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On en parle ?

posté le 13/01/18 par Frederic L'Helgoualch Mots-clés  antifa 

Elle a titubé sur ses jambes quelques secondes, la mère. Comme si une claque violente. Elle a blêmi, s’est retenue de crier. Comme si un coup de poing dans le ventre. Elle a contenu ses larmes, montées immédiatement pourtant. Comme si les fantômes du passé... Car en face, sa fille de dix-sept ans, choquée, ne sachant comment réagir, la regarde. Elle doit rester forte, pour elle, pour ne pas la paniquer davantage. Elle doit lui montrer (déjà) comment les gens dignes réagissent quand ils se trouvent confrontés à l’infâme. Et puis d’autres peut-être l’observent en ce moment même, la mère. D’autres guettent peut-être dans l’ombre, cachés dans une bagnole, planqués derrière un rideau - courageux jusqu’au bout - la réaction des deux femmes. Ils attendent de les voir s’écrouler, les deux Juives.

Car voilà ce à quoi ces deux femmes, cette mère et sa fille, ces deux françaises, ces deux habitantes de Romainville se voient réduites : elles sont deux Juives.

C’est ce qui est marqué sur la carrosserie du véhicule. Gravés au tournevis sur les deux portières : "Juif", "Israël". Sur le coffre, une étoile de David. Nous sommes en 2017, et ces deux femmes se sentent traquées. Comme dans le viseur d’un fusil invisible.

Quinze jours plus tôt, leur pavillon était mis à sac. Les trois enfants, la mère, le père, n’avaient rien entendu. Des plaids étendus un peu partout au sol, pour masquer le son des pas. Ordinateurs, télé, tous les objets d’un tant soit peu de valeur. Du travail de professionnels, avait dit la Police. Tous les tiroirs ouverts, toute leur intimité violée. Du travail de vandales. Aucune preuve alors - sinon des suspicions - du caractère antisémite de l’acte. Le hasard, peut-être. La faute à pas-de-chance. La moto de l’ainé, garée devant la maison, avait sans doute attiré l’œil. La mezouzah protectrice au-dessus de la porte d’entrée aussi, probablement. Car aujourd’hui les pièces du puzzle s’assemblent.

Aujourd’hui le ’Juif-blindé-de-thunes’ est de retour. Le ’Sioniste-honni-qui-va-payer’ ressort des égouts mentaux de certains. Que le père de famille soit un petit auto-entrepreneur, que la mère soit une simple employée du tertiaire : peu importe, "les youpins en ont toujours de planqué", n’est-ce pas ?

Alors on en parle ?

    • On en parle de cet antisémitisme qui explose dans les banlieues, surfant artificiellement sur la résurgence du sentiment religieux, de cette haine tenace entretenue par le web, les réseaux sociaux fort ’tolérants’, par les sites complotistes et négationnistes, par les gourous-businessmen qui se gavent via le marché de l’intolérance à grands coups de quenelles ’anti-système’ (sic), de comparaison entre les souffrances, cet antisémitisme-là qui chasse de plus en plus de familles juives de Romainville, des Lilas, de Noisy-le-Grand ou encore de Bobigny, car ne se sentant plus en sécurité ?

On préférerait ne pas en parler car, le sujet est hautement inflammable. Le risque de troquer une discrimination et des caricatures contre d’autres aussi nauséabondes particulièrement élevé. On aimerait plutôt souligner les réussites, les cohabitations heureuses, les tentatives d’apaisement entre les communautés (puisqu’on n’arrive pas à en sortir, des communautés).

  • On préfèrerait agiter le slogan mensonger ’Coexister’, brandir vite fait notre drapeau tricolore en marmonnant - sans plus trop y croire mais pour la forme, quoi - la devise de notre République et ne pas trop s’attarder sur cet antisémitisme banalisé qui se répand comme venin. Seulement voilà, ce serait trop facile de jouer aux trois petits singes, de tout classer dans la rubrique faits divers. Trop facile de cacher que cette mère est tout de même montée dans sa voiture pour amener sa fille à l’école comme si de rien, tête haute, avant de devoir s’arrêter sur le bas-côté, réalisant que le tournevis s’était aussi acharné sur les pneus du véhicule. De taire que la famille a hésité à en parler, de peur de s’entendre rétorquer ’victimisation permanente’. De ne pas dire que cette famille a dû déménager en toute hâte de SA ville comme des parias, abandonnant souvenirs, amis, habitudes, sur recommandation de la Police ("Ils vous ont repérés. Ce serait plus sage") Réfugiée durant quatre mois (avant de trouver un nouveau logement) chez des grands-parents atterrés, eux, de revivre ’ça’.
  • La stèle érigée à la mémoire d’Ilan Halimi, torturé à mort car Juif (et donc supposé blindé) vient d’être à nouveau souillée par des sans-couilles à Bagneux. Le procès du frère-complice du meurtrier (entre autres) de l’école juive de Toulouse vient de se terminer. La tuerie de l’Hyper Cacher est encore vive dans nos mémoires. Ces passages à l’acte sauvage ne surgissent pas du néant mais sont bien le résultat extrême d’une haine entretenue, quotidienne, banalisée ; évidente pour certains esprits frustrés et incultes qui les rendent perméables aux idéologies intégristes ("1 acte raciste sur 3 commis en France en 2016 est dirigé contre un juif, alors que les juifs représentent moins de 1% de la population. En 2014, c’était même 1 sur 2" rappelle le Monde).
  • Chaque fait divers est un signal du pourrissement en cours du vivre-ensemble. Chaque nouvelle agression - même verbale - un symptôme que personne, qu’aucun citoyen français, black-blanc-beur-métis-asiat, catho-musulman-juif-bouddhiste-athée-que sais-je encore, ne doit sous-estimer. Qu’il s’agisse des citoyens juifs comme des citoyens d’origine asiatique par exemple (eux aussi confrontés aux stéréotypes et à ses morbides conséquences), il ne faut pas être juif ou d’origine chinoise pour se sentir personnellement agressé. Car c’est bien dans le contrat social (ce qu’il en reste) qui nous lie que ces vandales décérébrés plantent leurs tournevis.
  • ’Israël’, gravé sur la portière. Comme si l’un ou l’autre des parents était ministre de Nethanyahou et par là même redevable de la politique de ce dernier. Comme si le conflit israélo-palestinien se DEVAIT d’être importé en France pour camoufler ce que sont vraiment ces agresseurs : de vulgaires gangs de détrousseurs encouragés par les silences, par l’inaction et l’indifférence ; par les communautarismes et l’idée secrète que "cela ne nous regarde pas tant que nous..."

La solution ? Elle est connue : l’école, l’école, l’école ! La Culture et la Connaissance pour combattre la bêtise et le vide intellectuel, rappeler à tous que les différences sont une richesse et non un gouffre qui nous sépare les uns des autres. Et la sécurité publique pour tous, bien sûr, avant, aussi, pour mater voyous désœuvrés - trop tard pour eux, pour la Culture - qui démolissent des vies (qui plus est en se parant du costume trop large pour eux de combattants pour la liberté dans un conflit étranger auquel de toute façon ils ne captent pouic), barbares en devenir (relire ’Tout, tout de suite’ de Morgan Sportes), bombes à retardement pour chacun.

Vœu pieux, bien entendu. Solution unique pourtant.

Que faire, tout en espérant, à son niveau ? En parler, déjà, ne pas se taire. Raconter les tristes faits.

Car pendant que des barbares en devenir, petites bandes minables, territoriales, planquées, se sentent tout puissants à chasser et piller "le Juif", une jeune fille de dix-sept ans, elle, se demande dans l’obscurité de sa nouvelle chambre qu’elle n’a pas souhaitée ce qu’elle a bien pu faire pour être ainsi aussi haïe.

Le vivre-ensemble en France en 2017, décidément, a une bien triste gueule. Qu’avons-nous fait ? Qu’avons-nous laissé faire ?

Le silence et l’indifférence sont les meilleurs alliés de ses brutaux adversaires, au vivre-ensemble : tâchons tous, déjà, de ne pas l’oublier.

*photos prises et fournies par la famille

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