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Similitudes entre le discours de Soral ou de de Benoist et le discours d’une partie de la gauche influencée par les post-colonial studies, et proche en France d’un parti comme le PIR

posté le 11/02/17 par HARO grenoble info Mots-clés  antifa 

extraits

Ce qui est plus surprenant, ce sont certaines similitudes entre le discours de Soral ou de de Benoist et le discours d’une partie de la gauche influencée par les post-colonial studies, et proche en France d’un parti comme le PIR [Note post-interview : on pense ici à la remise en cause de l’universalisme, la prépondérance d’une sorte de déterminisme culturel, la mise en avant d’identités culturelles ou religieuses... ] Y a t-il similitude entre ces deux discours ? Qu’est-ce qui les différencie ?

La critique de l’universalisme est un thème en vogue. Les mouvements anti-racistes et féministes contestent depuis longtemps – à raison – à l’Occident sa tendance à se croire le centre du monde, et à se confondre avec l’Universel (au nom duquel il doit donc apporter au reste du monde la démocratie, ses droits de l’homme et ses droits des femmes, éventuellement les armes à la main). Cette critique de l’universalisme républicain est pertinente, car tous ces beaux discours ont servi à enrober le colonialisme et une réaction d’autodéfense intellectuelle est évidemment salutaire. Mais elle débouche parfois sur des discours qui prétendent que l’universalisme est nécessairement un faux nez de la domination occidentale ou de la domination masculine. Je crois que si on pousse la logique au bout, si on refuse toute idée d’universalité des conditions ou des valeurs, alors on se prive de toute possibilité de penser l’idée même d’égalité – qui est pourtant le but affiché et explicite des mouvements anti-racistes et féministes. On ne peut être égaux qu’avec des individus avec lesquels on se reconnaît une nature commune : penser l’égalité entre une pomme et une chaise n’a pas de sens, entre deux pommes cela en a un. C’est en cela que l’idée d’humanité commune est précieuse.
C’est cette idée de nature humaine que les idéologues d’extrême-droite ont décidé de détruire, en insistant sur les différences et les particularités. En arrimant chacun à son « identité » (réelle ou fantasmée), qui est censée être plus réelle, plus fondamentale que l’humanité. C’est une de leurs obsessions : découper l’humanité en blocs étanches. Les hommes et les femmes, les européens et les africains... D’ailleurs, quand les arguments culturalistes ne suffisent plus, ils se rabattent sur les vieux arguments « scientifiques ». Voir par exemple le numéro 159 de la revue Eléments qui se fait l’écho de théories scientifiques en faveur d’une origine multirégionale de l’humanité (postulant « l’existence de foyers d’homnisation indépendants, mais non totalement séparés »). En un mot : l’espèce humaine n’en est pas une, mais une collection de différentes espèces hybridables – et remise en cause du « dogme de l’unité du genre humain ». Chassez le racisme biologique, il revient par la fenêtre.
Je pense que l’universalisme, l’idée que les êtres humains partagent une condition commune, c’est l’appui nécessaire pour toute politique qui se veut émancipatrice et égalitaire. À condition de ne pas oublier leur extrême diversité, et sans confondre l’universalisme avec le fait de tout mesurer à l’étalon monétaire.
Je défends simplement l’idée que ce qui réunit les êtres humains, au delà de leurs différences biologiques ou culturelles, est plus fort que ce qui les différencie, mais que ces singularités existent. Pour penser l’égalité, il faut se savoir doté d’une même nature. Penser cette nature commune ne doit pas nous faire croire que nous sommes tous identiques.


Tu disais : « Ce qui explique leur succès, c’est qu’au moins ils proposent quelque chose, dans un vide politique généralisé ». À quoi penses-tu concrètement ? De qui leur succès est-il l’échec ?

Au début des années 1970, une partie non-négligeable de la population mondiale, au Nord comme au Sud, avait de bonnes raisons de mettre ses espoirs dans une révolution qui aurait abattu le capitalisme et rebattu les cartes sociales. Dans les années qui ont suivi, ces espoirs se sont effondrés. Le Capital a repris l’initiative : répression militaire et policière des mouvements révolutionnaires (en Amérique du sud, en Afrique, en Europe, au Japon, aux Etats-Unis....) précarisation du marché du travail, mécanisation, informatisation, financiarisation. Aujourd’hui, on peut dire que ceux qui portent des rêves de justice sociale sont dans le brouillard. Quand on prétend porter ensemble égalité et liberté, et non les opposer, on est un peu démuni : que proposer ? La dépolitisation des rapports sociaux est à son maximum. On baigne dans un individualisme généralisé, alors que les causes de notre exploitation, de notre aliénation et d’un grand nombre de nos problèmes sont avant tout sociales.
La majorité de la population ne croit plus à des possibilités de changement radical de société. C’est le sens du vote PS ou LR. Aucune ambition, aucune idée, aucun programme, aucune différence entre les programmes, c’est cela le vide politique. Ça ne veut pas dire que tout le monde est satisfait de la situation, loin de là, mais tout ce qui peut s’exprimer l’est en négatif. C’est à mon avis le sens d’une partie du vote Front national par exemple – comme le raconte Didier Eribon dans son livre Retour à Reims. Un rejet des élites, du « système », mais qui s’exprime dans le cadre de ce système et sur des thèmes qui ne peuvent permettre aucune émancipation.

Reste un tout petit espace pour celles et ceux qui cherchent à conjuguer liberté et égalité, émancipation collective et émancipation individuelle. Évidemment, cet espace ne se trouve pas dans les urnes. Objecteurs de croissance, presse libre, « cortège de tête », Amaps, contestation anti-Linky, lutte contre l’Etat d’Urgence, Zads, syndicats autogestionnaires... il se passe beaucoup de choses mais l’audience de ces mouvements est mince. Le succès de l’extrême-droite, c’est à mon avis l’échec de cette gauche à porter des propos et des pratiques cohérentes qui rencontrent les préoccupations des gens « d’en bas ». Et puis, il faut bien dire que les discours simplistes fonctionnent toujours mieux que ceux qui essayent de saisir le réel dans toute sa diversité. Il est plus facile de dénoncer quelques boucs émissaires, de jouer sur la peur ou d’en appeler à une « identité » prétendument menacée que de porter une critique véritablement sociale.

Dans L’amour à trois, tu expliques que la critique du capitalisme par Zemmour, Soral et de Benoist n’est que théorie, ou mauvaise foi. Est-ce que ces idéologues ont modifié les rapports triangulaires entre économie, valeurs de gauche et valeurs de droite ?

Le capitalisme a brisé mille liens qui liaient les hommes les uns aux autres, et à leur environnement, pour les remplacer par des liens monétaires. Ce qu’on attendait hier de la solidarité familiale, amicale ou de voisinage, on l’attend de plus en plus des services marchands – éventuellement des services publics. Converties aux valeurs du capitalisme, assimilant libéralisme et liberté, la sociale démocratie comme la droite libérale ont pour unique programme de demander au capitalisme de tenir ses promesses et d’achever de briser tous les liens.

La droite anti-libérale, celle du trio, porte un discours critique du capitalisme, ou du moins de certaines de ses facettes. Mais c’est avant tout un discours moral, éthique et romantique, une critique des « valeurs » du capitalisme qui déracine le hommes. Ils proposent essentiellement d’en revenir au stade « d’avant », ou à ce qu’ils nous présentent comme le stade d’avant – avec toutes les mythifications nécessaires. Avant le capitalisme, avant la modernité, quand les hommes étaient enracinés, pris dans des structures sociales organiques hiérarchiques stables. Hélas (ou heureusement), comme on ne revient jamais en arrière, je pense que la seule conséquence de leur activisme peut être d’ajouter l’aliénation nationaliste ou religieuse à l’aliénation capitaliste ; les tensions identitaires, racistes et sexistes à l’exploitation capitaliste. Ils n’ont rien modifié, seulement mis au goût du jour la critique de droite du capitalisme, qui existe depuis un siècle et demi et qui était traditionnellement portée par les aristocrates et l’Église.

En dehors de la droite anti-libérale, de la droite libérale et de la gauche libérale, il reste un espace pour une gauche révolutionnaire, qui couplerait critique sociale et critique culturelle, critique de l’exploitation et de l’aliénation [2]. Une critique du capitalisme qui renoue avec les expériences des anarchistes espagnols, des situationnistes, des briseurs de machines du XIXème siècle. À mon avis, cela implique de sortir du techno-progressisme obligatoire (« on n’arrête pas le progrès »), de s’intéresser aux expériences concrètes et marginales (les squats, la simplicité volontaire...) ainsi qu’aux expériences pré-capitalistes ou non-européennes au lieu de réclamer systématiquement plus d’État contre le capitalisme. Cela implique également de porter clairement une pensée libertaire qui ne soit pas libérale. Et de sortir des ghettos militants, et d’appuyer tout effort politique sur les préoccupations populaires (trop souvent caricaturées en « trucs de beaufs »).


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