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La prétendue continuité du statut stigmatisant "d’indigène"

posté le 04/05/17 par  RENARD Michel (en 2006) Mots-clés  histoire / archive 

Postuler une continuité entre les "indigènes"

des anciennes colonies et les "discriminés" de la société française

n’est qu’une rhétorique au profit d’un combat politique aveugle

Né en janvier 2005, le mouvement dit des "Indigènes de la République" intervient en politique en mobilisant les catégories du passé colonial de la France et en affirmant que les "discriminations" qui affectent différentes couches de la population sont la redondance de l’injustice et des inégalités coloniales.

Il n’y a pas d’indigènes en France

S’il faut entendre l’exaspération devant les difficultés d’accès à l’emploi, au logement ou même aux responsabilités électives et politiques, s’il faut reconnaître les frustrations nées de l’écart entre l’état social réel et les aliénants modèles de l’être consommant ou "réussissant" dans le show-bizz-télé-réalité ou dans le sport-fric-dopé de haut niveau, il n’est pas question pour autant d’avaliser un discours confusément victimaire, ni d’assimiler la laïcité à l’ordre colonial, ni encore d’accepter la prétendue continuité du statut stigmatisant "d’indigène". Il n’y a ni indigènes ni indigénat dans la France laïque et républicaine d’aujourd’hui : les injustices, inégalités, souffrances et préjugés existent mais ne sont pas généralisés, et ils ne s’adossent pas à un "racisme" qui serait substantiel à "la" République comme il l’aurait été à l’entreprise coloniale.

Je sais... On a dit pour défendre les "Indigènes de la République" : c’est vrai, ils exagèrent... mais il faut considérer le symptôme et ne pas leur faire grief d’incartades de langage qui ne sont que l’effet de leur passion et preuve de leur exigence de concrétiser les valeurs républicaines, etc... Oh, oh...! Ce ne sont pas des adolescents politiquement analphabètes qui ont écrit ce texte... Il y a parmi les rédacteurs-signataires de l’Appel des "Indigènes de la République", des universitaires, des professeurs de philosophie, des intellectuels et responsables associatifs plus que quinquagénaires, rompus aux arcanes des discours militants. Quand ils écrivent "La République de l’Égalité est un mythe", ils s’en prennent délibérément, et sur un mode mensonger, à une réalité qu’ils connaissent bien par ailleurs... Au risque de recevoir une volée de bois vert quand, sur le plateau de "Cultures et dépendances", le mercredi 25 janvier 2006, le très informé ex-rédacteur en chef du Monde, Edwy Plenel, se fait traiter de démagogue par Chahdortt Djavann qui lui rappelle que dans notre République, les étrangers bénéficient, comme les Français, de droits identiques aux allocations familiales et au RMI...! et qu’il y a bien plus de racisme dans l’Iran où elle a vécu qu’en France aujourd’hui.

Les origines du discours "indigéniste"

Le plus étonnant, dans le déploiement de cet argumentaire "indigéniste", c’est qu’il n’ait pas surgi plus tôt. Quand on lit dans l’appel des "Indigènes" cette condamnation de la France comme État colonial : "Pendant plus de quatre siècles, elle a participé activement à la traite négrière et à la déportation des populations de l’Afrique sub-saharienne. Au prix de terribles massacres, les forces coloniales ont imposé leur joug sur des dizaines de peuples dont elles ont spolié les richesses, détruit les cultures, ruiné les traditions, nié l’histoire, effacé la mémoire", comment ne pas établir de lien avec quelques-uns des clichés du défunt (?) "tiers-mondisme" dont le livre de Pierre Jalée en 1968, exemple parmi d’autres, avait nourri la conscience militante de gauche : Le pillage du Tiers Monde...? Ce qui était proclamé à propos du Tiers-Monde l’est, trente ans plus tard, à propos d’un passé colonial caricaturé et en apologie unilatérale des "descendants" de ce même Tiers-Monde.

Ce discours de la flétrissure avait été débusqué dans ses contradictions, par l’ouvrage de Pascal Bruckner en 1983 : Le sanglot de l’homme blanc. Bruckner constatait : "Nous autres, les gâtés de la Terre, qui avons « fait » le colonialisme, la traite des Noirs, le génocide des Indiens, et qui anéantissons chaque année « 50 millions » d’êtres humains par le seul jeu des échanges inégaux, détenons le monopole de l’assassinat des peuples. Être les pires, tel est notre narcissisme maladif, en face de quoi les hommes du Tiers-Monde seront les titulaires du pur" (p. 215). Que disent d’autre les prétendus "indigènes" ?

Il faut prendre le texte des "Indigènes de la République" non comme une oeuvre maladroite mais comme l’expression d’une attaque frontale contre les valeurs de la République, de la laïcité et comme une exécration du passé historique de la France... tenu en bien piètre ignorance, admettons-le. Attaque qui a puisé dans les outrances du tiers-mondisme gauchiste d’après 68.

La thématique n’est donc pas nouvelle. Elle trouve aussi des antécédents jusque dans l’« antiracisme » des années 1980. Personnellement, je peux témoigner y avoir été confronté en 1988 quand, dans certains milieux algériens issus du "mouvement antiraciste" et en passe d’être séduits par l’idéologie anti-occidentale des islamistes, on balançait à la face de son interlocuteur qu’il eut été préférable que les nazis emportassent la Deuxième Guerre mondiale ce qui, dans leur esprit fourvoyé, aurait favorisé l’accès de l’Algérie à l’indépendance... Alors, quand on argumente aujourd’hui, sans plus de mesure, sur le "statut de sous-humanité" des populations colonisées... et qu’on a laissé sans réponse les souhaits rétrospectifs de victoire de l’Allemagne hitlérienne, je doute fort de la sincérité des proclamations "indigénistes".

Mais, comme le remarquait Pascal Bruckner : "On ne peut nier la supériorité de l’Europe qu’au nom d’une certaine idée de l’Europe par une dynamique infinie, et son principal mérite est d’avoir produit l’anticolonialisme qui n’est jamais qu’une autre manière d’être occidental sur le mode du refus" (p. 264).

En réalité, la lamentation indigéniste est une posture qui, devant l’impossible positivité des références marxistes ou islamistes, vise à récupérer le capital de sympathie et de romantisme dont jouit désormais la figure des peuples en lutte pour leur indépendance dans les années 1950. Romantisme qui n’est pas étranger à la représentation stéréotypée, et admirative, de l’indigène produite par le dominant colonial lui-même...! C’est la raison pour laquelle, j’ai illustré ces pages à l’aide d’images provenant de la vision "colonialiste", car elles montrent que les stigmates d’infériorisation ne sont peut-être pas imputables à "l’État colonial" qui, au contraire, a aussi vécu dans la fascination de l’Autre.


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