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Vers une théorie générale de l’anarcha-féminisme

posté le 28/06/17 par * Mots-clés  réflexion / analyse  féminisme 

Texte original : Toward a General Theory of Anarchafeminism – Howard J. Ehrlich

Les personnes familières avec les théories de l’anarchisme social et du féminisme sont immanquablement frappées par leurs similitudes. Les deux ensembles de théories considèrent les inégalités sociales et économiques comme enracinées dans les aménagements du pouvoir institutionnalisé ; les deux soulignent la nécessité de transformer ces agencements comme pré-condition à la libération ; et les deux œuvrent à la réalisation de l’autonomie et de la liberté individuelle au sein d’un contexte collectif.

Les écrits d’auteures telles que Elaine Leeder, L. Susan Brown, Peggy Kornegger, Carol Ehrlich, Neala Schleuning et Jane Meyerding 1 s’assemblent de manière extraordinaire. Alors que toutes encouragent une position anarcha-féministe, chacune d’entre elles se heurte avec les différences qui existent entre cette position et les autres formes de féminisme. C’est ici que nous devons commencer. Je pense que nous devons examiner les affirmations de base des théories féministes et observer comment des personnes en viennent à adhérer à certaines d’entre elles et pas à d’autres.

Toutes les théories féministes commencent par une série d’observations au sujet des femmes dans la société. Ces trois déclarations forment le noyau de ces observations.

1. Les rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes dans la société sont avant tout déterminés sur des bases culturelles .
2 .Les femmes sont discriminées dans tous les domaines de la société — personnellement, socialement, professionnellement et politiquement.
3. Les femmes sont physiquement chosifiées et, par conséquent, systématiquement harcelées et agressées sexuellement.

D’après ces observations, les féministes ont dû affirmer que :

4. Les femmes et les hommes sont égaux.

Les féministes libérales cherchent à affirmer leur égalité en modifiant les aménagements du pouvoir actuel. Leur objectif est d’éliminer la discrimination, c’est à dire les formes institutionnalisées de traitements différentiels. Leur but n’est pas de transformer les structures fondamentales de la société. En outre, elles n’ont aucune revendication précise concernant les femmes en tant que classe ou au sujet de la culture des femmes. Leur but est d’obtenir une égalité d’accès aux centres du pouvoir.

Le mouvement des femmes est divisé sur les questions des inégalités existantes parmi les femmes, particulièrement entre classes sociales, origines ethniques et couleurs de peau. A la fois sur le plan idéologique et organisationnel du mouvement, ces divisions s’avèrent aussi difficiles pour le mouvement féministe qu’elles ne l’ont été pour la société dans son ensemble. Pour certaines féministes, cela n’est pas considéré comme des problèmes ; alors que pour certaines autres, ils sont considérés comme subordonnés à la lutte pour le pouvoir. D’autres encore, principalement les féministes radicales, sont divisées quant au processus par lequel les questions de classes, d’origines ethniques et de couleurs de peau devraient être incorporées au sein du mouvement des femmes.

Pour les différents types de féministes radicales (et les anarchistes sont l’une d’entre elles), il existe des opinions supplémentaires constituant leurs théories. L’insistance sur la cohérence des fins est des moyens, notamment dans la vie quotidienne, est centrale dans toutes les perspectives radicales.

5. Le personnel est politique.

Le « politique » est défini comme allant au-delà des maigres actualités des gouvernements formels. Il inclut tout ce que nous faisons dans la vie quotidienne, tout ce qui nous arrive, et chaque interprétation que nous en faisons.

Comme les cultures différencient les personnes sur la base du sexe, les femmes ont un éventail d’expériences différent de celui des hommes. Même des expériences similaires seront porteuses de sens différents. Il en résulte que les femmes (et les hommes) ont développé des sous-cultures différentes. La reconnaissance de cette différence culturelle est exprimée dans d’autres affirmations de la théorie féministe.

6.il existe une sous-culture féminine séparée, identifiable dans chaque société.

Les éléments distinctifs de cette culture sont généralement ceux centrés autour des activités concernant l’entretien, tel que les tâches ménagères ou l’agriculture de subsistance, et des activités incluant des relations personnelles, telles que le réconfort, l’empathie et la solidarité (certains types de pensée féministes y incluent la spiritualité.)

La plupart des féministes radicales pensent que les éléments de la culture féministe sont préférables à leurs analogues masculins dans la culture dominante. Certaines d’entre elles s’arrêtent tout naturellement à ce stade, choisissant de vivre (et de travailler si possible) au sein de communauté de femmes. D’autres, affirmant la supériorité de la culture féminine, et souvent, par implication, la supériorité des femmes, ont souvent avancé qu’une société contrôlée par des femmes ne présenterait pas les caractères oppressifs des sociétés patriarcales. Certaines d’entre elles ont élaboré des théories matriarcales des sociétés passées et futures.

Comme toutes les théories politiques, le féminisme radical comporte un ensemble d’énoncés sur comment le changement va survenir. (Beaucoup d’entre eux sont décrit dans mon essai « Building a revolutionary transfer culture »

(Social Anarchism, n°4, 1982). Deux exigences centrales sont présentes dans le transfert culturel féministe :

7. L’individu travaillant collectivement avec d’autres est le centre du changement.
8. Les institutions alternatives construites sur les principes de la coopération et de l’aide mutuelle sont les formes organisationnelles pour ce changement.

Les transformations sociales significatives ne proviennent pas d’individus travaillant seuls. Elles viennent d’organisations d’individus dans un cadre d’aide mutuelle et de coopération. Dans cet esprit, les féministes radicales et les anarchistes sociaux ont construit un nombre impressionnant d’organisations et de réseaux : des collectifs de médias, des cliniques, des troupes de théâtre, des écoles alternatives, des entreprises à but non lucratif, des centres communautaires, et bien d’autres encore. Les organisations bâties par les féministes radicales sont souvent développées à partir de principes anarchistes même si, comme le souligne Peggy Kornegger dans son essai « Anarchism : The Feminist Connection« , ce développement est généralement intuitif. Au contraire, pour les féministes anarchistes, le lien est explicite. La liberté est un concept important dans le féminisme radical, même si il n’est pas souvent explicitement ou clairement exprimé. Une affirmation essentielle souligne ce que quelques anarchistes ont appelé la conception « négative » de la liberté. C’est un principe qui affirme la nécessité d’une société organisée de telle manière que les individus ne peuvent pas être traités comme des objets ou utilisés comme instruments à quelle que fin que ce soit.

9. Tous les individus ont le droit d’être libres de toute coercition, de toute violence physique ou morale.

Une raison pour laquelle le lien n’est pas souvent exprimé clairement dans les théories féministes radicales, est peut-être parce que ses implications dépassent les seuls cadres de ces théories pour entrer dans celles des féministes anarchistes. Comme l’écrit L. Susan Brown dans « Beyond Feminism : Anarchism and Human Freedom » 2 :

Tout comme on peut être féministe et s’opposer au pouvoir… il est également possible et pas incohérent pour une féministe d’adhérer à l’idée d’usage du pouvoir et de plaider la domination sans renoncer au droit d’être féministe.

Être libre de toute coercition signifie que l’on doit vivre dans une société où les formes de pouvoir institutionnalisées, la domination et la hiérarchie,, n’existent plus. Pour les anarchistes, le pouvoir est la question centrale.

10. Personne ne devrait soumettre ou exercer un pouvoir sur une autre personne.

Les anarchistes renient l’état-nation et se considèrent travailler pour sa délégitimation et sa dissolution. Ce sont les dirigeants d’états qui revendiquent le droit de définir l’autorité légitime, incluant l’autorité de structurer les dispositions de pouvoir et le monopole du droit à la mobilisation des forces militaires et policières. Les féministes radicales travaillent à mettre fin au patriarcat, c’est à dire à la domination masculine sur les femmes à travers la force et l’acceptation institutionnalisée de l’autorité masculine. Pour elles, l’état et le patriarcat sont deux aberrations jumelles. Donc, détruire l’état, c’est détruire le principal agent du patriarcat institutionnalisé ; abolir le patriarcat, c’est abolir l’état tel qu’il existe aujourd’hui. Les féministes anarchistes vont plus loin que la plupart des féministes radicales : elles avertissent que l’état est par définition toujours illégitime. Pour cette raison, les féministes ne devraient pas travailler dans le cadre électoral de l’état ni essayer de substituer des états féminins aux états masculins actuels. Certaines féministes radicales soutiennent, comme je l’ai dit, qu’une société contrôlée par les femmes ne présenterait pas les caractéristiques oppressives d’une société patriarcale ; les féministes anarchistes répondent que la structure même de l’état crée les inégalités. L’anarchisme est le seul mode d’organisation sociale capable d’éviter la répétition des inégalités sociales.

Les féministes anarchistes savent ce que d’autres radicales ont souvent appris à travers d’amères expériences : le développement de nouvelles formes d’organisation destinées à se débarrasser de la hiérarchie, de l’autorité et du pouvoir demandent de nouvelles structures sociales. En outre, ces structures doivent être construites soigneusement en entretenues régulièrement afin que les organisations fonctionnent sans heurt et efficacement, et que, ainsi, des élites nouvelles et informelles n’apparaissent pas. Si il existe un principe fondamental de l’action, il est que nous avons besoin de cultiver l’habitude de la liberté afin de l’expérimenter constamment dans nos vies quotidiennes.

Elaine Leeder souligne dans son essai « Let Our Mothers Show the Way, » que ce sont des femmes anarchistes qui ont élargi les frontières de la pensée anarchiste dominée par les hommes. Certes, les anarchistes sexistes existaient, tout comme aujourd’hui, mais comme le note Susan Brown , elles ne l’ont fait » seulement en contredisant leur anarchisme. »

NDT

1.Quelques documents en ligne

Elaine Leeder Le féminisme comme processus anarchiste. La pratique de l’anarcha-féminisme
L. Susan Brown
Does Work Really Work ?
Beyond Feminism : Anarchism and Human Freedom
Peggy Kornegger, Anarchisme : La Connexion Féministe
Carol Ehrlich Socialism, anarchism and feminism
Neala Schleuning The Abolition of Work and Other Myths
Jane Meyerding
Life as She is Lived : A meditation on gender, power, and change
Choosing Marginality

2. Voir note 1, L. Susan Brown


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