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UNEUS une expérience de répression de proximité à Saint-Gilles : Entretien avec Latifa du collectif Madre

posté le 15/04/20 par ankermag Mots-clés  répression / contrôle social 

Fin 2019 nous avons rencontré Latifa, femme, madre, saint-gilloise, engagée dans la lutte contre les violences policières dans son quartier. Nous l’avons rencontrée lors de la dernière interpellation communale sur les violences policières d’UNEUS envers les jeunes du quartier, qu’elle a porté avec un comité d’habitant.e.s et travailleurs.euses saingillois.es. Nous voulions la rencontrer, pour entendre de son expérience de lutte, son expérience avec les jeunes du quartier, et de sa vision des choses sur les violences policières que ces jeunes subissent.

« J’ai commencé en 2016-17, je voulais aider un jeune qui était en IPPJ (Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse). L’IPPJ c’est comme la prison mais pour mineurs. Quand j’ai voulu aider ce jeune, j’ai constaté que dès que tu faisais l’IPPJ tu n’avais plus des suivis au niveau de l’enseignement, aucune école te veut ; ça il faut le savoir. J’avais dit à ce jeune : « Ok, je veux bien t’aider, mais ne fait plus de bêtises et vas plutôt à l’école ! C’est ça qui va t’aider dans le futur ». Mais, trouver une école c’était hyper dur. Je lui avais dit d’écrire une lettre de motivation, et le directeur il n’a même pas lu la lettre ! Dès qu’il nous a vu, il a dit qu’il n’y avait plus de place, alors qu’il y avait de la place… On avait le rendez-vous ! Plusieurs écoles, des écoles publiques, ne voulaient pas de nous. Finalement il a trouvé une école hors Bruxelles, ça allait super bien et puis il a eu un problème avec la police : à nouveau, il n’avait rien fait, ils l’ont pris chez lui, à la maison. Ils ont fait une perquisition et en par suite de ça, il ne voulait plus aller à l’école.

Les jeunes me disent : « Oui, tu nous parles de réinsertion, tu nous parles d’aller à l’école… mais la vraie problématique pour laquelle on ne s’en sort pas c’est d’abord UNEUS ».

Qu’est-ce que c’est UNEUS ?

UNEUS est une police de proximité. C’est un projet pilote qu’était instauré en 2012. Quand tu lis le projet ça a l’aire d’être un chouette projet, mais quand tu creuse au fond c’est un projet qui met beaucoup des jeunes dans la merde ! C’est à dire : un jeune qui n’a pas fait de faits et qui est pris, bah il passe directe au parquet ! Que tu l’aies fait ou pas fait, il va directement à l’IPPJ ou en prison. On ne fait pas vraiment une recherche. Est-ce que c’est bien toi… et pff c’est vite fait ! T’as plein de jeunes qui ont fait la prison alors qu’ils ne devaient pas faire de la prison.

Où est-ce que cette police de proximité est opérative ?

Justement, c’est un projet pilote qui a commencé à Saint Gilles et qu’a été instauré par Charles Picqué. Lui, il fonctionne beaucoup dans la répression. Il préfère investir énormément dans la répression que dans la prévention. Ces violences policières ont augmenté depuis qu’ils ont instauré cet UNEUS dans le quartier. Et quand je parle de violences policières il y a 4 catégories de violence : t’as les violences verbales, t’as les violences physiques, t’as les violences psychologiques et t’as les violences sexuelles. Et puis il ne faut pas oublier que la police représente la loi, représente la sécurité, donc qui protège ces jeunes si la police…

Et puis, à cause de tout ça on divise la société quelque part, parce que, tu vois, ces jeunes qui traînent dans la rue dans tous les quartiers populaires… bah ce sont des jeunes qui n’ont plus leur place dans la société, donc ils traînent dans la rue avec d’autres jeunes et il se forme comme une sorte de bulle où chacun essaye d’aider l’autre au mieux qu’il peut… Tout ça m’a interpellée parce que je me dis qu’avec ces jeunes la réinsertion elle tombe dans l’eau, tu ne peux rien réinsérer. Mais, je me suis dit que non, il ne faut pas laisser comme ça. Il y a quand même des lois et des institutions qui sont là ! Donc, je suis allée toquer à toutes les institutions !

La première à laquelle j’ai pensée c’est le Délégué général des droits de l’enfant, M. Bernard de Vos. Lui, il m’a envoyé tout de suite son équipe pour récolter des témoignages. Sur les 50 jeunes on a eu 20 témoignages. T’en as eu beaucoup qu’ils n’ont pas voulus témoigner, parce qu’ils ont peur de la répression, ils ont peur que les policiers les reconnaissent par la voix. Ils ont beaucoup trop peur.

Il y a tellement de répression que même demander leurs droits, ils ne veulent pas ! Ils préfèrent faire profil bas…

Je travaille (dans le sens que c’est toujours du bénévolat) en parallèle avec la Ligue des Droits Humains. Donc on essaie de voir comment on pourrait changer le système du témoignage. Tu vois, le système de témoignage il est mal foutu, vraiment, le système est fait pour ne pas témoigner… Le système il est mal fait et je pense que ça soit fait exprès, et on voudrait vraiment le changer complètement.

Est-ce que cette police de proximité elle a été mise en place dans des parties spécifiques du quartier ou bien c’est un projet pilote sur tout le quartier de Saint Gilles ?

Oui, le projet c’est sur tout le quartier, mais souvent sur les places publiques. Tu les vois souvent passer par ici (la zone des tours du bas de Saint Gilles), au soir, parce que t’as les tours. C’est là que les jeunes se rassemblent plus. Bah, c’est normal ils habitent là, dans les tours. Du coup c’est souvent le square Jacques Franck, la place Morichar et le Parvis aussi…

Et, du coup, il y a pas mal des policiers qui font partie de ce projet, il y a pas mal des forces qui sont déployées pour ce projet ?

Oui, c’est un projet qui coûte à la commune, plus ou moins, 400.000 € par an.

Et utilisent-ils beaucoup le moyen de la vidéosurveillance ou les policiers sont principalement présents sur la place ?

Ils sont souvent présents mais ils utilisent aussi les caméras. Ils ont installé des nouvelles caméras depuis un an je crois. Quand ils ont rénové le square, ils ont enlevé tous les arbres ; maintenant, il y a un champ de vision complet. Les jeunes, si tu veux, ils ne se sentent plus à l’aise. Ils ont l’impression qu’ils sont surveillés, qu’ils ne sont plus libres. Mais ils le disent hein ! Ils ont fait le projet Radio Moscou, justement ! Ils sont des jeunes qui interviewent d’autres gens, des gens du quartier, et chacun donne son opinion.

Dans ta perception, quel est la cible des violences policières ?

Ce sont souvent des mecs qui utilisent les espaces publics, souvent les garçons, et ils sont souvent les mineurs qui sont provoqués par la police, j’ai remarqué.

C’est pour ça que je dis qu’il faut faire de la prévention avec les tous petits. En mai, avec un formateur de la Ligue des Droits Humains on avait fait des formations dans des ASBL : quels sont tes droits, comment protéger ta carte d’identité etc… pour que les ASBL puissent dire aux jeunes « Voilà, faites attention à vos droits » pour que se passe comme ça, que les jeunes après le disent à d’autres jeunes, parce que c’est comme ça qu’il faut travailler. La plupart des jeunes ne connaissent pas les bases fondamentales de leurs droits.

Le Collectif de Madre, comment est-elle née l’idée de se mettre ensemble ?

C’était pour la première interpellation, donc en 2018. L’article qui parlait des mères des délinquants c’était le 8 janvier 2018. Moi, par après, j’ai réfléchi à comment ne pas se laisser faire, et c’est comme ça qu’on a dit qu’on va faire des interpellations, mais il faut un collectif. C’est comme ça que je l’ai appelé le Collectif de Madre parce que les jeunes disent “ta madre, j’ai vu ta madre, etc..”.

Dans les interpellations à la Commune de Saint Gilles, vous avez demandé quoi exactement ?

Premièrement, une évaluation externe de la brigade Uneus. C’est le plus important, sans intervention externe, les violences policières vont continuer. Deuxièmement, un dialogue structuré entre les habitants, les asbl et les institutions. Parce qu’il y a un problème de violence policière mais il y a aussi un problème de violence des habitants. Des habitants qui font des pétitions, qui vont à la commune et qui disent « Oui nous, on se sent dans l’insécurité, il faut mettre plus de police, il faut mettre plus de caméras ! Nous, avec tous ces jeunes qui sont là en train de traîner, on a peur ! Il y a trop de délinquance… ». Donc il faut faire un dialogue structuré pour que les habitants communiquent avec les jeunes et que les jeunes se disent « voilà, les habitants ils ont peur de nous ! » Pourquoi ? Dites-le-leur. Et ça, c’est hyper important. Tant qu’il n’y a pas de communication on ne sait pas avancer. Parce que c’est qu’il faut travailler en collaboration avec la commune : je dis aux habitants « oui, nous, on ne demande pas mieux de vous expliquer, mais il faut aussi être à l’écoute, et c’est entre nous qu’on va s’aider ! » Ça c’est important pour moi aussi.

Et troisièmement, la réinsertion des jeunes. La plupart des jeunes à l’âge de 15 ans, ils font direct l’IPPJ, alors que l’on pourrait faire des services citoyens. Envois-les aider les plus démunis, ou bien je ne sais pas, ailleurs. Il y a tellement de pays qui sont dans la misère, envoie-les là. Le jeune aura un esprit beaucoup plus collectif, il verra mieux la société. Des idées il y en a plein. Il y a le service citoyen, pourquoi on ne travaillerait pas avec le service citoyen ?

Vous avez eu des réponses à ces interpellations-là ?

Nous, Ils ne nous donnent pas de réponse. C’est le même blabla que l’on a habituellement.

Tu pointes beaucoup du doigt la prévention des violences policières et la réinsertion, pratiquement comment tu vois les choses ?

Quand les jeunes sortent de prison, c’est hyper compliqué de travailler. Un jeune mineur qui veut reprendre l’école et qui a l’étiquette d’IPPJ, il ne sait plus reprendre l’école quasiment. Déjà qu’il y a un problème de discrimination, alors si tu fais encore de la prison c’est très compliqué. Pour la plupart des jeunes quand ils sortent il n’y a pas de réinsertion et ça il faut le savoir.

Quand ils sortent, ils sortent sans rien. La plupart ils retournent dans la rue et des choses comme ça

Je pense qu’il faut voir avec le jeune quel métier il aimerait faire, mais la plupart des jeunes ils ne savent pas ce qu’ils veulent faire. La plupart, ils sont perdus, ils vont faire la peinture et puis ils disent « ah non ! j’aime pas, c’est dur et tout… » puis tu les mets là et ils te disent « ah non ! j’aime pas ». Puis parfois ils sont bons dans les sports, tu constates que certains ils sont bons dans le théâtre… C’est artistique, ce n’est même pas dans le domaine manuel !

Pour moi la meilleure façon de le réinsérer, c’est de les réinsérer de cette façon-là.

De faire un accord avec les entreprises et bien leurs expliquer que voilà, ce sont des jeunes qui ont fait de la prison mais qui veulent se reprendre en main ; et justement, il ne faut pas les laisser retourner dans la rue. Trop souvent ils se retrouvent dans la rue, ils font des délits encore plus graves et ils repartent encore pour dix ans de prison. J’en connais pas mal qui sont en prison et qui avaient un potentiel incroyable.

Moi cela me donne de la haine quoi, parce que je me dis qu’on fait tout pour qu‘ils y retournent.

Est-ce que vous travaillez aussi avec les familles ?

J’ai travaillé avec les mamans, souvent. Mais justement, c’est ce que je dis aussi : travailler avec un jeune ce n’est pas que le jeune, c’est tout un travail aussi social avec les parents. En plus, les mamans ou les familles des jeunes sont dans la précarité.

Tous ces jeunes ils ont eu des parcours très compliqués, ils sont eu une enfance très compliquée. Donc il faut travailler et parler avec des psychologues avec des associations. Moi, je trouve que les projets ça aide énormément parce que cela te permet de voir réellement ce que tu veux faire de ta vie. T’as des jeunes qui se suicident, des jeunes qui deviennent des toxicomanes, qui deviennent alcooliques, des jeunes qui consomment tellement de cannabis qui ne savent même pas aller travailler et se lever le matin. Mais tout cela c’est la société qui l’engendre. Et moi ce système j’ai envie de l’éclabousser et de dire « NON ! avec nos impôts on veut de la prévention, on ne veut plus de discrimination, on veut qu’il y ait une évaluation de la brigade Uneus ».

Et, ce projet des brigades Uneus, est-il est possible qu’il soit étalé sur d’autres quartiers ? Est-ce qu’il y a une prise de parole citoyenne par rapport à ça ?

Il y a pas mal de débats qui se font à l’extérieur de Saint Gilles, je veux dire, l’impact est tellement grand …les violences policières c’est pas qu’à Saint Gilles, c’est dans tous les quartiers populaires…ça existe à Anderlecht, à Molenbeek, mais c’est un sujet tabou ! tu vois ? et maintenant j’ai remarqué qu’à saint Gilles, il y a la libération de la parole des jeunes, parce que le jeunes maintenant n’ont plus peur, tu vois ? ça a tellement fait “boum” partout, que maintenant ils n’ont plus peur de parler, parce que cela a pris un impact tellement grand que tout ce que j’ai fait petit à petit.. et beh..c’était ça le but ! c’est de se dire « on va faire un max, un max » et puis par après on fera que un petit peu, le reste sort tout seul.

Les violences policières ce n’est pas que Saint Gilles, ce n’est pas qu’en Belgique, c’est partout…et c’est partout qu’il faut bouger ! Parce que les politiciens s’en foutent ! Ils ne font rien du tout, c’est ça qu’il faut savoir. Ils veulent diviser la société, eh beh, moi je ne veux pas ! je veux que la société soit soudée, quelle que soit l’origine, quelle que soit la religion. Mais, la société c’est nous qu’on la construit, pas les politiciens ! Tu vois ? ça c’est une chose à savoir parce que c’est hyper important, et moi c’est ça mon but, faire rencontrer tout le monde !

Est-ce que tu vois des liens entre le travail que tu fais par rapport à la répression policière et le processus de gentrification ? Est-ce que tu penses que les deux choses sont liées ?

Bien sûr qu’elles sont liées parce que la gentrification a balayé une certaine population et si tu veux c’est toujours la même population. Je veux dire, si tu regardes les statistiques de ceux qui habitent dans les tours il y très peu d’européens, il y a que des Magrébins et des africains. Oui, il y a des personnes âgées (européens) qui souvent n’ont personne qui les aide, ils n’ont pas de famille, ces gens, souvent on les met là. Sinon, tout le reste c’est que des Magrébins, des africains. Donc, oui, bien sûr. Par après, ils vont peut-être renouveler les deux tours et ils vont monter les loyers. Saint-Gilles est toujours le projet pilote de tout en première : Saint-Gilles et Ixelles, après le reste va suivre. Scharbeek va suivre…

Les gens en ont marre que ce soit toujours des bios, des snacks ou bien des cafés ; les gens veulent quelque chose qui s’ouvre pour faire de la cohésion sociale. Il n’y a pas d’espaces de rencontre, parce qu’ils disent « Nous, on fait tout maintenant, on renouvèle, on fait tout » mais en fait ils font tout pour diviser. Alors, comment tu veux que la population se mélange avec les autres s’il n’a pas un lieu [pour le faire] ?

Tout ce qu’ils avaient dit sur le Parvis, il n’y a rien. Tout est fait pour ne pas y être. Tout est fait pour ne pas y investir, pour ne pas y être…

Et qu’est-ce que tu penses qu’il se passera dans le quartier si effectivement il y a aura une partie de la population qui devra partir à cause de la hausse des prix ?

Moi je suis contre tout ça. C’est aussi un phénomène qui a un niveau politique, déjà quand tu fais la rénovation tu engendres des commerces assez chics et ça change le quartier. Donc le propriétaire, il va augmenter son loyer. Mais là aussi c’est du politique ! Parce qu’apparemment au niveau des commerces ils font une sélection. Je ne sais pas si vous vous rappelez à la rue du fort avant il y avait le marché là. Eh bien, ça a été retiré, ils veulent mettre que du bio. Avec 4 pêches à 10 Euros. Ce sera qu’une catégorie de gens qui pourra venir acheter. Tu le vois à chaque fois qu’il y a un commerce qui se ferme, tu le vois c’est autre chose qui ouvre un truc bio, dix fois plus cher.

Mais j’ai l’impression que nous on n’a presque plus notre place ici. On n’a pas des salaires de ministres pour payer 4 pêches à 10 euros donc… et ça justement c’est un phénomène aussi politique. C’est aux citoyens de voir comment faire pour les interpellations, les mobilisations…

A deux jours de la mort du jeune Adil, les mots de Latifa retentissent : les jeunes dont elle parle, le jeunes de quartier qui subissent des violences policières systémiques ont une couleur de peau, un profil social, une origine présumée bien précise et viennent tous des quartiers populaires. La police des différentes zones n’a pas en commun que les cibles de ses opérations mais aussi les moyens d’interventions : la répression.

Depuis le début de l’épidémie on répète que le confinement n’est pas le même pour tout le monde ; il impacte les gens de manière très différente. Rappelons-nous que la « normalité d’avant » aussi n’était pas la même pour tout le monde.

Bilan à Anderlecht. 1 mort, 100 arrestations.


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