Dans la catégorie des notions dans l’air du temps, je demande les « formes de vie » !
On pourrait inaugurer toute une nouvelle rubrique sur les concepts et notions à la mode, telle la disruption, l’empowerment (traduit par « empuissancement ») ou le concept chinois du « tianxia ». Aujourd’hui, j’aimerais ainsi vous parler de la notion de « forme de vie », en plein essor actuellement, et auquel est consacré un ouvrage collectif sous la direction d’Estelle Ferrarese et Sandra Laugier, paru aux éditions du CNRS. Que faut-il entendre par « formes de vie » ?
Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que les formes ?
Retrouvée grâce à la Discothèque de Radiofrance qui regorge de trésors, on peut entendre dans ce grand morceau de la variété française, Michel Fugain donner sa définition de la vie : « Ça sent la tartine, Et le café au lait au lit, C’est la vie ».
D’autres pourraient en donner des définitions différentes, et c’est bien le problème avec cette notion de « formes de vie » : que faut-il, déjà, entendre par « vie », et que faut-il entendre par « forme » ? Est-il question de la vie vécue, biographique, ou de la vie biologique ? Et les « formes » désignent-elles ce qui est purement formel ou ce qui informe le tout ?
Vous l’aurez compris, la notion de « formes de vie » semble avant tout nécessiter tout un travail de clarification : car les « formes de vie », qu’est-ce que c’est ? Est-ce que ça désigne nos manières de vivre ? Est-ce que c’est la manière dont la vie se forme ou la forme que prennent nos vies ? Et ces manières, sont-elles choisies ou subies, individuelles ou collectives ? Et pourquoi ce concept semble-t-il mettre l’accent sur une dimension concrète ou biologique, comme la vie, tout en faisant écho à des pratiques éthiques ?
Manipuler ce que l’on voit
C’est à Wittgenstein que l’on doit le développement de ce concept de « formes de vie ». Dans son commentaire du Rameau d’or de l’écossais James Georges Frazer, étude anthropologique en plusieurs volumes sur la religion, dont on vient d’entendre un extrait, il note l’impossibilité pour les sciences sociales de rendre compte de nos « formes de vie ». Et c’est encore un autre problème de cette notion : ce qu’elle dit et comment la saisir.
Encore une fois : l’expression de « forme de vie » en français est à la fois trop énigmatique, vaste, pleine de présupposés, et trop lisse, beaucoup plus courant en allemand (c’est Lebensform), elle ne renvoie en effet à rien d’autre, selon Estelle Ferrarese, qu’à un mode d’existence ou à une culture.
Mais c’est en fait tout l’enjeu d’une telle notion : difficile à définir et à saisir, c’est pourtant ce qui lui donne un attrait, son sens et la possibilité d’être manipulée, et non pas figée. À la manière d’un miroir, cette notion exprime, reflète, donne à voir les traits divers de nos pratiques, de nos mœurs à nos institutions (mode, lois ou goût), mais à la différence d’un miroir, elle ne présente pas que des images qui s’observent mais des traits qui peuvent se transformer.
L’accent sur la vie
À quoi ressemblent nos formes de vie et comment les modifier ? De fait, si les sciences sociales peuvent échouer à en rendre compte, les philosophes tels Wittgenstein, Cavell, Adorno, Foucault ou Agamben, sont parvenus à le faire, à la fois en les définissant et en les manipulant.
Pour les 1ers, par exemple, les formes de vie sont des formes du langage ordinaire, pour Foucault, on peut les rapprocher de la notion de « biopolitique », ou encore, pour Adorno, notre forme de vie, c’est notre forme de vie capitaliste.
Très intuitivement, une telle notion de « forme de vie » semble exprimer quelque chose de très vivant, à vif, dans nos manières quotidiennes, intimes, mais aussi sociales et politiques d’exister. Très simplement, l’accent est enfin mis sur ce qui est vécu, agi et pratiqué, et pas seulement pensé et chosifié…