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Yulia Tsvetkova : « Lorsque nous avons commencé à aborder les questions liées au féminisme ou aux LGBT, cela a déclenché un tsunami de haine et de menaces. »

posté le 24/11/20 par soutien à Yulia Mots-clés  répression / contrôle social  antimilitarisme  antifa  féminisme  LGBTQI+ 

Texte traduit du castillan au français d ‘aprés :
https://www.elsaltodiario.com/feminismos/cuando-empezamos-a-tocar-temas-relacionados-con-el-feminismo-o-lgbt-inicio-un-tsunami-de-odio-y-amenazas
interview réalisée et traduite du russe au castillan par : Jose Ángel Sánchez Rocamora
Alona Malakhaeva
publié en sept.2020

La professeuse d’art féministe Ioulia Tsvetkova affronte la politique répressive du gouvernement russe après avoir publié des dessins vindicatifs qui ont été qualifiés de pornographie.

Yulia Tsvetkova, professeuse d’art, féministe et défenseuse des droits pro LGBTQIA+ d’une petite ville de Russie, a été accusée d’infractions pénales pour avoir publié des dessins vindicatifs décrits comme de la "pornographie et de la propagande pour des relations sexuelles non traditionnelles entre mineurs".

Son cas est un autre exemple de la répression et des constants montages judiciaires du gouvernement russe contre les militant-e-s. Elle est actuellement en attente de différents procès pour lesquels le ministère public demande plus de sept ans de prison.
Pendant que nous l’interrogions, elle nous a dit qu’elle avait été contrainte de signer un accord de non-divulgation sur la conduite de l’enquête judiciaire, de sorte que nous ne pouvions plus lui poser de questions à ce sujet.

Tu as été poursuivie pour "distribution de matériel pornographique" concernant votre groupe de réseau social VK "Les monologues du vagin", mais en réalité, quel était le contenu de ce groupe ?

Toute l’histoire autour de ce groupe est pleine de mythes. Dans le groupe, j’ai publié des images artistiques avec des allusions aux organes féminins. De plus, ce ne sont pas mes dessins : ce sont des œuvres de différent-e-s artistes, principalement des femmes, parfois très célèbres, du monde entier. Le groupe a existé pendant un an et demi et comptait 100 abonné-e-s, je l’avais créé après avoir lu la pièce, je me suis beaucoup identifiée car j’ai aussi été victime de violences sexuelles. J’ai donc décidé de le présenter à un niveau informatif pour le partager avec d’autres.

Aujourd’hui tes dessins issus du projet "La femme n’est pas une poupée" sont devenus célèbres, même en dehors du pays. Pensais tu qu’ils provoqueraient tant de réaction en Russie ?

Honnêtement, c’était un projet très temporaire, je ne l’ai même pas considéré comme tel. Il s’agit d’une série de croquis rapides sur le thème du corps positif, du mouvement pour l’acceptation du corps, que j’ai publiés sur mon profil VK. Pourquoi ont-ils provoqué tant de réactions en Russie ? Je ne sais pas. Ils ont été envoyés deux fois à l’évaluation pour confirmer qu’ils contenaient des éléments pornographiques.
L’évaluation officielle est un processus très complexe, bureaucratiquement compliqué et coûteux. L’argent pour cette expertise provient du budget de l’État, de nos impôts. Et tout cela pour six dessins tout simples. J’ai d’autres projets artistiques beaucoup plus importants. L’attention portée à ces dessins signifie que c’est un sujet très sensible en Russie. Je le relie à l’éducation culturelle et sociale en Russie. Si une personne connaît au moins un peu l’histoire de l’art, a vu quelques peintures, a visité des musées, il lui est difficile de s’indigner que le corps humain soit nu ou non, car l’art est basé sur lui, entre autres choses. Mais si l’on vit à Komsomolsk de l’Amur, où nous n’avons qu’un seul musée consacré aux explorateurs et aux colons de la taïga, d’où peut sortir cette vision de la beauté et de la normalisation du corps ?

"Tu marches dans la rue et tu vois beaucoup de publicité avec des femmes à moitié nues, avec des slogans sexistes, une publicité qui est déjà interdite dans de nombreux pays, mais pas en Russie"

Les enquêteurs, les policiers, les juges, les administrateurs sont pour la plupart des hommes habitués à la perception sexualisée du corps féminin. Tu marches dans la rue et tu vois beaucoup de publicité avec des femmes à moitié nues, avec des slogans sexistes, une publicité qui est déjà interdite dans de nombreux pays, mais pas en Russie. Pour eux, c’est quelque chose de "normal" maintenant puisqu’ils sont habitués à voir le corps de cette façon. Puis ils voient mes dessins et ils voient un corps qui n’est pas destiné à leur consommation, donc ils le comprennent comme un défi contre leur normalité, c’est pourquoi ils le voient comme de la pornographie. Un autre objectif pourrait être de m’incriminer pour un crime honteux afin de me donner une mauvaise image alors qu’ils savent parfaitement que mes dessins ne contiennent pas de pornographie.

Quelles sont les enquêtes en cours contre toi et quels sont les délits qu’elles impliqueraient ?

Une enquête pénale sur la "pornographie" et plusieurs enquêtes administratives sur la propagande en faveur de valeurs non traditionnelles chez les mineur-e-s. Certains des dessins servent à soutenir les familles de la diversités, également plusieurs d’entre eux qui ne sont pas les miens, c’est pour les avoir publier dans mon profil VK. J’ai déjà payé deux amendes de 100.000 roubles au total, soit environ 1.200 euros. Bien que je pense que les administratives servent davantage à alimenter l’accusation pénale car elles comptent comme une circonstance aggravante pour le juge, c’est-à-dire pour témoigner que je suis une multirécidiviste. En fait, il devrait y avoir plus d’enquêtes contre moi, parce qu’il y a eu plus de plaintes, trois ou quatre sur l’extrémisme, la propagande et la pornographie, mais heureusement elles n’ont pas abouti.

Komsomolsk de l’Amur est une petite ville de 270 000 habitant-e-s où la promotion des initiatives sociales est très différente en comparaison de celles de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Outre l’activisme dans les réseaux sociaux, as tu mené d’autres types d’activités sociales où il y avait aussi de la répression ?

Oui, principalement dans l’art communautaire et mon objectif a toujours été de faire quelque chose à ce sujet dans ma ville. Il est vrai qu’il y a beaucoup de différences entre Moscou et Komsomolsk de l’Amur : c’est une ville lointaine, isolée, entourée par la taïga où il n’y a qu’une seule route qui aboutit à Komsomolsk et il faut six heures pour se rendre à l’aéroport le plus proche. Il n’y a pas d’organisation sociale ou d’activisme d’aucune sorte ici. Le principal problème est la fuite des jeunes, c’est-à-dire que celleuyx qui peuvent partir, partent, la jeunesse, les personnes qui ont une pensée ou des idées plus larges que les traditionnelles. La plupart des gens pensent que rien ne peut être fait à Komsomolsk.

C’est l’idée que je voulais changer, c’est ainsi que sont nés les ateliers féministes, le théâtre militant "Merak" et le centre social communautaire. Qui a dit que parce que c’est une petite ville, on n’a pas besoin d’un espace communautaire ? Au contraire, il est très nécessaire.
Ces projets sociaux ont été mis en place par moi-même ou avec l’aide de ma mère et d’un groupe d’enfant-e-s et d’adolescent-e-s âgés de 12 à 17 ans. C’était des activités théâtrales, des activités écologiques ou d’urbanisme social, par exemple, nous avons fait des sculptures qui attiraient l’attention sur le problème de la pollution dans la ville, presque tout était éducatif, c’était le seul espace social qui existait. Nous avions également des programmes visant à l’orientation professionnelle. Nous avons consacré beaucoup de temps à l’art, aux expositions, aux foires, à l’expression artistique, tout cela bien sûr dans une logique de l’assembléisme et d’autogestion, le centre a fonctionné pendant presque deux ans, même quelques mois après l’ouverture des enquêtes pénales contre moi.

Comment l’initiative de créer le centre social a-t-elle été reçue ?

La première réaction a été très positive car j’ai eu le soutien de ma mère qui travaillait dans un centre éducatif depuis plus de 20 ans. Autrement dit, j’avais des gens qui me soutenaient et qui avaient une vision plus ouverte. Le théâtre, par exemple, a commencé très vite, et nous avons immédiatement monté des spectacles dans le théâtre municipal, la plus grande scène de la ville. Les médias ont parlé de nous en termes très élogieux, puisque la ville est très petite, toute activité alternative attire beaucoup d’attention, donc en quelques mois, beaucoup de gens ont commencé à nous suivre.

"Nous avons commencé à aborder les questions liées au féminisme ou aux LGBTI, ce qui a provoqué un tsunami de haine et de menaces tant dans les réseaux sociaux que physiquement, par exemple lorsque nous avons essayé de créer le premier cabaret féministe non mixte. »

Plus tard, nous avons commencé à aborder les questions liées au féminisme ou aux LGBTI, ce qui a provoqué un tsunami de haine et de menaces tant dans les réseaux sociaux que physiquement, par exemple lorsque nous avons essayé de faire le premier cabaret féministe non mixte, surtout en raison de l’annonce que l’entrée était réservée aux femmes (femmes/lesbiennes/trans), ce qui est logique dans ce type d’événement.

Les principales difficultés ont commencé avec le festival de théâtre "Fleurs de Safran" que tu as organisé, plus spécifiquement pour l’un des spectacles appelés "des Roses et des bleus". Que s’est-il passé ?

Il est vrai que les problèmes ont commencé avec le festival, même si nous ne savons pas exactement ce qui a déclenché tout le scandale, puisque nous avons eu plusieurs spectacles qui ont touché à des questions sociales comme la pièce sur les stéréotypes de genre qui s’est avérée être appelée "Pink and Blue" (en russe, ces couleurs, en plus d’être des couleurs stéréotypées des deux genres, sont des euphémismes pour les mots "lesbienne" et "gay"), ou celle qui avait un message anti-militariste où il était clairement indiqué que le slogan officiel "On peut le refaire ! " du jour de la Victoire de la Seconde Guerre mondiale (l’une des principales fêtes de la Russie) est totalement infâme car il représente la guerre comme quelque chose de souhaitable.

L’antimilitarisme a toujours été et reste l’un des principaux thèmes du centre social communautaire.

Komsomolsk était la capitale du goulag en Extrême-Orient. C’est la plus grande partie de l’histoire de toute la ville, mais à cet égard il y a un problème de mémoire historique, tout le monde fait comme si rien ne s’était passé ici. Je me demande donc sans cesse quelle pièce paraîtra la plus dangereuse ? une discussion sur la connaissance de soi ou une réflexion sur la paix et la non-violence ? Peut-être les deux ensemble. Il se peut qu’ils aient été effrayés par le fait que nous avions eu cette initiative, même dans l’administration lorsqu’ils m’ont réprimé sur ce qui s’était passé, ils m’ont demandé juste cela ; pourquoi avez vous organiser quoi que ce soit ? Mais oui, je peux dire que c’était le point de non-retour, à partir de ce moment, j’ai été appelée au poste de police tous les deux ou trois jours, pourtant que ce qui m’a le plus indigné, c’est quand la police a commencé à poser des questions aux enfant-e-s dans le théâtre.

Après tout ce qui s’est passé, il y a encore des gens qui me suivent et me soutiennent beaucoup, mais il y en a aussi d’autres qui répètent l’opinion de la majorité et si la société nous juge pour ce que nous faisons, illes seront aussi contre. D’autre part, la censure est très forte et l’opinion publique se soumet à l’opinion du gouvernement.

"Un jour, ils sont entrés dans l’école, ont sorti une fille de sa classe et l’ont interrogée encerclée de cinq personnes pendant trois heures, en la menaçant qu’elle ne finira pas le lycée, l’ont interrogée sur les LGBT et le féminisme, la même chose est arrivée aux autres enfant-e-s. »
Comment interrogèrent-ils les personnes mineures ?
Sans aucune plainte, sans ordonnance du tribunal, c’était complètement illégal, ils n’avaient même pas le consentement des parent-e-s. Un jour, ils sont entrés dans l’école, ont sorti une fille de sa classe et l’ont interrogée encerclée de cinq personnes pendant trois heures, ils l’ont maintenue sans nourriture, sans pouvoir appeler ses parent-e-s, menaçant qu’elle ne terminerait pas le lycée, ils l’ont interrogée sur les LGBT et le féminisme, la même chose est arrivée aux autres enfant-e-s, la moitié d’entre elleux ont entendu cette abréviation pour la première fois. Finalement, nous avons fait en sorte que le festival soit réservé aux parent-e-s, et nous avons enregistré une vidéo que nous avons ensuite montrée à d’autres festivals ou centres sociaux en Russie. Même si nous avons procédé de cette manière, la police s’est présentée aux représentations en raison de plaintes d’homophobes, pour rechercher des mineur-e-s, même si les événements s’adressaient à des personnes de plus de 18 ans.
Qui t’a menacé ?
A plusieurs reprises, Timur Bulatov (un des plus grands activistes homophobes de Russie qui travaille à la création de faux rapports et de montages judiciaires, autoproclamé "djihadiste moral" et créateur de la page "LGBT CRIMINEL" où il publie les données personnelles des activistes), SERB (collectif russo-ukrainien d’idéologie nazie), PILA, (organisation de "chasseurs" LGBT, tueurs présumés de l’activiste Yelena Grigoryeva*) et l’État masculin (organisation nationaliste et misogyne).
As tu bénéficié de soutiens en Russie ?

Oui, j’en ai eu beaucoup, surtout de la part du Centre social LGBT de Moscou, du Réseau LGBT russe, de l’organisation sociale Côtes de Éve et de l’organisation de mémoire historique, "Memorial", qui m’a reconnu comme prisonnier politique. Amnesty International m’a également apporté un grand soutien dans le domaine des médias et j’ai reçu le prix de la liberté d’expression décerné par Index on Censorship, alors que j’étais assignée à résidence, ce qui est très significatif car l’autre fois, il a été décerné en Russie à la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa. Bien que pour moi le plus important ait été celui des militant-e-s individuel-le-s, car en Russie il est très dangereux de manifester seul-e même si c’est légal, en fait la seule façon légale de protester c’est individuellement.

Une autre forme de solidarité a été les campagnes médiatiques dans les réseaux sociaux, quelque chose de totalement nouveau pour la Russie, où j’ai pu voir non seulement comment ellils m’ont soutenue, mais aussi comment ellils ont diffusé mes idées sur le corps positif, le féminisme ou la LGTB. Il y a deux ans, je n’aurais pas pu imaginer que l’on parle autant de ces questions au niveau national autrement que pour les juger ou les condamner. Il faut beaucoup de courage pour organiser une manif parce qu’il est très dangereux de s’exprimer. Lors des manifestations contre mon procès, des membres du groupe homophobe ultra-orthodoxe "Sórok sorokov" sont apparus et ont attaqué et insulté les féministes, la police au lieu de les arrêter ou d’empêcher la violence, ont arrêtées toutes les femmes qui manifestaient. Les violences policières de ce jour-là ont surpris même les militantes les plus expérimentées.

Quelles sont tes attentes pour l’avenir ?

Tout le monde attend quelque chose de moi, mais moi désormais je n’attends plus rien. En ce sens, je me sens très pragmatique maintenant, je prépare ma défense pour le procès, en essayant de maintenir les émotions en marge. Je sais qu’il est important de continuer à parler de ma situation pour montrer tout ce qu’il reste à faire en termes d’acceptation du corps féminin et de liberté sexuelle des femmes. Il est important qu’il se sache qu’un pays censé être démocratique est prêt à emprisonner une femme pour avoir accepté son corps. C’est déjà une petite mais grande victoire, surtout si les gens comprennent que ce ne sont pas des sujets honteux et sales, que le corps d’une personne n’est pas de la pornographie.

Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite) avec vérifications et réajustements !

* réf. Wikipédia fr :
Yelena Grigoryeva (1979 - Saint-Pétersbourg, 21 juillet 2019) est une militante russe. Elle a défendu les droits humains et LGBT en Russie. Elle s’oppose à l’Annexion de la Crimée par la Russie, critique le traitement des prisonniers et millite pour davantage de démocratie en Russie. Elle milite également au sein de Alliance of heterosexuals and LGBT for equality (Alliance des personnes hétérosexuelles et LGBT pour l’égalité).
Elle est assassinée le 21 juillet 2019 à Saint-Pétersbourg après avoir été poignardée et étranglée par des agresseurs inconnus, suite à la publication de ses données personnelles sur le site « Saw », nom du film d’horreur américain. Le groupe encourage son lectorat à traquer et assassiner des personnes LGBTIQ+ figurant sur une liste publiée. Le site web est bloqué en Russie mais une nouvelle liste d’activistes, de journalistes et personnes LGBTIQ+ circule sur les réseaux sociaux encourageant le meurtre des personnes LGBTIQ+. Elle avait dénoncé leur compte facebook et avait alerté les pouvoirs policiers des menaces dont elle souffrait. Mais ces derniers n’ont rien fait et par la suite ont nié le caractère politique et meurtrier des menaces dont elle s’était plainte.
Sur la dernière image d’elle postée sur son profil Facebook, on la voit tenant un poster en soutien de trois jeunes adolescentes qui ont tué leur père après avoir subi des années durant de la maltraitance et des abus sexuels.


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