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Sur le miracle asiatique : l’envers du décor

gepost op 19/01/15 door Un sympathisant du CCI Trefwoorden  économie 

La bourgeoisie a coutume de nous présenter sous les jours les plus favorables la situation du capitalisme mondial en s’appuyant sur les résultats économiques de l’Asie du Sud-Est, qui sont effectivement positifs et semblent témoigner de la bonne santé économique de cette région. Il en découle évidemment d’après la propagande de la classe dominante que, si l’économie des vieilles puissances capitalistes bat quelque peu de l’aile, le capitalisme comme un tout a encore un futur : il est en Asie. La dernière démonstration de cette affirmation est l’annonce que la production de la Chine dépasse désormais en valeur celle des États-Unis 1.

L’autre message que la bourgeoisie veut faire passer aux exploités des vieilles économies développées, c’est que les apparents succès des économies du Sud-Est asiatique sont avant tout dus au fait que la classe ouvrière de ces pays accepte de travailler plus. Le message est clair : tant que les prolétaires d’Europe ou des États-Unis défendront aussi égoïstement leurs “intérêts personnels” face à la collectivité, l’économie de leurs pays stagnera ou régressera. La bourgeoisie essaie de nous faire croire que les conditions d’exploitation infernales qui règnent en Asie du Sud-est sont acceptées, voire souhaitées par les prolétaires d’Asie, et même qu’elles sont indispensables à la prospérité commune !

L’économie chinoise, une expression de la décadence du capitalisme

En réalité, l’Asie du Sud-Est n’est aucunement épargnée par la crise historique du capitalisme, elle en est même une expression. Les taux de croissance de l’économie chinoise correspondent en effet à un véritable cancer économique, le développement d’une tumeur qui ne fait que pomper l’énergie vitale du corps social comme un tout pour exister. Sans la crise de surproduction et l’absolue nécessité dans laquelle se trouve la bourgeoisie de rétablir des marges de profit en trouvant une main-d’œuvre particulièrement bon marché et acceptant des conditions de travail infernales, il n’y aurait jamais eu de développement de l’économie chinoise, laquelle ne constitue en aucune façon une expansion du marché mondial ou une porte de sortie de la crise historique du capitalisme. L’économie chinoise s’est contentée de siphonner les productions industrielles de nombreux pays développés pour les poursuivre en rétablissant un taux de profit acceptable, du fait d’une moindre mécanisation et de l’emploi massif d’une main-d’œuvre sous-payée. Ce qui nous rappelle au passage que ce n’est pas sur les machines que le capital fait du profit, mais à travers l’exploitation de la force de travail.

De plus, un certain nombre d’économistes se posent non seulement des questions sur la réalité d’une croissance chinoise essentiellement tirée par des investissements d’État dans le bâtiment et un endettement massif, mais aussi sur la réalité des chiffres avancés par le National Bureau of Statistics of China (le bureau national de statistiques chinois). Des économistes bourgeois aussi reconnus qu’Olivier Delamarche ou Patrick ­Artus mettent ouvertement en doute dans la presse spécialisée les chiffres de la croissance du PIB chinois, qui ne sont aucunement corroborés par une croissance équivalente de la consommation d’énergie et de matières premières, ou de la demande intérieure qui stagne. En d’autres termes : non seulement l’économie chinoise est dopée par des investissements à perte et une production en partie sans perspectives immédiates de vente, mais les chiffres mêmes de production fournis par l’État chinois sont falsifiés ! De fait, il semble que si l’économie chinoise tousse, le thermomètre n’indiquerait que la moitié de la fièvre réelle !

Le chômage de masse, une réalité aussi en Asie

Le chômage de masse est l’une des marques les plus spectaculaires et révélatrices de la décadence du système capitaliste à l’échelle mondiale. Or, ce fléau endémique frappe aussi la plupart des pays asiatiques, particulièrement chez les jeunes. D’après le Forum économique mondial, il y aurait 357,7 millions de jeunes travailleurs au chômage dans le monde et 62 % se trouveraient en Asie du Sud et de l’Est 2.

En Inde, 10 millions de jeunes par an arrivent sur le marché du travail, 1 million rien qu’en Indonésie. Le chômage des jeunes entre 15 et 24 ans est estimé à 20 % en Indonésie, 9,4 % en Inde, 10,1 % au Myanmar et 13,6 % aux Philippines. Et ces chiffres, de l’aveu même d’économistes bourgeois, sous-estiment totalement la réalité du phénomène puisqu’ils ne prennent pas en compte les jeunes sous-employés dans les pays à bas revenus. La Chine, notamment, a bien un taux de chômage officiel particulièrement bas (4,1 %, chiffre stable depuis plusieurs années), mais il ne prend aucunement en compte les jeunes ruraux dans un pays où l’émigration intérieure vers l’exploitation forcenée des usines de la côte est la seule option permettant d’échapper quelque peu à une misère encore plus noire. Le caractère désespéré de cette émigration massive des jeunes ruraux vers les bagnes industriels de Shanghai, de Shenzhen ou de Pékin, montre assez que les chiffres officiels ne rendent pas compte de la réalité d’une misère terrible et d’un sous-emploi massif.

Au total, ce sont officiellement 14,2 % des jeunes qui sont au chômage en Asie du Sud et de l’Est, chiffre au-dessus de celui qui est retenu pour l’ensemble du globe qui n’est “que” de 13,1 %. Pour une région qui se porterait économiquement mieux que le reste du monde, il est quand même curieux que le chômage des jeunes y soit plus élevé qu’ailleurs !

Tandis que la bourgeoisie constate que des efforts ont été faits dans ces pays pour élever le niveau de qualification de la jeunesse, elle est parfaitement consciente du potentiel de frustration qui existe chez ces jeunes, encouragés à faire des études et de ce fait appâtés par des salaires potentiellement plus élevés, et constatant à la fin de leurs études qu’il n’y a tout simplement pas assez de travail pour eux. En Chine, si les besoins de main-d’œuvre non-qualifiée sont toujours importants, l’intégration des jeunes devient de plus en plus problématique car, au lieu de rester quelques années à travailler en usine en acceptant des conditions de travail à nulle autre comparable en termes de précarité et de brutalité pour retourner ensuite dans leur région rurale d’origine, totalement épuisés, la jeune génération paysanne commence à massivement envisager de s’installer en ville et de garder son travail dans l’industrie, mais les conditions de travail “à la chinoise” sont évidemment dans ce contexte insupportables. En Chine, la jeune génération demande des métiers plus qualifiés, mieux payés, avec plus de droits et de protection sociale, ce que bien évidemment le patronat peine un peu à accorder. Les derniers conflits du travail sont considérés par les observateurs de la réalité chinoise comme d’une qualité différente de ceux que l’on avait vus se développer auparavant : la jeune génération chinoise refuse de plus en plus les conditions de travail imposées à leurs aînés. Or les fondements du succès de “l’atelier du monde” se trouvaient justement dans cette exploitation forcenée de cette main d’œuvre à bas coût.

La bourgeoisie est particulièrement consciente de la contradiction qui existe dans le fait d’instruire des millions de jeunes, de les former de mieux en mieux pour répondre à l’élévation croissante du niveau technique requis pour intégrer le marché du travail, et en même temps de ne pas pouvoir leur proposer de travail au niveau de leurs qualifications, alors même que ces jeunes ont souvent sacrifié des années de leur vie dans la perspective d’un travail plus qualifié, mieux rémunéré, leur offrant des perspectives d’avenir plus intéressantes que celles qu’ont pu avoir leurs parents, espéraient-ils. La bourgeoisie, par l’intermédiaire du coordinateur de l’emploi des jeunes pour l’Asie au sein de l’Organisation internationale du travail, le reconnaît sans ambages : “beaucoup de jeunes en Asie font face au même problème : survivre. Lorsque dans de nombreux pays il n’existe pas la protection d’une sécurité sociale, ils ne peuvent rien faire d’autre que survivre. Cela perpétue un cycle de travail informel et de pauvreté. La grande majorité des travailleurs en Asie se trouve dans le secteur informel”. Nous sommes ici bien loin du futur radieux que nous vante la bourgeoisie en nous parlant de la “croissance” en Asie…

Un montée de la combativité ouvrière en Asie

Si l’on écoute la bourgeoisie, les jeunes travailleurs qui ont la “chance” d’avoir un travail et sortiraient donc de la situation de misère à laquelle leurs parents ont été condamnés, accepteraient les conditions de travail et de salaires en vigueur dans les “ateliers du monde asiatique”, que ce soit en Chine, en Indonésie, en Inde ou au ­Bangladesh. Ils le feraient parce que ce serait une façon d’assurer leur propre futur. Ces assertions sont absolument démenties par les faits : non seulement les conditions d’exploitation terribles qui existent dans ces pays sont contestées par la classe ouvrière sur place, mais les ouvriers d’Asie acceptent de plus en plus mal d’être sous-payés, voire pas payés du tout par des patrons qui sont souvent des escrocs et dans une société marquée par la hausse continue des prix des produits de première nécessité, du logement et des transports.

La concentration d’usines et d’ouvriers dans des villes géantes pose évidemment la possibilité pour les ouvriers de constater l’unification de leurs conditions de vie et de travail, la possibilité de résister à l’exploitation féroce dont ils sont victimes. Il y a eu ces derniers temps des mouvements de grèves géants en Chine, comme en avril dernier où 40 000 ouvriers de l’usine de chaussures de sport Yue Yuen à Dongguan ont fait grève pendant 12 jours pour obtenir le paiement par le patron de la totalité des cotisations sociales, mais aussi des retraites et des arriérés de salaire. En réaction, l’État chinois, comme dans le cas de l’entreprise Yue Yuen, souffle le froid et le chaud, en lançant ses chiens de garde policiers contre les “meneurs” tout en poussant la direction de l’entreprise à accepter certaines revendications des grévistes : privée de syndicats et autres “amortisseurs sociaux”, la Chine ne peut se permettre d’affronter trop directement la colère ouvrière et en même temps, ces concessions aux luttes ouvrières peuvent pousser les investisseurs étrangers à déménager de Chine pour d’autres cieux. Dans le cas de l’usine Yue Yuen, la firme Adidas, cliente de l’usine, a d’ores et déjà annoncé ne plus vouloir travailler avec elle.

D’après Reuters, le nombre de grèves en Chine avait pour les premiers mois de l’année 2014 augmenté d’un tiers sur un an. Début décembre, ce sont les instituteurs de la région de Harbin qui se sont mis en grève pour des augmentations de salaires 3 et le paiement de leurs cotisations retraites par l’État. L’importance de la question des cotisations-retraites doit être soulignée : c’est leur avenir que les prolétaires chinois défendent à travers cette revendication.

Mais les prolétaires chinois ne sont pas les seuls à lutter : une grève des employés de banque pour leurs salaires a touché le Bangladesh en mars 2014. Une autre grève dans le secteur bancaire menace en Inde, toujours pour une question de salaires ; un million d’ouvriers ont cessé le travail et manifesté dans toute l’Indonésie pour obtenir de meilleurs salaires. Tous ces mouvements montrent à l’évidence qu’en Asie, malgré ce que la bourgeoisie nous dit, les ouvriers ne sont pas plus résignés à se laisser surexploiter qu’ailleurs.

La réalité de l’impasse mondiale du capitalisme

La classe ouvrière d’Asie, qui a jusqu’ici connu une expansion numérique représentant une manière d’échapper à la misère noire de la paysannerie pauvre, va devoir gagner en expérience, en maturité. Elle va elle aussi, après une expansion rapide, connaître encore davantage de chômage : la surproduction mondiale ne peut être stoppée et surtout pas par une demande aussi faible que celle des pays émergents d’Asie. Les grèves qui se sont déroulées en Asie en 2014 nous montrent à la fois le potentiel de combativité d’une classe ouvrière qui vit dans des dictatures plus ou moins féroces, mais aussi tout le chemin que ces ouvriers tout neufs ont à faire politiquement pour comprendre les pièges que leur tend la bourgeoisie : la revendication d’un “syndicalisme libre”, que l’on retrouve derrière tous les mouvements de grève en Asie, est l’expression d’une illusion très profonde non seulement sur la possibilité d’un syndicalisme qui défende réellement les intérêts des exploités, mais aussi sur la possibilité d’un État démocratique “juste”, sans corruption, sans répression policière brutale, d’une démocratie qui prendrait à cœur les revendications ouvrières et permettrait de les satisfaire dans le sens d’une plus grande justice sociale.

C’est pourquoi sera toujours fondamental l’apport du prolétariat des grands pays développés – et il faut bien souligner ce que nous appelons prolétariat, c’est-à-dire l’ensemble des salariés qui ne touchent que le prix de leur force de travail pour salaire, qu’ils soient du secteur privé ou du secteur public, de l’industrie ou du secteur des services comme les employés des hôpitaux, des banques, de l’énergie ou de l’éducation – qui a une expérience de deux siècles de luttes, l’expérience des pièges idéologiques et des manœuvres les plus sophistiqués et machiavéliques du syndicalisme “libre” et de l’État démocratique bourgeois. Cette expérience manque cruellement dans la majeure partie des pays d’Asie où ne sont tolérés que des syndicats ouvertement inféodés à l’État, lequel ne tolère pas les élections “pluralistes”. Il faut souligner que l’émergence de cette classe ouvrière asiatique plus éduquée, combative et qui s’ouvre sur le monde du fait de la mondialisation des échanges est une excellente chose pour le combat de la classe ouvrière mondiale, mais en même temps que l’expérience et la conscience de la classe ouvrière des vieux pays développés sera fondamentale dans le développement du combat de classe vers le communisme. Pour l’instant, d’ailleurs, dans pratiquement tous les pays asiatiques émergents, la classe ouvrière reste minoritaire dans la population totale. Ce n’est pas le cas dans les vieux pays développés.

Le fléau du chômage de masse qui commence à poindre le bout de son nez inquiète beaucoup la bourgeoisie qui voit en Asie aussi toute perspective d’un futur capitaliste radieux s’estomper ; en Asie comme ailleurs, le capitalisme n’a que la misère, le chômage ou la surexploitation à proposer. Plus le temps passera, et plus les prolétaires d’Asie se rapprocheront de leurs frères de classe des vieux pays développés dans un combat commun pour renverser le vieux monde capitaliste.

Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org

1 Libération du 8 décembre 2014

2 Tous les chiffres sur cette question du chômage en Asie sont tirés du China Daily Asia Weekly du 24 au 30 octobre 2014.

3 La radio nationale chinoise a rapporté qu’un instituteur comptant 25 ans d’ancienneté gagnait l’équivalent de moins de 400 $ par mois.


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