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Marseille - Qui a financé le local de l’Action française ?

posté le 30/11/17 Mots-clés  antifa 

L’Action française Provence essaye de faire croire que l’ouverture de son local rue de Navarin à Marseille était une initiative d’une poignée de militants locaux. Pourtant, l’examen minutieux des souscripteurs de la SCI qui finance le projet révèle une toute autre réalité, car c’est surtout l’AF nationale qui est à la manœuvre.

L’Action française (AF) bénéficie depuis longtemps (et encore aujourd’hui) d’une réputation de «  centre de formation intellectuelle  » héritée de son histoire et de sa longue pratique des conférences : mais son activité ces dernières décennies se limitait à prendre l’air une ou deux fois par an pour commémorer la mort de Louis XVI et ou honorer Jeanne d’Arc, à organiser des conférences confidentielles et à vendre son canard à la criée.

Et puis arriva la mobilisation contre le mariage pour tous qui va être une véritable aubaine pour le plus vieux mouvement nationaliste français.

Mettant à disposition leur logistique et leur service d’ordre, l’AF va rafler la mise alors que le Front national comme les Identitaires (qui tenaient alors le haut du pavé en matière d’activisme), n’ont pas su prendre la mesure du mouvement et sont passés à côté, d’autant plus qu’ils étaient les uns et les autres quelques mois plus tôt sur une ligne « laïco-républicaine » pas trop compatible avec le mouvement catho-réac naissant.

L’AF va ainsi réussir à se débarrasser en partie de son image ringarde à la fois par une utilisation intensive des réseaux sociaux (et une volonté féroce de « faire jeune », comme le montre la vidéo ci-dessus, qui laisse songeur tout de même) et par un nouvel activisme de rue : elle voit alors affluer dans ses rangs une jeunesse encore le plus souvent issue de la droite traditionnelle, mais qui cherche où trouver de quoi répondre à son envie d’activisme.

    • C’est dans ce contexte qu’à Marseille, l’Action française Provence s’est lancée depuis trois ans dans l’achat d’une cave, transformée en permanence et en salle de réunion. Installé non loin d’un quartier populaire fortement libertaire, ce local s’est vite transformé en Fort Apache assiégé par les Indiens antifascistes, une situation largement dramatisée par l’AF dans sa stratégie de communication.

On sait que l’extrême droite française aimerait faire croire, comme le GUD à Lyon avec son « Bastion social », qu’à l’instar des "gauchistes" ou des libertaires, elle est capable aussi de monter des projets de centres sociaux à la seule force du poignet de ses militant-e-s.

C’est pourquoi l’acquisition de ce local, situé dans la rue Navarin, est présentée par l’Action française comme un projet qui ne doit rien au mouvement national, mais qui aurait été uniquement rendu possible par l’investissement personnel d’une trentaine de militants marseillais.

C’est en tout cas la fable que raconte Jérémy Palmieri, alias Bizu, le responsable de l’AF Marseille dans une vidéo mise en ligne en décembre 2015 sur le site d’Égalité & Réconciliation (E&R).

- Évidemment la réalité est tout autre. Comme on va le voir, celles et ceux qui ont rendu l’acquisition de ce local possible ne sont pas une trentaine, mais seulement 19, dont la moitié seulement habite Marseille, et dont aucun n’habite ni ne travaille dans le quartier de la rue Navarin.
- Preuve d’ailleurs que l’AF se doutait qu’elle ne serait pas bien accueilli dans le coin, c’est sous un faux nom et un faux prétexte qu’elle a réussi à devenir propriétaire de sa cave.

Tu tires ou tu pointes ?

Avançant masquée pour éviter d’immanquables refus, l’AF a en effet acheté le local de la rue Navarin en se faisant passer pour une amicale de boulistes. Elle a ainsi fondé en juillet 2014 une Société Civile Immobilière (SCI), « Le Cochonnet », dont le nom, explicite référence à la pétanque, est aussi une allusion implicite à ce qui est devenu, depuis les soupes au cochon des Identitaires il y a dix ans, un signe de connivence islamophobe de l’extrême droite.

La lecture des statuts de cette SCI au capital de 28 000 € divise en 100 parts sociales révèle qui sont les véritable financiers de cette opération. Ainsi, le principal contributeur de la SCI, avec un apport de 8400 € soit 30 parts sociales, n’est autre que le Centre royaliste d’action française (CRAF), le nom officiel de l’Action française, la maison-mère basée à Paris.

Le premier associé est le secrétaire général de l’Action française, François Bel Ker, alias « Bœuf », ou encore « La Bûche ». Le deuxième associé, Louis-Charles Bonnaves, résidant à Besançon, est un des principaux responsables de l’Action française Lyon, et par ailleurs fils de Bernard Bonnaves, ancien secrétaire général de l’ AF et membre du comité directeur, et d’Odile Bonnaves, responsable du pôle administratif du mouvement national. Bref, on est loin du militant de base…

Bel Ker et Bonnaves ont visiblement des oursins dans les poches, puisque leurs contributions respectives à la SCI ne sont que de 560 euros. Pourtant, Louis-Charles, après avoir travaillé pour BNP Paribas, est actuellement manager d’Advenis, un fonds d’investissement qui affiche un chiffre d’affaires de près de 30 millions d’euros, ce qui ne fait pas exactement de lui un prolétaire, comme bon nombre d’autres contributeurs de la SCI d’ailleurs. On peut citer par exemple Geoffrey Dupire, chef de secteur chez Coca-Cola, la boisson impérialiste par excellence, ou encore Aurélien Fournié, qui lui gagne sa vie dans un cabinet spécialisé dans la fiscalité, et qui est par ailleurs le président de l’ASPIC (Association Sportive Provençale d’Intérêt Culturel), le deuxième plus gros financier, avec 2800 euros.

D’autres cadre de la structure nationale de l’Action française sont de la partie : Jérémy Palmieri (5 parts au capital de la SCI) est responsable avec Antoine Berth, alias « le Versaillais », du pôle « action et projet » dépendant du secrétariat général et donc de François Bel Ker.

Il s’est marié fin avril 2017 avec Anastasia Ameri, alias Anna Bizu, la porte-parole de l’AF Provence. Un des frères de Palmieri habite d’ailleurs rue Navarin, et fait office de « concierge » pour le local.

Soyons justes : on trouve quand même parmi les associés du Cochonnet des membres de l’Action française Provence, mais là aussi il s’agit davantage de cadres que de militants de base. Bertrand Raffaillac Desfosse, alias Bertrand Lahire (5 parts au capital de la SCI) est le numéro deux de l’AF Provence. Il est également responsable de la section militaria de la maison de ventes aux enchère Leclere, qui a plutôt fait sa réputation sur le street art, et qui est actionnaire de la salle Drouot à Paris. Mais le patron de Bertrand Raffaillac, Damien Leclere, ne devrait pas voir d’un mauvais œil son engagement politique, puisqu’il a lui-même été dans les années 1990 responsable de différentes structures de jeunesse d’extrême droite [1].

Guillaume Langlois (5 parts lui aussi), commercial d’une fabrique de savon de Marseille, est le responsable du service d’ordre de l’Action française en Provence, connu sous le nom de Division 445. Il était auparavant responsable d’une part des Jeunes pour la France (JPF), structure de jeunesse du Mouvement Pour le France (MPF) de Philippe de Villiers, et d’autre part de l’UNI à Aix-en-Provence : c’est ce qui explique le nombre d’anciens du JPF et de l’UNI à l’AF Provence. Langlois est aussi le trésorier de l’ASPIC évoquée plus haut (l’association est d’ailleurs domiciliée à son adresse, dans le 13/14).

Enfin, se trouve dans la liste Jérôme Joubert (5 parts) un militaire d’active, caporal-chef à la Légion étrangère, plus précisément au 2ème REP basé à Calvi. On comprend mieux la subite implication de l’AF en mai 2014 dans la campagne de soutien à un légionnaire qui avait tué son agresseur sur le quai d’une gare parisienne.

Les Identitaires sont de la partie

On trouve également plusieurs anciens militants identitaires parmi les souscripteurs de la SCI : rien d’étonnant quand on connait les échecs d’implantation sur Marseille de ce courant, dont les membres ont alors vu dans le projet de l’AF l’occasion de prendre leur revanche et de se maintenir dans la cité phocéenne.

Jérémie Ferrer, alias « Pytheas 88 »[2] (2 parts), a un beau parcours à l’extrême droite. Après une période skin dans le sillage du groupe de métal NS Brutal Begude fondé par les frères Girard, qui lui vaudra un passage en prison à Luyne pour une bagarre dans un bar d’Aix, Jérémie passe au FNJ.

C’est là qu’il rencontre son ami Guillaume Pradoura, avec qui il crée les Jeunesses identitaires sur Marseille, puis le Bloc Identitaire Marseille (BIM), tentatives d’implantation locales qui se soldent par un échec[3].

Après l’échec du BIM, Jeremie se converti à l’anarcho-royalisme du Lys Noir de Rodolphe Cervelle, avant de finir par rejoindre l’Action française. Il a aussi participé à la création de la section marseillaise d’Égalité et Réconciliation, après une réunion à Marseille d’Alain Soral à l’hôtel Kyriad : c’est lui qui a fait le lien entre E&R et l’AF Provence. Enfin, dernière étape en date de ce parcours éclectique, il s’est finalement converti au soufisme après avoir été viré de l’AF…

Lors des élections municipales de 2014, Ferrer et sa copine de l’époque, Anne Tartrais, sont aussi candidats sur la liste FN de Bernard Marandat. Rien d’étonnant : Ferrer connaissait bien Marie Marandat, la fille de Pierre Marandat, ex-responsable du GUD d’Aix-en-Provence À la fac de droit, et frère de Bernard. Une autre participante au financement du projet de local était également sur cette liste, Blanche de Reviers de Mauny (2 parts).

Julien Sargier, alias Julien Serge, de Vitrolles (5 parts) a commencé à militer aux Jeunesses identitaires avec Jérémy Ferrer et Eva Ferré (cf. infra). André Tola (2 parts), est un libraire proche d’Égalité & Réconciliation, ancien membre du BIM où il occupait le poste de responsable de la propagande. Nancy Valenza Sorrento (2 parts), est une ancienne des JI puis du BIM, où elle était l’adjointe de Michel de Suzanne, responsable de section en 2012. Nancy a rejoint plus tard les Antigones, aux côtés de Mathilde Gibelin, d’Eva Ferré et de Blanche de Mauny, et on l’a vu réapparaître au local de l’AF cet été.

Les filles entrent dans la danse

Puisqu’on parle des Antigones, on trouve également parmi les contributeurs du « Cochonnet » les deux fondatrices de leur branche marseillaise (Gyptis), Eva Ferré (2 parts) et Mathilde Gibelin (2 parts). Parmi leurs moments de gloire, on peut retenir ce jour d’octobre 2013 où, devant la Banque de France, elle dansa une folle farandole avec leurs amis de l’AF… Inoubliable ! Il est vrai que tout le monde ne peut pas être Bonnie Parker.

Eva Ferré, alias « Eve Victoire », alias « la Chouchoute » est la fille de Bernard Ferré, ancien responsable du FNJ dans les Yvelines dans les années 1980, et qui fut le mentor du toute une génération de jeunes militants, notamment Stéphane Ravier. Ferré était un admirateur de Jose Antonio Primo de Riveira, le fondateur de la phalange espagnole, et il a essayé d’intéresser le FN à la question syndicale en créant le CNTS (Cercle National des Travailleurs Syndiqués) sans résultat probant. Sa fille Eva s’est assez logiquement d’abord engagée au Front national avant de rejoindre les rangs des jeunesses identitaires, puis ceux du Bloc Identitaire Marseille (BIM) où elle gérait les fichiers et les contacts. Elle a épousé Guillaume Langlois, le responsable du service d’ordre de l’Action française Provence, mariage célébré en personne par le maire FN Stéphane Ravier à la mairie du 13/14.

Mathilde Gibelin, elle, s’est formé à Europe Jeunesse, l’organisation scout du GRECE. Mais c’est à l’Action française qu’elle va elle aussi trouver son mari Bertrand Raffaillac Desfosse, le numéro deux de l’AF Provence. Aujourd’hui Mathilde, après avoir travaillé longtemps à la communication de la mairie de Ravier, écrit sur Boulevard Voltaire et fait partie de l’équipe qui avait relancé le célèbre magazine d’extrême droite Le Crapouillot, qui, après à peine un an d’existence et quatre numéros, s’est arrêté.

Notons que dans la famille de Mathilde Gibelin, on est d’extrême droite de père en fils. Son père Philippe a été membre du GRECE et administrateur de la Domus, la propriété que possède le GRECE à côté d’Aix-en-Provence, où se déroulaient autrefois les universités d’été animées par Alain de Benoist. Lassé sans doute du travail métapolitique du gourou, il a rejoint le Bloc identitaire en 2012 au moment où ce dernier se transforme en parti politique, avant de suivre la scission qui va donner naissance au Réseau Identités. Son petit frère Thibault a été attaché parlementaire FN au Parlement européen d’Aymeric Chauperade, avant de devenir celui de Jean-François Jalkh, poste qu’il occupe toujours aujourd’hui. Son autre frère, Gauthier, a travaillé au Carré français à Rome, l’un des affaires de la « GUD connection » de Frédéric Châtillon.

L’examen minutieux de la liste des souscripteurs de la SCI qui s’est portée acquéreuse du local de la rue Navarin révèle ainsi que, contrairement à ce qu’affirme l’Action française Provence, l’acquisition d’un local à Marseille n’a rien d’une initiative autonome et locale lancée par une poignée de militants. Au contraire, elle s’inscrit dans une stratégie pensée et mise en place par la structure nationale du mouvement, qui a mis toute son énergie et ses ressources pour ouvrir un lieu qui, loin d’être un centre social ouvert sur le quartier, sert surtout de refuge à l’extrême droite, des royalistes aux identitaires.

La Horde

1 - Damien Leclere était à la fin des années 1990 responsable du Collectif des Étudiants de Droite (CED), la branche aixoise du Renouveau étudiant, organisation étudiante du FN de l’époque. Si l’on en croit un article de La Marseillaise daté du 24 mars 1998, le CED était plutôt partisan des méthodes musclées, puisque cinq de ses militants ont été impliqués dans l’agression de Mehdi et Saïd, deux étudiants « un peu trop « typés » à leur goût. Les deux victimes reconnaissent parmi les agresseurs Damien Leclere, qui est à la même période en 46ème position sur la liste emmené par Bruno Mégret pour les élections régionales de la même année. Toujours en 1998, le CED organise durant la coupe du monde football qui se déroule en France un concert de rock identitaire sur la commune de Jouques, avec en tête d’affiche Fraction Hexagone. Leclere suit Mégret lors de la scission et adhère au MNR, où il est en charge de la branche locale du MNJ, le mouvement de jeunesse du MNR. Après l’échec du MNR, Leclere entame une brillante carrière de commissaire-priseur, mais il n’oublie pas pour autant la politique : l’activisme est remplacé par des activités plus réflexives, puisqu’on le retrouve au Cercle Isteon, qui regroupe des militants royalistes, des cathos intégristes, d’anciens du FN ou du MNR. Le Cercle organise des conférences sur un thème prédéfini au domicile de ses adhérents, chacun accueillant à tour de rôle. Ainsi, Leclere a organisé chez lui une conférence sur « La Guerre d’Espagne, cette guerre que les nationalistes ont gagné », animée par Michel de Saint-Pierre, un professeur d’histoire royaliste. En 2007, c’est encore dans le cadre du Cercle Isteon que Damien Leclerc accueille Arnaud Gouillon, pour une conférence sur le Kossovo, organisée par Guillaume Pradoura, aujourd’hui assistant parlementaire de Nicolas Bay. [↩]

2 - Il est aussi surnommé « Calimero » dans le milieu antifa : « C’est trop injuste ! » [↩]

3 - Pradoura monte alors à Paris pour y suivre ses études tout en continuant à militer au Bloc identitaire. Son humour, mal compris, lui vaudra là-bas des ennuis avec le GUD, et, parfois ingérable, il sera persona non grata dans plusieurs bars nationalistes. Mais la chance finit par lui sourire, puisqu’il est aujourd’hui attaché parlementaire au Parlement européen du numéro deux du Front National, Nicolas Bay. [↩]


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