RSS articles
Français  |  Nederlands

[antifa] - ​Le « Jihad chiite » en Syrie et en Irak

posté le 01/10/18 par http://jihadologie.blogs.liberation.fr/2018/04/12/le-jihad-chiite-en-syrie-et-en-irak/ Mots-clés  réflexion / analyse  antifa 

Lorsqu’il est question du terrorisme islamiste d’inspiration chiite et plus particulièrement du Hezbollah, la mémoire collective de notre société renvoie généralement aux attentats ayant ensanglanté Paris dans les années 80, notamment celui de la rue de Rennes en 1986, et bien entendu l’attentat à Beyrouth du Drakkar, en octobre 1983.

À l’énoncé de ce rappel historique, certains observateurs ont souvent tendance à considérer qu’il s’agit du passé et qu’il serait préférable de ne parler que de l’ennemi d’aujourd’hui, c’est-à-dire les groupes jihadistes sunnites, plutôt que de sans cesse se remémorer celui d’hier. Pourtant le terrorisme islamiste d’inspiration chiite est toujours d’actualité. Rappelons que si le Hezbollah a été placé en 2013 sur la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne (UE), c’est en raison de son implication dans un attentat à Bourgas, en Bulgarie, sur le sol européen [1].

C’est donc bel et bien un terrorisme qui est aujourd’hui toujours d’actualité.

Au cours de cet exposé nous n’évoquerons pas l’ensemble des terrains où évoluent des groupes se réclamant du Jihad chiite et nous privilégierons une présentation des activités menées par le Hezbollah en Syrie et au Liban ainsi que par les milices chiites irakiennes, en Syrie et en Irak.


I) Pourquoi parler de « Jihad chiite » ?

- A) Jihad et jihadisme

Nous avons choisi de distinguer « Jihad » et « jihadisme ». En effet, le concept de jihadisme est aujourd’hui à la mode et régulièrement employé pour désigner des groupes n’ayant pas grand-chose en commun. Ainsi les supplétifs syriens de l’armée turque ayant récemment mené l’offensive contre la ville d’Afrin, tenue par des miliciens kurdes, ont souvent été qualifiés de « jihadistes » par certains éditorialistes. De notre point de vue, le jihadisme renvoie à une idéologie spécifique « salafiste-jihadiste », dont se réclame l’Etat islamique et al-Qaïda, privilégiant la lutte armée comme mode d’action politique. Cette définition s’accorde mal avec l’islamisme politique du gouvernement Erdogan ou encore d’autres mouvements islamistes, quand bien même revendiqueraient-ils leur lutte au nom du Jihad, comme les sunnites du Hamas ou, ce dont il sera question au cours de cet exposé, des chiites du Hezbollah.

- B) Le Hezbollah et la banalisation du Jihad dans la société libanaise

La chaîne de télévision du Hezbollah, al-Manar, est très regardée dans la communauté chiite et il est très fréquent de la voir diffuser dans des cafés ou les restaurants populaires de la banlieue sud de Beyrouth. Cette chaîne diffuse pourtant régulièrement des clips faisant l’apologie du culte du « martyr », les kamikazes du Hezbollah de ces trente dernières années y sont régulièrement glorifiés. Au lendemain de la guerre de juillet 2006, ayant opposé le Hezbollah à l’armée israélienne, ce type de discours s’est banalisé dans d’autres secteurs de la communauté libanaise et parfois, dans l’euphorie de ce qui était présenté comme « une victoire divine » du Hezbollah, il n’était guère fait de différence entre Israël et l’Occident. Cette banalisation du Jihad dans la société libanaise a eu des conséquences sur la radicalisation de certains sunnites, comme l’a observé le politologue Bernard Rougier, dans son ouvrage L’Oumma en fragments : contrôler le sunnisme au Liban : « dans ce climat de célébration après le retrait israélien de mai 2000, marqué par une idéologie officielle de la « résistance », qui ne s’embarrasse guère de nuances pour distinguer l’action des Etats-Unis de celle d’Israël, le recours à la violence « contre les intérêts américains » s’impose comme une évidence » [2].

- C) Jihad et double discours du Hezbollah

Devant ses partenaires chrétiens ou musulmans sécularisés, le Hezbollah qualifie sa lutte de « résistance » (muqawama) s’intégrant dans un axe plus large dit de la « mumana‘a », que l’on peut traduire par « front du refus », dont les pièces maîtresses seraient le régime syrien de Bachar al-Assad et bien entendu la République islamique d’Iran. Au sein de la communauté chiite, dans les assemblées religieuses du Hezbollah, il est toujours question de « résistance » mais bien entendu davantage encore de « Jihad ». Ainsi, il n’est pas rare d’observer dans les quartiers de la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, de nombreuses affiches publicitaires vantant les mérites religieux obtenus par celui qui arme un « mujahid » (combattant du jihad) en finançant son équipement. Encore récemment, en janvier 2018, une affiche publicitaire dans la banlieue de Ghobayri, au sud de Beyrouth, comportait notamment le hadith du Prophète « man jahaza ghâzian faqad ghâza », ce qui signifie « celui qui a équipé un combattant a participé au combat », c’est-à-dire qu’il bénéficiera lui aussi des faveurs accordées aux combattants dans l’au-delà [3].

Ce double discours du Hezbollah concerne également les motifs de son jihad en Syrie. À leurs interlocuteurs occidentaux, les cadres du Hezbollah et leurs protecteurs iraniens pourront évoquer alternativement la lutte anti-terroriste ou encore la protection des chrétiens d’Orient, alors qu’en réalité ce Jihad fut d’abord légitimé par la volonté de protéger « l’axe de la résistance », et conserver ainsi un régime syrien acquis à la lutte contre Israël et à une étroite collaboration militaire avec la milice chiite libanaise. Enfin, ce Jihad a également pour objectif de préserver les mausolées chiites en Syrie, notamment celui de la banlieue de Sayyida Zaynab, au Sud de Damas. Toutefois, dans l’esprit des combattants chiites, ce jihad n’est pas que défensif il est également l’expression d’un sectarisme chiite, comme nous allons le voir dans la seconde partie de cet exposé.

II) Le « Jihad chiite » au miroir du « Jihad sunnite »

- A) La question du sectarisme

Si l’on ne peut pas comparer l’anti-chiisme radical de l’Etat islamique et d’al-Qaïda à un certain anti-sunnisme qui se développe en Syrie au sein des brigades du Hezbollah ou des milices chiites irakiennes, on constate néanmoins certaines similitudes dans le discours entre les jihadistes sunnites et les milices chiites irakiennes les plus radicales. Ainsi, en miroir de l’expression « Rawafid », désignant de façon péjorative les chiites, le terme « Nawasib », désigne les sunnites dans le lexique du chiisme fondamentaliste. En décembre 2015, le leader du Harakat Hizbullah an-Nujaba, Akram al-Ka‘bi a tenu les propos suivant dans la mosquée d’Al-Eis, une petite localité située au Sud d’Alep : « Mort aux Nawasib, nous avons remporté une victoire contre l’ennemi américain, sioniste, bédouin et nasibi » [4].

Autre élément du discours sectaire mis en avant par ces milices chiites, la rhétorique de la vengeance contre les Ommeyades, en référence au Califat de Damas, considéré dans l’historiographie chiite comme l’oppresseur des descendants du Prophète, vénérés dans le chiisme. Sur plusieurs vidéos en ligne, on voit des miliciens chiites, libanais ou irakiens, maudire les Ommeyades en réclamant vengeance pour Zaynab, la fille de ‘Ali, qui, selon l’historiographie chiite, aurait été persécutée par les Ommeyades, avant de bombarder une position tenue par les rebelles syriens [5]. Le mausolée de Zaynab fille de ‘Ali, située dans la banlieue sud de Damas, menacé au début de la guerre civile par les rebelles syriens, est devenu par la suite le centre de brigades chiites internationalistes avec des combattants venus du monde entier, parfois même d’Afrique noire.

- B) Un Jihad régional chiite

Si contrairement au sunnisme, il n’existe pas de réel Jihad global dans le chiisme, on constate néanmoins l’existence d’un « Jihad régional chiite », se jouant des frontières du Moyen-Orient. En Irak, les liens sont anciens entre le Hezbollah libanais et les milices chiites locales. Le cas d’Ali Musa Daqduq est à cet égard éloquent, capturé à Bassorah en 2007 par des soldats américains, il est libéré en 2012, près d’un an après le départ des troupes américaines. Durant son séjour en Irak, Ali Musa Daqduq fut le conseiller des ‘Asa’ib ahl al-Haqq, une milice dont le leader, Qais al-Khaz‘ali, avait déclaré en mai 2017 : « nous allons établir une pleine lune chiite et pas seulement un croissant chiite » [6]. Cette déclaration faisait bien entendu référence à la formule « croissant chiite », utilisé par le roi de Jordanie pour désigner, au lendemain de la chute de Saddam Hussein, la nouvelle dynamique chiite allant de l’Iran au Liban via l’Irak et la Syrie. Outre des menaces régulières envers les troupes américaines en Irak, Qais al-Khaz‘ali s’est rendu à la frontière du Sud du Liban en décembre 2017, vêtu d’un uniforme militaire, en tenant des propos provocateurs envers Israël [7].

- C) À travers Israël, c’est l’Occident qui est menacé par le Jihad chiite

Qu’on le veuille ou non, Israël est un pays occidental, qui demeure d’un point de vue culturel, stratégique, économique et politique assimilé aux pays d’Europe de l’Ouest et bien entendu aux Etats-Unis. En d’autres termes, les interactions sont tellement fortes entre Israël et les pays occidentaux que viser les intérêts de l’Etat hébreu dans le monde constitue également une menace envers l’Occident. Les touristes israéliens demeurent encore aujourd’hui une cible privilégiée du Hezbollah, comme le démontre l’attentat de Bourgas, où périrent cinq Israéliens en vacances en Bulgarie, et la tentative d’attentat du Hezbollah à Chypre [8], toutes les deux menées juillet 2012. Si contrairement aux jihadistes sunnites, il est laissé peu de place aux initiatives individuelles dans la préparation et l’organisation d’attentats, la branche du Hezbollah responsable des opérations extérieures n’a pourtant pas hésité à frapper l’Europe en 2012 et à préparer une série d’attentats aux Etats-Unis, dont le projet a été déjoué par l’arrestation de deux membres du réseau chiite en juin 2017 [9].

Dans ce contexte, compte tenu de la stratégie actuelle du Hezbollah, qui, si elle vise rarement les communautés juives locales, cherche en revanche activement à frapper les touristes israéliens circulant en Europe. Personne ne peut donc conclure aujourd’hui à l’impossibilité dans l’avenir de voir les partisans du Hezbollah commettre un attentat antijuif ou, plus probablement, anti-israélien sur le sol français.

******-----*****

[1] http://www.lepoint.fr/monde/bulgarie-le-hezbollah-...

[2] B. ROUGIER, L’Oumma en fragments : contrôler le sunnisme au Liban, Paris, PUF, 2011, p. 75.

[3]https://twitter.com/RomainCaillet/status/953356583...

[4]https://www.memri.org/tv/hizbullah-iraq-forces-fig...

[5]


posté le  par http://jihadologie.blogs.liberation.fr/2018/04/12/le-jihad-chiite-en-syrie-et-en-irak/  Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article
Liste des documents liés à la contribution
jihad_1.jpg


Commentaires

Les commentaires de la rubrique ont été suspendus.