Ils sont presque invisibles. Ces femmes et hommes nettoient nos gares, travaillent souvent cachés par la nuit. Mais quand les poubelles débordent, tout s’éclaire.
Ils sont 84 grévistes, immigrés, d’une société sous-traitante de la SNCF, H. Reinier-Onet, qui a récemment repris le marché à une autre boîte pour le nettoyage des gares du nord de la région parisienne. Ils viennent de gagner, après 45 jours de lutte radicale. Contre une nouvelle clause de mobilité, pour des primes de panier repas, la reprise des anciens temps partiels sous contrats pérennes, la défense de leurs délégués, la convention collective de manutention ferroviaire, le paiement des jours de grève... Pour « le respect et la dignité ». Ils ont manifesté, tenu des piquets 24 heures sur 24 dans trois grosses gares dont ils empêchaient le nettoyage, certains ne sont pas rentrés chez eux pendant tout ce temps. La SNCF les a traînés devant des tribunaux administratifs pour « occupation illicite », des escouades de flics ont ponctuellement brisé leurs piquets pour permettre le nettoyage par des intérimaires... Mais rien n’y a fait, ces femmes et hommes n’avaient pas peur.
Avec le soutien notamment de syndicalistes du rail, ils ont fini par gagner sur la plupart des revendications, ont fait reculer le patronat et la police à son service. Ils ont osé.
On dit qu’une goutte d’eau contient toute la richesse de la mer. Cette grève (comme celle menée depuis deux mois par le « petit personnel » sous-traitant (ménage, plonge...) de l’hôtel Holiday Inn de Clichy, les deux mouvements se soutenant mutuellement), par l’admiration, la joie et l’enthousiasme suscités, a entraîné dans son sillage syndicats, collectifs et individus solidaires, jusqu’au collectif Vérité et justice pour Adama Traoré.
Les journées d’action démobilisatrices sans lendemain, les balades tristes République-Nation contre les ordonnances Macron... Voilà où les bureaucrates nous laissent.
Alors que ces poignées de précaires immigrés, ces « damnés de la terre » comme écrivait Franz Fanon, réussissent justement là où la majorité échoue. Leur recette : grève auto-organisée sur les lieux de travail, indépendance et démocratie de la lutte, courage et culot...
Mais la solidarité forte avec ces personnes, indispensable pour leur moral et surtout leurs caisses de grève, ne doit pas se traduire par des grèves par procuration pour le reste de la population. Par leur prise de risques, ces grévistes sont avant tout un exemple à suivre.