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« On a chanté, on a crié » : les mineurs isolés étrangers racontent leur manif

posté le 23/07/17 Mots-clés  luttes sociales  répression / contrôle social  solidarité  antifa 

Le 4 juillet, le collectif AutonoMIE appelait à une manifestation contre le racisme d’Etat pour marquer les un an d’existence du DDAEOMIE [1], institution visant à écarter les ressortissant-es d’Afrique subsaharienne de l’Aide Sociale à l’Enfance. A l’occasion d’un atelier d’écriture, les jeunes en ont fait le compte-rendu.

Comme une épreuve

Le but de notre manifestation était de montrer aux gens du DDAOMIE que les choses qu’ils nous font à nous les migrants mineurs, en majorité africains, ne sont pas bonnes, ainsi qu’au Conseil Général qui leur a donné les moyens de le faire. En fait, nous ne nous sommes pas heureux d’avoir du partir de nos pays à cause de problèmes personnels et des problèmes du pays, d’avoir dû venir ici en France alors que nous sommes mineurs, de devoir demander de l’aide.

Oui, nous savons que chaque pays a ses propres LOIS et RÈGLES mais nous croyons fortement que DDAOMIE ne les respecte pas. C’est très, très mauvais pour NOUS. Cela rend les choses très, très difficiles pour NOUS qui n’avons aucune famille ici en France.

Pour quelle raison une association devrait commettre de la discrimination envers les gens comme DDAOMIE le fit pour NOUS ? Nous ne savons si cela a été bon ou mauvais pour le DDAOMIE d’entendre notre manifestation. C’est comme ça que nous faisons en Afrique avec les gens qui savent la chose juste mais refusent de la faire par discrimination.

Nous savons que nous ne serons pas les premiers et que nous ne serons pas les derniers à être mis DEHORS par le DDAOMIE en tant que migrants mineurs africains. Nous ne voulons pas que cela arrive encore à des mineurs africains et des migrants qui se trouveront au DDAOMIE. Nous devons nous battre contre ça, pacifiquement, comme nous sommes en train de le faire. Tout ceci n’aurait pas pu arriver si autant de gens ne NOUS avaient pas soutenus.

En fait, c’est plein de douleur, comme une épreuve, que nous avons fait cette manifestation. C’est le bon moment de se battre pour le futur et protéger ceux qui sont après nous. Cela signifie qu’une autre association devrait prendre le contrôle quand ils refusent de faire leur travail comme on leur demande de le faire. Et cette association qui le fait, c’est le COLLECTIF AUTONOMIE.

Une journée merveilleuse

Mardi 4 juillet 2017. C’était une journée merveilleuse pour moi. C’était la toute première fois où j’assistais à une manifestation en France (dans la ville de Toulouse). J’étais surpris de voir plus de 300 personnes assister à notre manifestation et, au début, j’avais un peu peur en me disant que la police pouvait nous déranger. Mais, à ma grande surprise, ce n’est pas arrivé. J’étais vraiment heureux d’assister à la manifestation et j’étais fier de voir les Français qui ont laissé leur boulot pour assister à notre soutien.

Pendant la manifestation, il y avait les gens qui se sont posés la question, à savoir pourquoi d’autres gens font une marche. Et les autres étaient étonnés d’entendre la situation des jeunes mineurs isolés qui se trouvent dans les rues de Toulouse.

Pendant la manifestation, il y avait de l’ambiance et tout le monde a dansé. On a crié, on a fait des mouvements. Vraiment, j’étais très heureux de faire la manifestation pour informer les toulousains qui ne savent pas la situations des mineurs isolés et ce qui se passe au DDAOMIE.

J’ai pris ma force et on a chanté, on a crié

On devait se retrouver au lieu (la place Belfort). Le jour J est arrivé. J’y suis allé. Quand je suis arrivé, tout le monde était là, les jeunes, les hébergeants et la population de Toulouse. Y avait un peu plus de 300 personnes. Et là j’ai compris que notre situation touchait d’autres personnes qui sont venues. Ça m’a donné la force et le courage d’exprimer ma haine. Et du coup on a fait le défilé du lieu du rassemblement jusqu’à la porte du DDAOMIE. Je ne savais pas que c’était là. Ça m’a fait voir cette maison où les jeunes pleurent. Personne n’est sorti.

On a marché dans les rues de Toulouse. On criait, on disait ce qui n’allait pas. On mettait la musique, on marchait, on faisait du bruit. On a fait du spectacle pour attirer l’attention des Toulousains, pour qu’ils sachent qu’il y a des gens qui souffrent. On a partagé des papiers qui parlent de nous. J’ai pris ma force et on a chanté, on a crié.

Jusqu’au Conseil Départemental, arrivé là-bas on a déposé la musique. Les jeunes ont fait des témoignages par rapport à notre situation. Plus de deux heures là-bas à exprimer notre problème et personne n’est sorti. Les gens de l’État s’en foutaient de nous. La manière dont on était sous le soleil. On parlait de la manière dont on vit. D’après moi, si tu vois ton enfant pleurer, tu viens lui demander ce qui ne va pas. On a pleuré, on s’est consolé nous-mêmes et on est retourné dans notre souffrance, notre galère.

Je suis colonisé par la France, donc j’ai la liberté d’être heureux sur le territoire français.

(Retranscription d’un enregistrement audio).

La manifestation était bonne. La France c’est un pays des droits des hommes. Nous sommes là pour défendre nos droits, parce que en tant que mineurs isolés africains, venant de ce continent, de ces pays colonisés par la France, on est reçus sur le territoire français et c’est la même fatigue. On pensait pas que ça allait arriver. On a nos frères et nos parents qui sont au pays africain. Quand en Italie, en Allemagne, en Belgique, tu parles déjà français, on te dit que t’es un Français bizarre. Parce que en bas-âge, au pays africain, ton pays a été colonisé par la France, tu as été obligé de suivre la langue française. Donc quand nous sortons de pays comme l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, on est serré dans notre paume parce que la langue que eux ils parlent, on peut pas comprendre. C’est pour ça qu’on vient en France, parce que là on a la liberté. Donc nous sommes arrivés ici et la France nous rejette.

Bon, on n’a pas le choix donc nous manifestons. Si le droit des hommes existe vraiment en France, il faut que la France trouve une solution pour les mineurs isolés. C’est pour cela que nous manifestons pour notre droit, pour que la justice, les avocats, l’État civil français voit notre cas.

Ce que DDAOMIE fait, c’est injustifié. Donc ces gens, ces personnes qui sont venus nous soutenir nous donnent la force pour que nous on ait le droit de manifester, pour que l’État français pense aussi que nous, ces Africains qui sont sur le territoire, ils ne doivent pas souffrir comme dans les autres pays. Alors que ici, je suis colonisé par la France, donc j’ai la liberté d’être heureux sur le territoire français. Mais ce qu’on voit, c’est le contraire. La même souffrance qui continue de jour en jour. Donc nous revendiquons notre droit que l’État civil reconnaisse nos problèmes.

Quand on parle d’Afrique on parle d’Europe. L’Afrique et l’Europe sont comme le pied droit et le pied gauche. Y a pas de frontière entre nous. Mais moi ma base, c’est de la France. Ma base, c’est de la France, donc je suis venu ici pour que la France aussi puisse me reconnaître comme je suis, un enfant africain qui a été colonisé par la France, par l’Amérique, par la Chine. Donc j’ai le droit de porter mes plaintes. Notre droit que nous aussi on pourrait avoir la liberté, pas la souffrance. En attendant, salut.

L’appel de la manif :

SAAMENA à Marseille, SAEMIE à Bordeaux et à Pau, MMIE à Rennes, DEMIE à Paris, PEMIE en Seine-Saint-Denis, DDAEOMIE à Toulouse... Les dispositifs d’exception se multiplient et se ressemblent. Créés par les départements dans la foulée de la circulaire Taubira en 2016, ces centres où aucun-e français-e ne rentre n’ont qu’une raison d’être : faire des mineur-es isolé-es étranger-es – protégé-es par la Convention internationale des droits de l’enfant – des sans-papiers comme les autres. Et réserver l’Aide Sociale à l’Enfance aux nationaux... ou aux plus blanc-hes des étranger-es.

A Toulouse, ce racisme d’Etat prend la forme d’une interminable garde à vue dans les locaux du DDAEOMIE (Dispositif Départemental d’Accueil, d’Evaluation et d’Orientation des Mineurs Isolés Etrangers, ouvert depuis le 4 juillet 2016), où des éducateur-ices qui n’en ont que le nom font subir jusqu’à dix interrogatoires à charge à celles et ceux dont le seul crime est d’avoir survécu à l’enfer migratoire. Enfermé-es, les jeunes parlent de « libération » quand, au bout d’une dizaine de jours, ils et elles sont mis-es à la rue, allégé-es de leurs documents d’identité, avec une « suspicion de majorité » entraînant un classement sans suite.

Le parquet de la Haute Garonne n’hésite pas à poursuivre les jeunes qui contestent cette décision auprès de la juge des enfants – et qui gagnent. Accusé-es d’ « escroquerie à l’aide sociale à l’enfance », il n’est plus rare de les voir partir à la maison d’arrêt de Seysses exécuter de courtes peines en forme d’avertissements lancés à celles et ceux qui, dehors, trouvent encore le courage de se battre au sein du collectif AutonoMIE.

Les jeunes ressortissant-es d’Afrique subsaharienne et francophone se retrouvent en première ligne de la guerre aux migrant-es à laquelle se livre le département de la Haute Garonne. En réponse, la solidarité est notre seule arme.

Pour que celles et ceux que l’on pille là-bas ne soient plus mis-es à la rue ici ;

Pour que le Conseil Départemental de la Haute Garonne cesse de confondre protection de l’enfance et gestion des flux migratoires ;

Pour que le DDAEOMIE ferme ses portes et que rien ne le remplace ;

Pour la solidarité avec les victimes du racisme d’Etat ;

Contre la négrophobie, contre le néocolonialisme, contre la Françafrique ;

Contre les lois d’exception ;

Contre toutes les prisons (DDAEOMIE, CRA, Maisons d’Arrêt...) ;


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