C’est le dernier élément de langage à la mode pour botter en touche. Amalgamer toute polémique légitime avec une campagne de la fachosphère. Presque tous les politiques y jouent, souvent avec la complicité de la presse.

En pleine campagne des législatives, l’Obs titrait : «Guigou voilée, la fausse polémique de la fachosphère». Et tant pis si l’alerte, plutôt légitime, venait en fait surtout de comptes laïques, comme Ahmed Meguini et Laïc’art, choqués de voir une socialiste draguer des voix en voile dans des lieux de culte.

Au moment de la primaire de la droite, le camp Juppé s’est insurgé, à raison, contre la campagne l’ayant surnommé «Ali Juppé». Sans répondre à ceux/celles qui demandaient simplement s’il comptait s’appuyer sur les Frères musulmans pour lutter contre la radicalisation, comme à Bordeaux.

Moindre mal face au FN, La République en marche maîtrise à merveille l’art de l’esquive. Dans la tourmente pour des propos aberrants sur le voile et la laï-cité, la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a préféré y voir une cabale de la fachosphère. Un élément de langage volontiers repris par les Inrocks, et toujours la même presse autruche. Fin de l’explication.

Avec l’affaire Danièle Obono, c’est au tour de La France insoumise de jouer à l’amalgame pour faire oublier les casseroles. Tout commence par un entretien de la députée sur RMC. L’un des animateurs exhume, comme c’est son droit et son travail, une pétition par laquelle la future députée a soutenu le droit de chanter «Nique la France». Et «Vive la France» ? La phrase la trouble plus volontiers. Du pain bénit pour la fachosphère. Sur les réseaux, on hurle à l’anti-France, en y mettant bien plus de haine que si cette députée était blanche. Certains comptes vont jusqu’à remplacer Obono par «bonobo».

Dégoûtée comme toute personne saine d’esprit, la laïcosphère a immédiatement condamné ces injonctions racistes. Sans pour autant renoncer à interroger la députée sur ses positions, comme elle le ferait pour n’importe quel politique. Il y a de quoi.

Quelques jours seulement après les attentats de Paris, sur un média anglophone, Danièle Obono (clairement de la tendance des Indigènes de la République) se vantait de ne pas avoir marché le 11 janvier. Au cours de cet entretien, mais aussi sur son blog et d’autres comptes moins officiels, l’élue vomit Charlie Hebdo comme «islamophobe» et la loi sur les signes religieux ostensibles à l’école comme «infâme». Qu’en pense La France insoumise qui l’a fait élire à l’Assemblée ? Après avoir nié, ils cautionnent… Tous ses camarades ont volé à son secours, le doigt sur la couture du pantalon, en réduisant cette polémique à du racisme. «Je suis elle !» écrit-on dans l’entourage de Jean-Luc Mélenchon. Oubliés, les «Je suis Charlie», remballés, les sanglots dans la voix lors de l’enterrement de Charb.

Après avoir crié à l’«islamophobie», voilà qu’il suffit désormais de confondre «fachosphère» et «laïcosphère» pour faire taire toute critique, toute vigilance, toute nuance.

Les deux «sphères» sont pourtant faciles à distinguer. La laïcosphère, ce sont des comptes Twitter et Facebook qui pointent les accrocs à 1905, les trahisons anti-Charlie, de façon posée et argumentée, tout en refusant la moindre récupération raciste. La fachosphère, elle, profite de la moindre affaire pour hurler au viol de l’identité française et chrétienne.

La démarcation est claire, même si de faux amis tentent régulièrement de la brouiller. Malgré son nom, le site Riposte laïque fait bien partie de la fachosphère. Il a même récemment basculé dans l’apologie du terrorisme en se demandant si l’attentat raciste contre la mosquée de Londres ne serait pas «le coup d’envoi de la reconquista». Un billet aussitôt dénoncé par la laïcosphère, qui reste le meilleur rempart contre la fachosphère.

Si la France ne s’est pas jetée tout entière dans les bras de l’extrême droite malgré les attentats, c’est en partie grâce à cette veille républicaine, qui alerte sans haïr, souvent avec une longueur d’avance sur la fachosphère. Amalgamer les deux revient à nier la vigilance constructive, tout en donnant la victoire à la folie destructrice. Par lâcheté politique, c’est la nuance qu’on étouffe. Celle qui refuse de choisir entre soutenir l’anti-République et hurler à l’anti-France.