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Travail social mon cul

posté le 25/03/13 par ACAB Mots-clés  répression / contrôle social  réflexion / analyse  sans-papiers 

Travail social mon cul.

Celui là est parti du Maroc lorsqu’il avait seize ans. Il est arrivé dans des foyers sonacotra pourris, au milieu de ses semblables, les sans grade, les sans foyer, les sans droit sauf celui de se taire et de bosser. Il a bien fermé sa gueule momo. Il s’est mis à boire. Pour s’intégrer. Il a envoyé la thune au bled. Le bled lui a envoyé une femme. La galère, les papiers, le boulot, l’alcool, trois enfants. Les crédits, les vacances au Maroc, les collègues bien blancs qui le prennent pour un con parce qu’il ne sait ni lire ni écrire, qui le font picoler parce qu’un bon arabe c’est un arabe qui boit, qui fait pas le ramadan et qui bouffe du porc. Faut dire que sans le poids du regard de la famille, des amis et des voisins, faire le ramadan c’est tout de suite moins de reconnaissance de la part de la société. Quand t’es paumé à des milliers de bornes de chez toi tu cherches autre chose.

Dieu est rarement reconnaissant et il a tendance à la fermer quand tu te fais marcher dessus.

Un jour tout se casse la gueule. La violence s’est installée dans son couple. Sans amour ça marche pas. En quelques mois il perd tout ce qu’il a jamais cru avoir. Sa femme, son permis de conduire, son boulot, son appart HLM. Le bled lui a rien envoyé et la France lui a rien rendu de ce qu’elle lui a pris. Les ascenseurs c’est souvent dans un seul sens qu’ils vont. Quarante ans de turbin pour crever devant la ligne d’arrivée. A cinq ans de la retraite il se retrouve criblé de dettes, alcoolique, dépressif, divorcé, sans logement.

Retour à la case départ. Un foyer pourri.

Là pour l’aider y’a la grosse pute charognarde. Le gant de velour de la main de fer. Le travail social.

Il connaît bien le travail social momo. C’est des gens plus ou moins méprisants qui donne des sous quand tu dis « oui oui » et que tu baisses les yeux. Avec un peu de roublardise y’a même moyen de leur faire cracher plus de thunes. Mais là où il est c’est plus l’assistante sociale, c’est plus la conne de la CAF ou l’abruti du pôle emploi. Là il est au bout du système. Dernier barreau de l’échelle sociale. Celui qui est cassé et qu’on ne change pas. C’est tellement plus marrant de voir les gens s’appuyer dessus pour se vautrer la gueule une fois de plus. Dernière étape avant le suicide. Ça s’appelle un centre d’hébergement et de réinsertion social.

Un foyer comme celui là, c’est soit avant que tu deviennes clochard, soit une fois que tu l’es devenu et que la grosse pute hypocrite a décidé que tu méritais une chance de revenir plus près de la norme.

Il faut les voir. Les voir donner les bons et les mauvais points. Faire les blagues de mauvais goûts. Se rassurer de leur propre condition sociale déplorable en disséquant celle des déchets de la société. Ils font le tri. Ils recyclent. Quand ils peuvent. Sinon ils jettent. Eux se sont les travailleurs sociaux. Si la société était un gigantesque camp de concentration ils en seraient les kapos, comme les profs. Les flics étant bien sûr les bergers allemands, les préfets les SS et les journalistes les miradors.

Momo il le voit pas forcément tout ça. Il voit la merde dans laquelle il est. Il voit pas assez ses filles et il pense même plus voir le bout du tunnel tellement tout s’embrouille. Il est « accompagné ». C’est à dire que l’argent des impôts qu’il a payé durant quarante ans lui revient sous forme d’aide sociale d’état, dont l’application est déléguée à une association. Cet argent sert à rémunérer les kapos. Ils sont nombreux. Pas assez selon eux. Ils lui disent ce qu’il faut faire, ils lui expliquent le pourquoi du comment de sa situation. Monsieur momo a de nombreuses « problématiques », il a des difficultés. Pauvre monsieur momo. En même temps on sait tous que c’est quand même plus ou moins de sa faute.

Bah ouais momo fallait pas picoler !

L’ensemble des rouages de la grosse pute culpabilisatrice va s’évertuer à redonner à momo le maximum de son potentiel. En d’autres termes il devra soit : Réintégrer les rangs de la production ; soit ne pas prendre trop de place (comprendre argent), et attendre de crever sans faire de bruit.

Il y a beaucoup de mecs comme momo. Tous ont leur histoire.

Celui ci est bien français. Pas raciste d’ailleurs, il connaît un noir sympa qui est pote avec son beau frère. Et puis ces gens là ils sont gentils, ils dansent bien et quand y’en a pas trop y’a pas de problème. Du moment qu’ils sont pas pédés…

Français ou pas il a été jeté comme une merde. Comme momo. Une vie de petits boulots pour finir en CDI dans l’industrie. Vingt ans de bons et loyaux services dans la même entreprise qui sera rachetée par « des américains ». Licenciement économique. Avant ça divorce. Avant ça alcool. Pas pour s’intégrer. Peut-être pour rester intégré ? Peut être pour supporter sa condition de prolo ? Est ce important ? Quelque soit la fragilité personnelle ou la conjoncture globale qui conduit quelqu’un à s’écrouler, on finira toujours par lui reprocher d’être ce qu’il est. Notre société n’aime pas les losers.

Un autre a tout juste vingt ans. Viré de chez ses parents à cause de conflits familiaux. Il n’a pas inventé l’eau chaude. Du mal à comprendre, du mal à faire preuve de capacité d’abstraction. Presque aucune capacité de concentration. A la rue comme les autres. Il n’a pas été absorbé par le quartier dont il vient. Une autre « zone ». Les zones qu’on éduque, qu’on urbanise, qu’on revitalise, les zones qu’on trouve sensibles. Elles ne font pas de sentiments pourtant.

Pour lui, le foyer c’est juste le prolongement de sa trajectoire d’échec programmé. Une tentative de pallier là où famille et école ont foiré. Soit il saisit ce qu’on n’hésitera pas à lui présenter comme une chance. Soit il est bon pour la mort avant quarante ans. Dans tous les cas, il ne peut qu’espérer se ménager une vie de petits boulots merdiques, qui ne lui assurera même pas de ne jamais repasser par la case foyer de merde.

Il y a très peu de riches en foyer. En fait y’en a pas du tout.

Peu d’anciens riches également. Mais on voit de plus en plus de gens normaux. Des classes moyennes qui se sont cassé la gueule. Des pauvres moins pauvres qui deviennent plus pauvres qu’ils ne l’auraient dû. Y’en a un par exemple, ancien chef d’entreprise… Et puis alcool, divorce et maladie. Il finit par se retrouver à gruger la CAF pour ses allocs comme n’importe quel autre pauvre.

Rajoutez à çà tous les sans papiers, les demandeurs d’asile, les sortants de prison, les sortants d’hôpital psychiatrique, et vous obtiendrez un dépotoir à humains.

Mais c’est une poubelle orgueilleuse et susceptible.

Le foyer n’accepte pas la remise en question. Il n’accepte pas les mécontents. Il se vautre dans le compromis et l’injonction normative. Il écrase les insoumis et les paumés, il entend remettre dans le droit chemin tous ceux qui marchent sur le bas côté. Il s’arrangera pour que les récalcitrants n’aient plus aucune chance de survivre autrement que dans la rue. T’es pas content ? Casses toi !

Les cafards. Les piaules insalubres. Les détournements de fonds. Les humiliations. Le chauffage en panne en plein hiver. Les faux espoirs. La bouffe dégueulasse. Le bruit. L’odeur. Le règlement intérieur de l’établissement. Les bastons. Le manque d’intimité. Ta vie étalée partout sur les murs comme une énorme tartine de merde. Tout ça ça te dérange ? Personne ne te retient. Tu n’as eu ta place nulle part et si tu n’es pas capable de la trouver ici, alors c’est que ta place c’est encore plus au fond du trou.

Car le travail social a le don de faire intérioriser aux gens dont il prétend s’occuper, qu’il leur est indispensable. Il n’hésite pas à cette fin à user de pression, à faire culpabiliser, à faire peur, à castrer l’envie d’indépendance, à mutiler l’imagination. Pour ça il y a la procédure, les règlements et les documents administratifs. Il y a le miroir déformant que tend tous les jours le reste de la société aux paumés. Tu n’es plus dans le circuit. Tu es à côté de tes pompes. Tu es au bord du gouffre ou de la tombe, sur la pente sablonneuse qui te mène ou te ramène à l’en dehors.

Du moins les choses sont elles présentées comme cela. Car le travail social oublie que les en dehors de nos société en sont certes les limites, les marges, mais qu’ils en font bel et bien partie. Qu’ils la définissent dans son essence et sa violence, bien plus justement que le triptyque boulot, pavillon, mariage. La rue, la prison, l’HP et les foyers en tous genre, ont au contraire une fonction centrale pour la société. Celle d’épouvantail.

Ils assurent également diverses fonctions connexes. Charité à peu de frais pour bonnes consciences en soldes. Tri sélectif et recyclage éventuel des déchets du monde du travail. Mise à l’écart des éléments potentiellement instables. La liste est non exhaustive.

En gros ça évite que la misère s’invite dans votre salon autrement que par l’intermédiaire de l’écran de télévision.

*

On ne peut cependant pas nier que les bonnes volontés sont parfois à l’œuvre. Mais quand l’outil est inapproprié on ne peut faire que du mauvais travail, si tant est que « bien » travailler soit possible. Le travail social c’est prendre un problème à l’envers, savoir qu’on n’y peut rien et passer son temps à se plaindre de ça. Ça bouffe du temps et ça boit beaucoup de café. Il faut les entendre déprimer les kapos ! Faut dire que prétendre s’occuper de la misère du monde avec un stylo et un livre de psycho, si on te le vendait comme ça dès le départ, t’essaierais même pas. Et puis quand la misère du monde elle te dit d’aller te faire enculer et qu’elle a pas besoin de toi, tu commences vraiment à te demander ce que tu fous là.

Et puis il y a les chefs. Comme dans les autres secteurs d’esclavage salarié, les chefs ne jouent pas dans le même camps que les pas chefs. Y’a bien des pas chefs qui jouent pour l’équipe d’en face, des arbitres payés, des naïfs, des compromis, des congés à obtenir, des promotions, des formations internes, des carottes. Mais d’une manière générale les chefs préfèrent manier le bâton. Avec plus ou moins de délicatesse, de subtilité, ils te feront rentrer dans le crâne pour qui tu bosses vraiment. Eux ils ont choisis leur camp. Momo ils en ont plus rien à foutre. Ils appliquent les directives des financeurs, relaient les politiques publiques, lèchent les culs plus haut placés pour se faire une place au soleil ou remplir le réservoir du 4×4.

Pour les pas chefs il faut soit devenir chef ou coucher avec lui, soit devenir formateur ce qui revient à peu près au même, soit faire une dépression avec arrêt maladie longue durée, soit faire des enfants tous les deux ans, soit trouver un poste peinard bien planqué derrière un bureau dans un service obscur de la mairie ou du conseil général. Sinon il reste le suicide.

Alors au milieu de ces petits jeux de pouvoir, de ces petits arrangements entre amis, toute cette tambouille interne qu’on appelle pompeusement « dynamique institutionnelle », vous pensez bien qu’il reste au final peu de place à momo et à ses potes. On ne cesse de leur répéter qu’ils sont les premiers concernés par leur situation, qu’ils doivent se responsabiliser, devenir autonomes, si ils savaient à quel point. Ici on ne s’occupe pas d’eux. On s’occupe de leurs problèmes et on s’arrange juste pour qu’ils ne deviennent pas ceux des autres.

Une bonne part du travail consiste également à maintenir une apparence de sincérité.

Comme ailleurs il faut mentir sur la marchandise. Si les médias disaient ce qu’ils sont réellement que croyez vous qu’il se passerait ? Rien sans doute. Mais imaginez le présentateur du JT annoncer froidement que son rôle consiste à chanter des berceuses. Ça aurait une drôle de gueule.

Pour le travail social c’est la même chose. Il faut maintenir l’illusion. Y compris au sein de ses propres effectifs. Encore une fois c’est comme pour les journalistes ou même les flics. Les individus ne doivent pas connaître la véritable nature de leur fonction. Ou du moins ils ne doivent pas pouvoir prendre le temps de trop y réfléchir. Les considérations morales et les conclusions politiques qui en découleraient seraient bien trop gênantes pour la Grande Machine. Et puis il faut dire qu’il est bien plus confortable de regarder la planète se suicider assis dans un canapé, que debout sur une barricade.

Afin d’entretenir une façade, de se rassurer ou plus simplement par inconscience, les travailleurs sociaux passent leur temps à justifier leur action. Ils se justifient vis à vis de leurs chefs, vis à vis des instances tarificatrices de l’état, vis à vis du grand public par le biais de la communication, vis à vis des pauvres dont ils s’occupent, vis à vis d’eux mêmes et de leurs mauvaises consciences. Pour ça ils font des rapports, des articles, des réunions, des entretiens, des cacas écrits et oraux qui engorgent un peu plus le flux incessant de vomi social produit par notre civilisation.

Ils ne cessent de répéter que le travail social est malade, qu’ils manquent de financements, de moyens, de formations professionnelles, de réflexion, de réaménagements institutionnels et politiques. Tout ça c’est des conneries. Le travail social n’a sans doute jamais été aussi florissant. Il est enfin devenu ce qu’il a toujours été au fond, une belle grosse merde bien fumante. Une institution qui s’auto- alimente et s’auto-justifie. Un rouage essentiel de la Grande Machine.

Quand le gouvernement fait une annonce pour expliquer (sans rire), qu’il va éradiquer la pauvreté en cinq ans, le travail social est derrière. Idem sur l’emploi, la formation, le logement ou les politiques familiales.

Au bout de la chaîne de tours de passe passe médiatico-politiques il y a toujours le même foyer pourri. La version moderne de l’asile. L’endroit où tu enfermes les pauvres et les fous. L’endroit où tu les dissèques comme des insectes, où tu expérimentes des « traitements », où tu fais de l’autre un objet, d’étude, de soin, de plaisir pervers. L’endroit où tu joues à dieu.

Et puis il y a momo et les autres.

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Rendez vous sur http://aqni.forumactif.org


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