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TOUS SONT MAÎTRES ET CHACUN TYRANNISE LES AUTRES. NI RACISME, NI CLASSISME.

Texte écrit en mixité individualiste, qui se veut une réponse aux partisan-nes des idées de « race », et à leurs « opposant-es », partisan-nes des idées de classe.

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TOUS SONT MAÎTRES ET CHACUN TYRANNISE LES AUTRES

Ni racisme, ni classisme

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Note liminaire : pour contextualiser, ces réflexions ont été écrites en réponse à une tendance actuelle qui consiste à remettre au goût du jour la notion de race, et à monter en épingle tout un tas de théories autour de cette politique d’identité (raciale), désignant par une race y compris ceux qui n’en veulent pas. Et de cette « mode » en découle que des personnes, parfois très proches de nous dans leurs idées, en arrivent à utiliser des termes ou des concepts qui convergent avec les théories racistes, réduisant les individus à des critères qu’ils n’ont pas choisis. Cela laisse la porte ouverte à une normalité de la pensée raciste, contre laquelle les milieux que nous côtoyons avaient jusqu’à présent lutté. Nous n’inventons rien en disant que les définitions, lorsqu’elles ne sont pas des cages, sont comme des pierres jetées sur l’eau : elles créent des cercles toujours plus vastes, sans qu’aucun d’entre eux ne réussisse à contenir entièrement notre individualité. Et c’est pour cela que nous avons ressenti le besoin de nous exprimer sur cette question, extrêmement complexe, car nous refusons catégoriquement qu’au nom de luttes pour la reconnaissance de discriminations certains en arrivent à tout simplement inverser les choses, et à légitimer des catégories totalisantes, essayant de nous y enfermer de force dedans, niant de ce fait nos individualités.

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La classe, le genre, l’essentialisation de la couleur d’une peau, l’orientation sexuelle figée... sont des catégories sinon crées, tout du moins propagées, encouragées par tous les pouvoirs. Nous nous demandons alors comment, dans une perspective d’insurrection acrate, reprendre ses catégories, en les renforçant même parfois, peut être libérateur. Pour nous, une éthique anarchiste devrait impliquer une méfiance devant toute catégorie du pouvoir. Et pour aller plus loin, devant toute logique identitaire. Le vieil adage « diviser pour mieux régner » n’est pas qu’une vue philosophique. Dès lors, interrogeons-nous. Pourquoi des anarchistes, ou peu importe le terme, des révolutionnaires utilisent de telles catégories et divisent les individus ? Nous pourrions aussi ajouter que toute tentative d’aller contre cette tendance (et ces prétendus adversaires) ne reçoit qu’insultes et... nouvelles assignations autoritaires. Contre le pouvoir, contre tout pouvoir, nous ne souhaitons aucune division enfermée dans des cages identitaires.

« Il est certain que les combattants de la révolution sociale appartiennent, ont appartenu et appartiendront presque tous aux masses laborieuses est parfaitement compréhensible que la partie rebelle de la société soit celle qui souffre, et on comprend également que ce soit la partie de la société qui souffre de l’exploitation et de la domination qui aspire ou soit capable d’aspirer à la suppression des ces maux fondamentaux pour tous. Mais cela ne nous autorise pas à proclamer que la révolution serait une question de classe, que les solutions aux problèmes de la vie sociale seraient conformes au point de vue d’une partie de la société qui se pense comme telle et non comme une fraction de l’humanité. Jusqu’à aujourd’hui, l’histoire nous a donné assez d’exemples de cet exclusivisme de race, de caste, de dynastie, de parti. L ’anarchisme subirait la plus grande défaite si elle incitait les hommes à penser comme des mécaniciens ou comme des paysans, comme des salariés ou comme des noirs, et non comme des humains. »
[Extrait de L’Adunata dei Refrattari, année IV, n° 36, 5 septembre 1925]

« Si l’hypothèse du genre comme toujours performatif est juste, alors nous avons performé nos « moi » en résonance avec le genre le plus queer de tous : celui de la destruction totale. Désormais, nos pronoms de genre préférés seront le son du verre qui se brise, le poids du marteau dans nos mains et l’odeur douceâtre du feu. Adressez-vous à nous en conséquence. [...] La politique identitaire est toujours basée sur l’idée fausse de communautés cohérentes. Comme l’ont dit certain-e-s Français-e-s : « les différences éthniques au sein de chaque "peuple" ont toujours été plus grandes que les différences éthniques entre les "peuples" eux-mêmes. ». C’est-à-dire que ceux qui sont piégé-e-s à l’intérieur de certaines « communautés » ou identités confinées ont souvent moins de choses en commun entre elles qu’avec ceux qui sont censés leur être opposés. Cette erreur se nourrit de l’abstraction de l’expérience plutôt que de l’analyse de l’expérience vécue en tant que telle. Un-e queer en prison a plus en commun avec sa/son compagnon-ne de cellule hétéra qu’avec une ordure de sénateur gay, et pourtant la mythologie de la « communauté LGBT » sert à étouffer les ennemis de la société et à les asservir à leurs représentants auto-proclamés. »
[Queer Ultra Violence : Bash Back ! Anthology, 2011]

« Les « masses », les « races », les « nations », « le Peuple », « la Classe » : voilà les mots par lesquels on nomme le refus de sa propre liberté et de sa propre unicité, voilà les mots avec lesquels l’homme cesse d’être tel et devient un soldat. »
[A Corps Perdu, N° 1, décembre 2008]

L’assignation à une « race », à une couleur de peau, ou à une origine géographique, et la différenciation qui en découle, par des attitudes dégradantes envers une partie des personnes assignées comme telle(s) s’oppose à toute perspective émancipatrice, de même que l’attribution permanente à un genre ou à une sexualité. Les discriminations, qu’elles soient basées sur l’origine, l’apparence physique de la personne ou sur son genre, voire sa sexualité, sont incohérentes avec la recherche de liberté. Pour autant, ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas, entre anti-autoritaires, d’attitudes discriminantes basées sur ces critères. Cela veut encore moins dire que dans la société dans laquelle nous vivons ces discriminations n’existent pas ou ne devraient pas être considérées comme un problème réel.

Partons donc du fait que les discriminations diverses et variées existent dans la société dans laquelle nous vivons, et sont un problème concret et grave que subissent au quotidien des tas de gens, jusqu’à parfois même entraîner leur mort.

Il y a des tas d’oppressions diverses vécues, quotidiennes, et ce sont toutes ces oppressions rassemblées qui nous donnent une raison de lutter. Les séparer, ou établir une hiérarchie entre elles, n’aurait pas de sens. La mise en concurrence des diverses discriminations risquerait de nous monter les un-es contres les autres, et d’aboutir à un concours de celui ou celle qui sera désigné-e comme la plus grande victime.

Dans cette logique, les considérations de classe sont aussi un énième cloisonnement. Ce raisonnement ne nie pas les inégalités de classe et le système d’exploitation. Mais n’avoir comme seule grille de lecture la classe, le racisme, le sexisme, ou l’homophobie est idéologique et totalisant. De plus, cela ne prend pas en compte des oppressions tout aussi considérables, telles que ne pas avoir de papiers, le fait d’être sourd, ou aveugle, ou sur fauteuil-roulant, le fait de vivre à la rue, etc.

Certaines discriminations se baseraient sur des critères non modifiables, et d’autres sur des critères qui peuvent changer. Changer de classe est envisageable, changer de couleur de peau ne l’est pas.

Pour autant, y aurait-il une raison de rendre visible certains critères discriminants au profit d’autres ? Et établir de façon manichéenne des catégories, et décerner à chacune de ces catégories la palme du dominant ou celle du dominé est extrêmement simpliste et binaire. Les rapports de pouvoir circulent d’une catégorie à l’autre, mais ils s’établissent aussi au sein d’une même « catégorie », car pour être cynique, le pouvoir est de loin ce à quoi l’humanité aspire le plus, et la plupart de celles et ceux qui ne l’ont pas rêvent en leur fort intérieur de l’avoir, et tendent vers cela.

Prenons l’exemple des frontières et des papiers. On peut se sentir oppressé de par sa couleur de peau en France, tout en ayant la nationalité française. Mais entre cette personne et un immigré sans papier, lequel des deux a le plus de privilèges ? Et quand bien même cet immigré sans papier serait bien « blanc », comme les obsédés de la mélanine le disent, serait-il un privilégié ? Privilégié de quoi ? De se faire exploiter par des compatriotes qui ont des papiers ? Privilégié de vivre dans des conditions de vie désastreuses ? Privilégié de flipper à la moindre vision d’un flic de peur de se faire contrôler, et enfermer en centre de rétention, pour être ensuite renvoyé dans son ancien pays, quitté parfois pour fuir une répression ? Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de « privilège blanc » ? C’est aussi oublier que l’État a toujours su faire la différence entre un Émir et un arabe.

Reprenons donc, il y a des dominant-es (et des dominé-e-s) dans toutes les strates de la société, dans toutes les catégories créées, et on voit des individus subissant des dominations qui exercent elles/eux-mêmes une domination sur d’autres. Le but du jeu dans cette société étant de ne pas se retrouver au dernier échelon, sans personne à dominer. Mais en dehors des enfants (qui, pour nuancer le propos, se dominent entre eux, ou peuvent aussi se rabattre sur les animaux pour exercer une domination), on trouve toujours quelqu’un-e à dominer si on cherche bien.

Par conséquent, les polémiques opposant les partisan-e-s d’une théorie mettant en avant seulement certaines discriminations et inégalités, niant au passage les autres ; la « bataille » qui consiste à savoir laquelle de ces positions binaires est la plus légitime, ne sont qu’un bras de fer entre personnes qui veulent imposer leur vision du monde. Ils considèrent que les rapports de pouvoir et les discriminations qui les concernent, ou qui les intéressent, sont les seuls à devoir être pris en compte (voir leurs appels à des non-mixités de « race » ou de « classe » selon le camps).

Si certains parlent d’« identité raciale » dans l’idée de s’opposer au racisme (bel antagonisme), ça n’est que parce qu’il y a des comportements et des propos racistes. Si d’autres portent l’identité de femme, c’est parce que nous baignons dans une société patriarcale. Si d’autres encore mettent en avant l’identité LGBT, c’est parce que la société enjoint à une conformité sexuelle, une norme, et les violences qui vont avec. Si certains parlent de classe, c’est parce qu’il y a des exploiteurs et des exploités. Et les catégories sont infinies : sans papiers, enfants, invalides, non voyants, malentendants, et pourquoi pas la dernière invention, neuroatypiques... Reconnaître ces notions en négatif, par besoin de mettre des mots sur les normalités et/ou dominations qu’on veut détruire, est tout à fait acceptable et logique. Par contre, les reconnaître en positif, les embrasser, les porter en étendard, produira l’exact contraire de la destruction de ces concepts et catégories aliénantes, et à l’évidence n’a pas comme perspective d’y mettre un terme. Porter sa condition de dominé-e en étendard vise la plupart du temps à vouloir en faire la nouvelle norme dominante. Pour le dire simplement avec un exemple, nous ne voulons pas être des prolétaires. Nous voulons abolir les classes.

Ainsi donc, les bases même de cette bataille théorique, mais pas que, (autour des notions de race, entre les « antiracistes » et et les « antiracialistes ») en cours sont (pour nous) erronées. Et nous regardons tout ceci d’un point de vue extérieur, et navré-es, considérant que ces individus se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne le pensent dans leurs méthodes et leurs idéologies sclérosées.

La seule remarque à ce sujet que nous voudrions leur adresser (à tous), c’est d’arrêter de nous enjoindre à choisir un camp. Nos individualités seraient beaucoup trop étriquées dans un quelconque camp au côté de personnes qui n’ont pas nos aspirations, mais quoi qu’il en soit pour nous il n’y a aucun camp à choisir (sans parler que l’idée même de camp s’oppose à nos visions anti-autoritaires, et donc anti-militaristes). Nous ne reconnaissons pas la notion de race, et nous refusons de ne voir que des couleurs, des genres, des sexualités, à la place d’individus complexes qui ne pourront jamais être définis par un seul mot, quel qu’il soit. Et de la même façon, nous refusons aussi d’enfermer les individus dans la catégorie de classe, qui nous semble d’ailleurs beaucoup plus complexe qu’ils veulent bien nous la faire voir.

À la classe et à la race, et à toutes les autres catégories identitaires, nous opposons l’individu dans toute sa complexité. Nous reconnaissons que dans la société dans laquelle nous vivons ici et maintenant nous vivons tous et toutes des rapports de pouvoir et de domination divers, certain-es probablement avec des différences de degrés, de lieux ou de situations et nous ne pensons pas que porter ces rapports avec fierté pourra aider à les supprimer, bien au contraire. Notre but est de détruire ces catégories, de détruire ces identités créées par le pouvoir, car nous voyons en chaque individu une complexité qui rend impossible l’assignation à une étiquette. Ne donnant du crédit qu’aux choix de vie, aux actions et pensées, qui sont les seuls critères qui devraient être pris en compte.

Texte écrit en mixité individualiste,
Ici ou ailleurs, pour l’anarchie.

Juillet 2017

[Delenda Est Éditions]

https://nantes.indymedia.org/articles/42208


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