fragmentés. La fragilité de l’existence au sein de la société a également modifié les conditions matérielles de la lutte politique et sociale des radicaux de gauche. Désorganisés et solitaires, nous risquons de plus en plus d’intérioriser et de reproduire les modes de pensée dominants ou d’être absorbés par la tentative de résoudre nos problèmes individuels. Pour défendre, développer et diffuser des modes de pensée émancipatoires dans ce contexte, nous avons besoin d’une lutte organisée et collective. L’organisation fournit la base de l’action politique lorsqu’elle s’oriente vers l’analyse des conditions sociales et en tire des stratégies, des tactiques et des objectifs. Les nombreuses discussions stratégiques et les critiques souvent formulées à l’encontre de notre politique ne changeront pas tant qu’il n’y aura pas un cadre organisé plus solide dans lequel le changement pourra s’opérer collectivement.

L’analyse des soulèvements révolutionnaires historiques et contemporains montre le besoin d’organisation

Outre l’analyse des rapports capitalistes, l’analyse des origines et du déroulement des soulèvements révolutionnaires montre également la nécessité de structures révolutionnaires organisées. Nous ne supposons pas que le moment des bouleversements sociaux ou révolutionnaires puisse être déterminé ou prédit par les organisations révolutionnaires. Cela dépendra des circonstances matérielles et historiques.

Cependant, l’histoire nous apprend que les soulèvements révolutionnaires et les luttes radicales ont souvent été précédés par des décennies d’efforts continus, patients et organisés. On peut le constater, par exemple, dans la révolution russe de 1905, la révolution espagnole de 1936, la région autonome de Shin Min en Corée, l’autonomie à Fatsa (Turquie) en 1979, dans les régions kurdes de Sanandaj, Mahabad et Marivan en Iran après la révolution iranienne de 1979, dans le Chiapas au Mexique depuis 1994, ou dans les développements actuels de la Rojava en Syrie du Nord. (*6)

Cela montre clairement que l’organisation révolutionnaire peut contribuer à l’émergence d’un mouvement révolutionnaire. En ces temps d’involution, nous voyons par nous-mêmes la tâche de diffuser des idées et des moyens d’auto-organisation de la base vers le sommet de la société et de proposer des discours et des analyses révolutionnaires radicaux. Nous espérons ainsi contribuer à la construction de structures auto-organisées dans tous les domaines de notre vie et soutenir les luttes actuelles afin de les approfondir et de les radicaliser davantage (voir la thèse 4 pour une élaboration plus approfondie). Pour cela, il est important de construire une infrastructure sociale, solidaire et combative. Non seulement c’est indispensable pour une lutte à long terme, mais pendant les processus révolutionnaires, il est aussi souvent décisif de savoir si, malgré les attaques contre le système, une révolte peut survivre.

L’analyse des soulèvements historiques et contemporains montre également que les structures organisées existantes sont d’une importance élémentaire pour le déroulement des soulèvements. Les mouvements échouent dans les luttes sociales comme ils le font dans les situations révolutionnaires lorsqu’ils ne disposent pas de leurs propres structures plus permanentes. Bien que la spontanéité des masses, en combinaison avec les circonstances matérielles, soit normative pour le déclenchement de situations révolutionnaires, le degré d’organisation est d’une grande importance pour leur succès et leur survie. Sinon, nous laissons le succès des soulèvements spontanés entièrement à leur persévérance spontanée face aux attaques organisées du système.

Les nombreux soulèvements surprenants qui ont éclaté ces dernières années, tels que le mouvement des Verts en Iran, les soulèvements du Printemps arabe en Égypte, en Tunisie, en Syrie, les manifestations de Gezi en Turquie, les manifestations de masse de 15M en Espagne et les protestations contre les mesures d’austérité en Grèce, ont montré qu’au sein de ces mouvements, des méthodes et des éléments d’auto-organisation sont spontanément développés et cités de bas en haut et que des structures de base similaires telles que les conseils de quartier ont émergé. Mais en même temps, ces soulèvements spontanés ont été massivement attaqués par les anciens régimes, les forces réformistes ou réactionnaires, qui se sont organisés pour diviser, instrumentaliser ou dépasser les mouvements. Si ce n’est que lors d’un soulèvement spontané que les gens se familiarisent avec les structures d’auto-organisation, développent une conscience politique et une analyse révolutionnaire et acquièrent de l’expérience avec elles - alors que c’est précisément à ce moment qu’ils sont le plus sévèrement attaqués par les forces contre-révolutionnaires - il est inévitable qu’ils ne pourront pas se maintenir pendant de longues périodes.

Les mouvements en Iran, en Turquie, en Égypte, etc. ont montré à quel point le désir de solidarité et de communauté est grand et quel potentiel d’aide mutuelle, de créativité et de solidarité s’est développé dans ces mouvements. Pour que de tels soulèvements ou mouvements ne se contentent pas d’émerger par vagues et de reculer, d’être vaincus ou instrumentalisés, il faut des structures révolutionnaires organisées. Nous estimons que ces structures doivent contribuer dès le départ à renforcer les perspectives révolutionnaires, à transmettre des connaissances et des méthodes, à mettre à disposition des structures de solidarité et à réduire ainsi les dangers de fragmentation et d’attaques. Il est fatal de croire que des mouvements désorganisés ou spontanément organisés peuvent se défendre ou se maintenir contre les attaques organisées du système sur le long terme.

En raison du manque d’organisation, la politique radicale de gauche est actuellement peu visible ou attrayante et n’a pas de lien avec elle. En conséquence, les groupes radicaux de gauche perdent leur pertinence sociale, ce qui à son tour entraîne une augmentation de la distance entre la société et les radicaux de gauche. Un autre aspect du manque d’organisation est que l’expérience entre les différentes générations de militants ne peut être transmise, et qu’il faut tout recommencer à zéro. En outre, il y a un manque de formation organisée et de travail pour les jeunes, ce qui rend difficile de sortir de son propre microcosme. Enfin, les structures organisées sont également utiles pour relier les luttes locales non structurées (ou celles qui sont partiellement structurées) et contribuer ainsi à la prise de conscience des causes sociales sous-jacentes, vécues en commun.

Que voulons-nous ?

Nous pensons qu’il faut répondre à la question de l’organisation dans deux domaines interconnectés : premièrement, nous voyons la nécessité de construire une organisation révolutionnaire non hiérarchique, trop régionale, de personnes dévouées aux idées et aux méthodes d’auto-organisation et d’émancipation sociale.

Deuxièmement, nous nous efforçons de construire des structures auto-organisées dans tous les domaines sociaux et les conflits. De cette manière, nous pouvons rendre les idées et les méthodes d’auto-organisation plus évidentes de la base vers le sommet et, tout comme pour les mouvements de protestation et de résistance, les rendre plus résistants à la répression (tant pour les attaques de l’extérieur que pour celles des dirigeants autoproclamés de l’intérieur). Nous y reviendrons dans Thèse 4.

Construire une organisation révolutionnaire

Nous n’avons pas la possibilité dans ce texte de donner une esquisse d’une organisation révolutionnaire. Elle doit être élaborée dans le cadre d’un processus commun à partir de l’expérience pratique et des discussions des personnes concernées. Néanmoins, nous pensons qu’il est important que les personnes qui s’accordent sur certains principes de base s’organisent. En ce sens, nous ne poursuivons pas l’organisation de groupes radicaux de gauche hétérogènes sur la base d’un dénominateur commun minimum. Dans la thèse suivante, nous essayons d’identifier les différents aspects et composantes qui, selon nous, sont au cœur du processus constructif et de l’organisation politique d’une telle organisation.

Lorsque nous parlons de la construction d’une organisation politique, il est important pour nous de dire tout d’abord que nous considérons que les formes d’organisation hiérarchique et les concepts de leadership pour l’émancipation sociale et l’autonomie sont totalement inappropriés. Historiquement, il a été démontré à maintes reprises que cela supprime les moments d’auto-organisation et d’émancipation des mouvements révolutionnaires et conduit finalement à la (ré)installation d’une nouvelle domination de classe. À notre avis, l’organisation politique révolutionnaire que nous proposons n’a donc pas pour tâche de diriger des mouvements de protestation ou de résistance, de prendre le contrôle de la révolution ou de parler au nom du peuple.

Il découle de ce rejet des concepts de gouvernance hiérarchique que nous devons redécouvrir des stratégies et des modèles organisationnels ou en développer de nouveaux si nécessaire. Les gens peuvent ainsi acquérir de l’expérience en matière d’autonomie, d’autodétermination et de pensée libre et indépendante. Les structures de cette organisation devraient essentiellement protéger (et faciliter) la libre initiative des gens au lieu de les gouverner. Certains principes de base pour la structure et la construction d’une telle organisation nous sont donc destinés : -1- l’autonomie et le pouvoir de décision doivent être à la base (pour tout ce qui les concerne directement), -2- la délégation ne peut se faire qu’avec mandat, responsabilité et peut être rappelée et/ou licenciée dès qu’ils ne remplissent pas leur mission. L’aspect concret d’une organisation dépendra de la pratique et des circonstances matérielles concrètes et de la nécessité.

Nous aspirons à une organisation basée sur des analyses, des stratégies, des attitudes et des principes de base communs. Il va sans dire que, malgré nos origines et nos positions sociales différentes, nous nous organisons consciemment dans une structure commune. Nous considérons l’organisation commune comme une nécessité pour surmonter le ghetto politique des radicaux de gauche (avec ou sans origine immigrée) et pour s’opposer aux divisions sociales (voir aussi la thèse 3). À notre avis, notre force réside dans l’organisation commune. Cependant, nous la soutenons également lorsque certains groupes sont touchés par des mécanismes d’oppression spécifiques et s’organisent de manière autonome au sein de leur propre organization. (*7)

Il existe un certain nombre d’obstacles dans le processus de création d’une organisation révolutionnaire. Le plus important est l’aversion existante pour l’organisation et le manque d’intérêt pour celle-ci parmi les radicaux de gauche. Les expériences des 35 dernières années nous ont montré que le processus d’organisation au sein du mouvement radical de gauche doit être poussé consciemment. La stratégie consistant à mettre en place un réseau dans lequel les structures révolutionnaires convergent progressivement et naturellement n’a pas fait ses preuves une seule fois au cours de ces 35 années et semble être sans fondement. Pour nous, les discussions nationales ne sont qu’un moyen d’échange entre des personnes actives qui partagent les mêmes idées. Toutefois, elles ne peuvent pas remplacer un processus organisationnel réel.

Dans les processus organisationnels, nous rencontrons aussi régulièrement des modes de pensée et de travail capitalistes et individualistes intériorisés au sein des cercles radicaux de gauche. En fin de compte, ces derniers font obstacle ou entravent les processus collectifs. S’organiser signifie être capable de faire des compromis, apprendre à penser collectivement et aussi prendre du recul dans un processus. Nous n’entendons pas par là que l’on doive renoncer à ses propres convictions et points de vue. Nous entendons par là qu’il existe une distinction entre les croyances fondamentales qui doivent être discutées ou défendues si nécessaire, et le fait que l’on n’est pas toujours entièrement d’accord avec toutes les décisions, doit faire partie de la prise de décision ou influencer la prise de décision. Dans le mouvement radical de gauche, les attitudes égoïstes et la tendance à vouloir toujours être "différent" sont fortement présentes. Elles sont le produit de normes néolibérales intériorisées et le résultat d’années d’éducation autoritaire. Il en résulte des facteurs psychologiques tels que le désir de reconnaissance et d’appréciation et le désir d’argent et de profilage, qui peuvent rendre les processus organisationnels très difficiles. La construction d’une organisation, d’autre part, exige une recherche constante du commun plutôt que du divisible.

Nous sommes conscients des dangers qu’il y a à construire une organisation basée sur des éléments démocratiques et non hiérarchiques de base. Par exemple, nous considérons le développement de la bureaucratie ou de l’égoïsme organisationnel comme un danger. On ne peut y remédier que par la prise de conscience et l’autocritique - mais cela doit se faire. Afin d’éviter une structure organisationnelle réticente et introvertie, le cœur de la structure doit être une organisation trop régionale qui a un ancrage local et régional à travers des groupes impliqués dans les questions quotidiennes.

Pour nous, construire une organisation non hiérarchique ne signifie pas que tous les membres peuvent tout faire aussi bien ou que chacun doit tout faire. Il est beaucoup plus important, conscient des différences existantes en termes de temps, de compétences, de personnalité, etc., de mettre en place des structures dans lesquelles un équilibre est créé entre la possibilité de développement personnel et l’efficacité du groupe. Tout le monde ne devrait pas être capable de tout faire, mais en principe, il devrait être possible de développer des compétences et d’apprendre les uns des autres. Là encore, la base est que tous les membres doivent être d’accord avec les principes de base et les méthodes de travail de l’organisation et que les décisions sont prises conjointement.

Notes
*1) Dans de nombreux pays du Sud, il existe également une aversion pour l’organisation parmi les jeunes militants et les universitaires de gauche. Dans les dictatures comme l’Iran, par exemple, une énorme répression étatique de cette organisation est rendue plus difficile.
*2) Au sein de nombreux mouvements de gauche en Europe, la chute des mouvements et modèles socialistes était déjà perceptible bien avant l’effondrement de l’Union soviétique. Les racines des théories poststructuralistes et postmodernes remontent aux années 1960.
*3) Le fordisme fait référence à la première mise en œuvre du travail à la chaîne dans les usines Ford et aux idées d’Henry Ford. Selon lui, les employés de ses usines devaient gagner suffisamment pour pouvoir acheter des voitures Ford afin de stimuler les ventes - un modèle pour la société de consommation. La période ci-dessous est parfois décrite comme le post-fordisme, c’est-à-dire l’évolution de l’ “Occident" vers une économie de services, de la production de masse vers des biens et services spécifiques et un changement dans les structures des entreprises - la flexibilisation et les petites entreprises spécialisées s’approvisionnant les unes les autres au lieu des grandes entreprises contrôlant l’ensemble de la chaîne, de la matière première au produit final. (N/A)
*4) Pour être plus précis, dans ce cas, il convient de noter qu’une phase importante de la défaite des structures révolutionnaires collectives a déjà eu lieu sous le national-socialisme et le fascisme en Europe (stalinisme en Europe de l’Est, dans les Balkans et en Russie, "Redscare" aux États-Unis et les mouvements Contras en Amérique du Sud).
*5) Hégémonie : prédominance dans divers domaines tels que la politique, la culture, l’idéologie et le commerce d’un parti, d’un État, d’un système religieux ou politique par lequel il peut exercer un pouvoir indirect sur les autres. (N/A)
*6) Cela contraste avec le mythe (en partie répandu par le système) selon lequel de tels soulèvements se produisent spontanément. (N/A)
*7) Il existe un risque que l’organisation autonome des groupes individuels reproduise les divisions (de la société) au sein de l’organisation et que les luttes communes soient ainsi fragmentées en de nombreuses petites organisations autonomes.

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