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GIORGIO AGAMBEN, SON ŒUVRE ET L’ETAT D’URGENCE

gepost op 08/10/16 door G. D. (fédération anarchiste - Nantes ) Trefwoorden  luttes sociales  alternatives  art  histoire / archive  réflexion / analyse 

Giorgio Agamben est un philosophe italien contemporain, né en 1942 à Rome. Il a été formé aux philosophies de Marx et de Heidegger et a enseigné à l’université de Vérone et à celle de Venise ainsi qu’aux Etats-Unis et en France. C’est un grand lecteur de Walter Benjamin dont il est, en Italie, l’éditeur scientifique des œuvres complètes. Michel Foucault mais aussi Guy Debord constituent pour lui des références majeures. Il est (malheureusement) en bons termes avec Alain Badiou le stalinien (s’il y en a un qui mérite cette injure galvaudée c’est bien lui!). Ses livres, assez nombreux et pour la plupart disponibles en français, abordent des questions assez diverses telles que la littérature, la langue, l’histoire, la critique sociale, la technique, le corps, … Il s’agit d’une œuvre considérable avec sa propre cohérence dans laquelle se plonger avec délices.

Homo Sacer est un projet, un work-in-progress qui a duré vingt ans de 1995 à 2015.

Dans les neuf ouvrages qui composent Homo Sacer, Giorgio Agamben emploie la même méthode qu’il appelle archéologie (avec strates et sédimentations…) C’est une histoire des concepts qui prend la forme d’une enquête philologique et d’une généalogie des catégories du droit et de la théologie judéo-chrétienne. Dans son récent La Guerre civile il écrit : « Il est certain que la philosophie politique de la modernité ne pourra sortir de ses contradictions si elle ne prend pas conscience de ses racines théologiques ».

C’est principalement dans les philosophies antiques et médiévales qu’il débusque des problèmes, des questionnements tout à fait valables pour interroger notre époque et la comprendre. C’est bien l’Occident et sa constitution qu’il s’agit de cerner. D’où des interrogations d’ordre juridique, historique et donc politique.

Dans l’épilogue de L’Usage des Corps, le dernier volume d’Homo Sacer, Agamben écrit : «L’archéologie de la politique qui était en question dans le projet Homo Sacer ne se proposait pas de critiquer ou de corriger tel ou tel concept, telle ou telle institution de la politique occidentale; il s’agissait plutôt de mettre en cause le lieu et la structure originaire même de la politique, pour tenter de porter au jour l’arcanum imperiii qui en constituait le fondement et était resté en elle pleinement exposé et farouchement dissimulé.» C’est une mise en cause radicale, c’est à dire à la racine.

A la fin d’Homo Sacer 1, il propose la thèse selon laquelle «La prestation fondamentale du pouvoir souverain est la production de la vie nue comme élément politique originaire». Agamben a fait sienne la biopolitique de Foucault, ce contrôle que le pouvoir exerce sur la vie, sur le corps.

Dans la Rome antique, l’Homo Sacer est un homme ou une femme qui peut être mis à mort sans que l’on commette d’homicide. La police française et celles du monde entier connaissent bien les Homo Sacer, qu’elles peuvent tuer impunément.

L’Homo Sacer c’est aussi l’homme mis au ban (ban-lieue !) et qui par son exclusion même est inclus dans la politique de l’Occident, en est même son centre, son fondement. Ainsi Agamben pense la figure du migrant comme un élément questionnant et perturbant l’ordre juridique des pays européens qui réagissent par la violence.

Agamben a beaucoup écrit sur l’état d’exception. Ce qui nous donne des billes pour comprendre l’actuel état d’urgence.

Dans L’Etat d’Exception (Homo Sacer 2.1) il écrit que l’état d’exception (ou état d’urgence) qui est normalement une exception est devenu la règle qui détermine toujours davantage la politique des états modernes. Toujours avec la même méthode archéologique, il démonte l’histoire de ce concept afin d’analyser notre temps, de Hitler à Guantanamo. Il dialogue ainsi avec Carl Schmitt et Walter Benjamin et analyse l’état d’exception dans la Rome antique.

Se basant sur la relation entre politique et droit, il met à jour la relation occulte qui lie la violence au droit. Les anarchistes ont déjà réfléchi à cette problématique, à cette liaison. En 1873, dans Etatisme et Anarchisme, Bakounine écrit : «Tout ce qui en langage politique s’appelle le droit n’est rien d’autre que l’illustration du fait créé par la force.» La force, la violence étant le monopole de l’état comme l’a montré Carl Schmitt. Dans L’Unique et sa Propriété, en 1848, Max Stirner écrit : «Aux mains de l’état, la force s’appelle le droit, aux mains de l’individu, elle se nomme crime.»

Par ailleurs, l’état d’urgence est un paradigme de gouvernement biopolitique des populations, réduites à la vie nue et à l’identité. A un moindre degré, l’état français «gère» les musulmans tout comme l’état nazi a «géré» les juifs, selon le même principe, la même violence.

Ce qui est intéressant, c’est que Agamben déconstruit les démocraties non pour les sauver comme un gentil citoyen mais uniquement pour les démonter, les détruire.

Concernant l’actuel état d’urgence, Agamben est intervenu dans les médias (bourgeois!) avec force : un papier dans Le Monde, une interview dans Télérama et un long article dans Le Monde Diplomatique.

Déjà en 2012, dans Télérama, dénonçant la biométrie, il disait : «Aux yeux du pouvoir, chaque citoyen est un terroriste en puissance.» Et les dispositifs d’exception comme l’état d’urgence et la crise économique permettent «au pouvoir d’imposer des mesures qu’il ne serait pas possible de faire accepter en temps normal.»

Dans son passionnant article pour Le Monde Diplomatique, il analyse le concept de sécurité, «qui semble avoir supplanté toute autre notion politique.» Et il écrit: «Les «raisons de sécurité» dont on parle aujourd’hui constituent au contraire une technique de gouvernement normale et permanente.» Il s’attarde sur l’histoire de la biométrie, promise à de grands jours, du bertillonnage à la génétique.

Il conclut: «La tradition politique de la modernité a pensé les changements politiques radicaux sous la forme d’une révolution qui agit comme le pouvoir constituant d’un nouvel ordre constitué. Il faut abandonner ce modèle pour penser plutôt une puissance purement destituante, qui ne saurait être captée par le dispositif sécuritaire et précipitée dans la spirale vicieuse de la violence (…) Le problème des formes et des moyens d’une telle puissance destituante constitue bien la question politique essentielle qu’il nous faudra penser au cours des années qui viennent.»

Loin d’être un gourou post-moderne, Giorgio Agamben propose dans ses livres des outils pour les luttes. Et certains de ces outils sont des explosifs !


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