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Un film qui rend les écoutes téléphoniques sympathiques

posté le 22/12/13 par Observatoire de la Propagande Contemporaine Mots-clés  répression / contrôle social 

Avec Ion, nous allons vous faire aimer la police !

Ce jeudi 19 décembre, dans le cadre des soirées Prima Nova, le cinéma Nova programme le film documentaire Ion de Olivier Magis. Ce film fait le portrait de Ion, un aveugle roumain qui, après avoir fui le régime de Ceausescu, a été engagé par la police fédérale belge pour transcrire des écoutes téléphoniques.

C’est un peu comme si le Ministère de l’Intérieur avait passé une commande à la RTBF : "Trouvez-nous un personnage à qui on donnerait le bon Dieu sans confession pour qu’il rende aimable nos services d’espionnage les plus imprésentables". Sous cet angle, Ion est une réussite : c’est une réclame, discrète mais efficace, pour la police.



Le film, dont le héros fait des écoutes policières, ne porte aucun regard sur une inquiétude centrale aujourd’hui, que la Ligue des Droits de l’Homme rappelle incessamment : la menace des droits fondamentaux par le fichage.

Dans un entretien, le réalisateur nous dit que son personnage, Ion, lui a confié "en toute sincérité" qu’il n’avait constaté aucune dérive quant à la conservation des données. A-t-il procédé à une vérification de ces allégations auprès d’organismes indépendants ? Non, ici, les règles les plus élémentaires du journalisme d’investigation n’ont pas cours, et la question n’est même pas abordée dans le film.

En voyant le film, on comprend qu’Ion s’occupe uniquement des crimes horribles perpétrés par des criminels. La criminalité est une catégorie du pouvoir qui appelle en tant que telle une critique rigoureuse, par exemple foucaldienne. Nous nous contenterons ici de noter qu’en sélectionnant les crimes les plus atroces, le réalisateur occulte cet autre usage de la criminalité : dès qu’une opposition consistante voit le jour, les gouvernements ne manquent jamais de la qualifier de criminelle, et de la traiter comme telle.



« Lorsqu’on constate avec quelle propension certains services de police ont tendance à qualifier toute contestation sociale de terrorisme ou d’organisation criminelle (Greenpeace ayant été poursuivie pour association de malfaiteurs et les syndicalistes de D14 étant considérés comme membres d’une organisation criminelle, entre autres exemples), on ne peut qu’être, une nouvelle fois, très inquiet pour nos libertés fondamentales » (extrait du site de la Ligue des Droits de l’Homme).



Si le réalisateur croit ce qu’on lui a appris à l’école, que la justice serait dotée de "dispositions légales extrêmement contraignantes", il ferait bien de se renseigner sur ces autres dispositions légales dont se sont dotées toutes les démocraties occidentales, à savoir, des lois d’exception qui mettent les pouvoirs exécutifs au-dessus des lois (lire à ce sujet Jean-Claude Paye ou Giorgio Agamben, ou voir le film de Marie-France Collard, "Résister n’est pas un crime").



Qu’il s’agisse d’instaurer des lois d’exception ou un contrôle total des existences, les pouvoirs se gardent désormais d’endosser des uniformes et des idéologies. Et pourtant, avec un conformisme confondant, le film se contente d’agiter la dictature de Ceausescu comme un repoussoir pour rendre désirable, par effet de contraste, notre démocratie. C’est ce même effet que produisait le film de l’émission Strip-tease intitulé Une délégation de très haut niveau (2000), qui présentait des politiciens belges en visite dans ce sublime épouvantail appelé Corée du Nord.

La STIB et la SNCB nous avaient habitués à habiller d’atours humoristiques leurs campagnes en faveur du contrôle ou de la délation. La fiction industrielle nous avait déjà fourgué quelques biopic pour tenter d’humaniser de notables ordures - Margareth Thatcher, par exemple. Que le documentaire « de création » serve à rendre tolérable la police, c’est une forme de dérive propagandiste assez nouvelle. Voici comment, désormais, sous couvert de raconter la jolie histoire d’un personnage atypique, on tente de naturaliser le Pouvoir et ses tentacules policières les plus intrusives.

Qu’un réalisateur qui n’a connu que l’école et la RTBF pense que la police est là pour nous protéger, quoi de plus normal ? Mais que Le Nova programme un film sans voir l’opération de propagande qu’il contient, voilà qui laisse songeur.


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Commentaires
  • Moi je me dis qu’il peut être intéressant de voir ce documentaire. D’autant plus que rien n’empêche de garder un sens critique. Et que le Nova décide de le passer est tout à son honneur !

  • 24 décembre 2013 14:44, par marie-eve

    Dans le module "Prima Nova", le Cinéma Nova présente des films (fiction, documentaire,...) lors d’une séance gratuite, suivie d’une rencontre avec le réalisateur. L’accès est gratuit, le réalisateur est là, la parole est au public : rien ni personne n’empêche la partage, avec le public ET avec le réalisateur, des critiques sur le film... Pourquoi l’auteur de l’article n’était pas là, préférant garder l’anonymat ? Bref, je ne devrais même pas expliquer le principe du Prima Nova à l’auteur qui les connait très bien, ayant présenté déjà son propre film dans ce même module.

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