RSS articles
Français  |  Nederlands

« l’école est un de ces enfers à la porte desquels il faut laisser toute espérance. »

posté le 31/10/20 Mots-clés  répression / contrôle social 

« Regardez, évoque un instituteur, ce bambin de six ans qui arrive à l’école pour la première fois. Il est très ouvert, parle au maître comme il le fait chez lui à son père et à sa mère. Demain il sera déjà plus renfermé. Après une semaine de classe sa loquacité du début sera complètement refroidie. Il murmurera à peine, lorsque l’instituteur s’adressera à lui, un « oui, m’sieu » ou un « non, m’sieu », s’il ne répond pas par un hochement de tête ». Il a senti tout de suite, en effet, dans l’attitude humble des autres, leur regard ébahi de son sans-gêne et dans le coup d’œil peu encourageant de son nouveau Mentor, que l’expansion bruyante et familière est ici déplacée. Et les conseils de ses petits camarades et l’invitation même du maître à plus de réserve et de distance ont tôt fait de confirmer cette impression. Il saura désormais que l’école aussi est un de ces enfers à la porte desquels il faut laisser toute espérance.

Son pauvre corps exubérant est la proie des règlements et des prohibitions. Il ne se meut qu’au commandement. Voici huit heures. Un coup de sifflet. Comme une nuée de moineaux fauchée dans son vol, les enfants s’interrompent dans leurs jeux. Sur deux rangs, la colonne franchit le seuil de l’école. Un silence brusque s’établit. Les coiffures s’abaissent. Salut déférent au caporal-pédagogue et au temple scolaire. Les élèves s’insinuent à leurs bancs et, au signal, s’asseyent. Dociles, en apparence du moins, à l’emploi du temps qu’appuie le vouloir du maître, ils se plient aux leçons qui, les mêmes jours, aux mêmes instants, accaparent leurs efforts. A l’ordre ils écrivent, à l’ordre ils récitent, à l’ordre, ils déplacent livres et cahiers. Un mutisme absolu et, à certains moments, l’immobilitécomplète sont exigés. Ils ne doivent parler que s’ils sont interrogés. Ils sortent, s’ils en éprouvent le besoin, après avoir sollicité la permission. Mais plus d’une fois un veto intempestif et royal le prend de haut avec la nature... Ils ont soin de s’adresser au maître, debout et sous les auspices d’un certain nombre de circonlocutions dénommées civilités, « Monsieur, apostrophent-ils, voulez-vous ?... » Car Lui seul a le privilège du tutoiement et peut user de leurs prénoms. Ils ne feront point de réflexion plaisante : il n’est que le maître pour se permettre un trait d’esprit... On les enverra se « récréer » sans s’inquiéter s’ils y tiennent, simplement parce que c’est l’heure. Quinze minutes, pas plus, et le même appel les saisira, et la même rentrée,selon le même rituel. Et ainsi toute la journée, ainsi la trame de toutes les journées. Leurs gestes sont catalogués. Des défenses multiples prévoient leurs moindres audaces : « Il est expressément défendu de descendre les escaliers en courant, de franchir plusieurs marches à la fois, de glisser sur les rampes, de se pencher sur la balustrade. Les élèves ne doivent pas ouvrir et fermer les portes sans permission, toucher sans autorisation au matériel d’enseignement, aux ustensiles et appareils divers installés dans l’école. Il est défendu... Sont interdits... »

Au diable votre arsenal de décrets et vos pancartes de chasses-gardées qui refoulent — parfois jusqu’à l’étouffement — l’nitiative chez l’enfant. Comment voulez-vous qu’en vos ternes lueurs permises et vos roides articulations d’automates quelqu’un apparaisse et s’affirme ?

Stephen Mac Say
Extrait de La Laïque contre l’Enfant (1911)


posté le Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article

Commentaires

Les commentaires de la rubrique ont été suspendus.