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à propos de la reclaim the night du 11/02- Qu’est-ce qu’un tag dans un monde où la police viole à coup de matraque ?

posté le 02/03/17 par anna Mots-clés  féminisme 

Qu’est-ce qu’un tag dans un monde où la police viole à coup de matraque ?

"C’est une bataille lasse
Qui me laissera des traces
Mais de traces je suis faite
Et de coups et de défaites"

Un tag ?...une manière bien inoffensive d’exprimer nos désirs et nos aspirations, d’affirmer nos existences, de laisser libre cours à nos créativités débordantes, de hurler nos larmes, nos douleurs et notre révolte.Une manière de marquer le coup, de signaler notre passage, de faire des clins d’yeux à toutes celles et ceux qui nous suivront sans nous voir et nous rencontrer, une manière de faire savoir qu’on est pas seul.e.s à ne plus supporter en silence de vivre étouffé.e.s. dans nos têtes, nos corps et nos lieux de vie par des normes de comportement sexistes, racistes et patriarcaux, et par la violence et la culpabilisation qui les accompagne et leur garantit une pérennité. Une manière de sortir de l’isolement et de briser le silence du déni qui entoure toutes les formes de violences sexistes (harcèlements, humiliations, discriminations, assignation de genre, psychiatrisation, exploitation, coups et injures, viols et meurtres).
En somme, le but que se donnait la marche de nuit féministe organisée le samedi 11/02 à Bruxelles, et qui a regroupé environ 150 femmes, meufs, gouines, transgenres.

Le 11/02, il y a une semaine maintenant. Une semaine passée à continuer une vie normale en
courant après la montre pour prendre des nouvelles les unes des autres, rédiger des textes, aller voir des médecins et se remettre d’une énième manif qui finit sur une forme violente de répression policière. La triste part du quotidien militant pour qui lutte contre toutes les formes d’oppression.
Une semaine passée à se souvenir, par éclair, des insultes, des coups, des images de copines
extirpées brutalement, étranglées par des matraques, jetées au sol ;
Une semaine passée à observer les traces bleues, jaunes, vertes et rouges qu’ils ont laissées sur nos corps, à masser chevilles, poignets, genoux, doigts enflés, nuques et dos malmenés, os brisés, à faire constater par des médecins, pour certaines d’entre nous. A veiller sur nos émotions, sur nos sommeils...Ces traces, qui nous rappellent celles laissées sur nos corps et nos esprits par des conjoints, des parents. Qui font écho aux récits des violences subies par les parties les plus vulnérables et précarisées de la population au quotidien, dans certains quartiers, dans les centres fermés, les commissariats, les hôpitaux psychiatriques, les prisons.
Qui nous rappellent amèrement que ce monde se construit et se pérennise à travers cette violence, par l’action de ses agents, qui voudraient nous rappeler au calme et au silence, par la terreur. Au chacun.e.s pour soi, chez soi. Au sacro-saint respect de la propriété privée, supplantant celui des personnes dans cet État de droit.
On voudrait ne pas finir blasé.e.s, cyniques ou sidéré.e.s devant une telle vague de brutalité, qui se banalise par son omniprésence et son intensité. Comment se renforcer sans jouer les dur.e.s, comment ne pas laisser nos larmes étouffer nos révoltes et noyer nos rêves et nos désirs d’un monde à notre mesure dans des flaques de désillusion et de découragement ? Comment rassembler le courage, l’inspiration et la force nécessaire pour faire face à cette attaque ?

Peut-être aussi en célébrant avec joie de ce qui nous a rassemblé.e.s, uni.e.s, réchauffé.e.s.
En lisant les différents textes publiés cette semaine, relatant heure par heure le déroulement de la manif on y retrouve tous les sourires complices, les chants, les slogans, les bras qui nous serrent, les mains qui se tendent, les tours pipi, l’écoute, les milles petites attentions les un.e.s aux autres qui font notre force, les insultes qui fusent contre les keufs en réponse à leurs remarques et leurs attitudes désolantes d’abrutis décérébrés (quelle peine d’être forcé.e.s de constater une fois de plus l’inertie de l’existence hermétique de ce type de personnes, conditionnées à l’unique forme de rapport, celui de la force...).
Parce qu’on a pris des coups oui, mais on a aussi su s’en défendre, on a aussi su se serrer les coudes.Et que c’est important de s’en souvenir et de le raconter. On est pas toujours vaincu.e.s. Et il y a de quoi en être fièr.e.s (vénèr.e.s, pas prêt.e.s à se taire !). En fait juste se dire pourquoi c’était pas juste un drame, pourquoi ça a valu la peine et pourquoi on voudrait que ça recommence.

LA Vérité est l’affaire de la police, celle des histoires qu’ils racontent, n’hésitant pas à inventer pour combler les lacunes, pour défendre leurs actions. Elle s’abat indistinctement sur celui ou celle qui fait, ou qui ne fait pas. Une fois dans leurs mains, armées, elle nous désigne, nous encercle, nous matraque et nous enregistre.
Cette Vérité est une affaire d’intérêt, à défendre, à attaquer. C’est celle des juges et des tribunaux, des avocats. Elle n’admet qu’une seule proposition et tranche les débats en pour ou contre, pour ou contre les tags, pour ou contre les violences policières.
Lui répondre sur son terrain c’est faire une proposition univoque, qui devraient s’imposer aux autres. C’est assumer le dialogue, la reconnaissance et la défense du rôle de chacun des protagonistes de la situation. C’est critiquer les moyens d’action de la police, mais pas sa présence ni son utilité.

La vérité que ce texte cherche à dire n’est pas univoque ; elle n’est que le point de vue d’une personne prise dans le tumulte d’un mouvement de foule, cherchant à identifier et pointer des éléments qui semblent avoir échappé aux regards ou à la compréhension d’autres, relatant la manif. Parce que dans ce moment comme ailleurs on était tout.e.s différent.e.s, nos vécus, nos sensibilités,nos expériences et même notre position dans la foule !
De même que la manif était sauvage, que le parcours n’avait pas été communiqué à la police, de même ce texte ne s’adresse pas à eux, il s’adresse à celles et ceux qui, présent.e.s ou pas, s’y reconnaîtront.

Nos différences ont été notre force dans ce moment, parce que dans la rue il n’y a pas eu de
dissociation. Quand, avant le départ du Mont des arts, les flics sont venus demander que le trajet leur soit communiqué, personne n’a été contre la décision de ne pas leur transmettre.
Une fois joyeusement engagées dans les rues du centre ville, descendant vers la grand-place, on chantait ensemble, on gueulait nos slogans, repris en choeur « fièr.e.s, véner.e.s, pas prêt.e.s à se taire ! », « à qui la rue ? À nous la rue ! », « à bas l’État et le patriarcat ! », « flics, violeurs, assassins ! » (rappelant le viol récent de Théo en France, et les multiples assassinats commis par la police, en Europe et ailleurs), on distribuait nos tracts, expliquant le pourquoi de la manif, on échangeait avec des personnes croisées en route sourires et encouragements, et ça et là apparaissait sur les murs de jolies couleurs réjouissantes.

Pendant tout ce temps, un flic en civil, identifié par certain.e.s dès le début de la marche, suivait la marche en queue de cortège. Au moment où un relou a cherché à nous imposer sa présence et qu’il a persisté dans son effort, malgré les demandes qu’il s’en aille, les « dégage ! », quand les signaux convenus pour signaler une telle situation aux autres ont apparu et qu’on a commencé à se rassembler pour l’éjecter de manière plus efficace, c’est lui qui s’est alors précipité au secours du pauvre homme pour l’éloigner de cette foule en furie.

Plus tard, alors que la manif continuait joyeusement son trajet c’est lui et deux autres de ses collègues en uniforme qui l’avaient rejoint une rue plus tôt, qui ont foncé sur le côté du cortège pour tenter de se saisir de certain.e.s d’entre nous (sous le prétexte, qu’ils évoqueront plus tard, de tags).
La réaction a été désordonnée mais spontanée, pour certaines de signaler une intrusion de
« relous », pour d’autres de tenter par tous les moyens de soutirer nos potes aux mains des keufs. Ce mouvement de groupe nous a heureusement permis de libérer les copin.e.s ! Ce qui a évidement déplu aux flics...et quand ils se sont retrouvés à trois au milieu de la foule, soit par « détresse », soit par frustration de ne pas avoir réussi leur opération, ils ont commencé à frapper à tout va.
Là aussi, tant bien que mal on a réagi ensemble, tenté de faire bloc, et on les a repoussé hors du cortège.
Celles et ceux qui se trouvaient désemparés et affolés sur le moment ont pu trouver des regards, des mains et des bras réconfortants, certain.e.s autres ont réussi à se faufiler à temps hors de portée de la police et de la rue. Aucun.e.s, pour autant, n’a été traité.e de provocateur/ice, lâche, ou traître.

Quand par manque de ressort et de temps pour nous coordonner et décider d’une action collective, on s’est retrouvé.e.s complètement encerclé.e.s, on s’est soutenu.e.s les un.e.s et les autres, en chantant pour se rassurer et se donner du courage, en faisant résonner les tambours pour se sentir vibrer et scander notre cadence, en criant et insultant les flics pour se sentir fort.e.s, par les milles et unes petites attentions, gestes et paroles qui font notre pouvoir, par les sms et coups de téléphone vers l’extérieur pour rameuter du monde...chacun.e y a été de ses qualités et des ses ressorts pour réagir. Ensemble ça nous a aidé à tenir.

Quand ils ont annoncé qu’ils nous laisseraient sortir deux par deux en nous identifiant, celles et ceux qui ont accepté n’étaient pas mis.es au ban par celles et ceux qui refusaient. Leur odieux chantage du « toi t’es gentille tu te laisses faire » contre « toi tu résistes tu mérites des coups » n’opérait pas.
Plus tard, quand les bras, les mains et les corps de tou.te.s se serraient pour faire bloc, se protéger de leurs assauts et résister à leurs arrestations, il y avait encore un vrai espace de communication et d’écoute pour se consulter et laisser partir qui n’en pouvait plus, sans jugement. Les chants, les tambours, les insultes et les harangues continuaient.

Et ils n’ont malheureusement fait que leur travail, comme ils le font toujours, violemment, en nous arrachant les un.e.s aux autres, en nous brutalisant pour nous fouiller et nous maintenir. En faisant pression et humiliant celles et ceux qui, par solidarité envers les personnes sans-papiers et celles dont le genre ne correspond pas à celui de leurs documents, refusaient de s’identifier, les agenouillant au sol, à côté d’un tas de merde.

Et c’est peut-être encore parce que celles et ceux qui furent libéré.e.s au compte-goutte, sont resté.e.s à attendre devant les rangs de flics qui bloquaient la rue, rejoint.e.s par toutes les personnes venu.e.s en soutien, que les dernièr.e.s, qui refusaient l’identification, furent relâchée.e.s et pas détenu.e.s pendant des heures au commissariat.

C’est cette attention et cette coordination qui nous a soutenu.e.s et renforçé.e.s. C’est celle qui était présente plus tard lors du débriefing, où les versions, les critiques et les émotions des un.e.s et des autres ont pu s’exprimer, s’écouter et se répondre. Celle qui a inspiré le bon repas chaud et réconfortant qui nous y attendait et la super boum à paillettes qui l’a suivi.

C’est de cette intelligence commune que pourraient s’inspirer nos stratégies de riposte et nos futurs désirs et moyens d’action. En refusant de laisser la répression et ses séquelles, peurs et blessures, nous isoler et nous jeter les un.e.s contre les autres.

Pas besoin d’être dures pour être fort.e.s, pas besoin d’être innocent.e.s pour être légitime à agir et se défendre.


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