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« L’antisémitisme de l’extrême droite »

posté le 08/04/18 par Stéphane François Mots-clés  antifa 

Depuis la fin du XIXe siècle, le terme « antisémitisme » et ses dérivés renvoient à l’ensemble des discours, croyances et pratiques qui, dans l’histoire, ont pour trait une hostilité à l’égard des Jui-ve-f-s.

L’une des explications à cette hostilité serait à chercher, selon les antisémites, à la fois dans la « nature » des Juifs à former une « nation » dans la nation, sorte d’ennemis intérieurs parfois élevés au rang d’ennemis quasi-métaphysique, l’antisémitisme ayant une très forte charge mythique (le « Juif » absolu largement mythifié : il existe par exemple de l’antisémitisme dans des pays sans minorité juive), et à leur supposée conduite négative à l’égard des autres peuples (domination, exploitation, corruption, destruction, inassimilation, ethnocentrisme, etc). De ce fait, il serait justifié de pratiquer des violences à leur encontre, allant des menaces et insultes aux attaques meurtrières, en passant par l’exclusion et les pogroms… L’antisémitisme relève à la fois de l’idéologie raciste (rejet de l’autre au nom d’une « race » supérieure, les racistes inventant une « race » juive), et de l’idéologie racialiste (idée selon laquelle la race joue un rôle primordial dans l’histoire des civilisations).

Les sources de l’antisémitisme sont à rechercher dans plusieurs assertions défendues par les antisémites. Ainsi, l’accusation de « haine du genre humain » provient des discours judéophobes de l’Antiquité (condamnation de l’exclusivisme et du séparatisme religieux des Juifs). Elle sera réinterprétée à compter du milieu du XIXe siècle comme une forme d’ethnocentrisme et de communautarisme, voire comme une forme de racisme de la part des Juifs vis-à-vis des populations non juives. Certaines formes de judéophobie sont d’ordre théologique, venant du christianisme (catholicisme et orthodoxie) : les Juifs seraient des « déicides », des meurtriers rituels, des profanateurs (d’hosties). D’autres sont d’ordre idéologique : les Juifs seraient des parasites sociaux, des comploteurs pour la domination du monde, des cosmopolites destructeurs d’identité. Ces discours proviennent de l’antisémitisme contemporain, et se parent de l’« aspect » scientifique : certains ethnologues du XIXe siècle estimèrent que les Juifs seraient une sorte d’« anti-race » absolue chargée de toutes les tares génétiques des « races » avec lesquelles ils se seraient unis. On retrouve ce discours chez les nazis.

La longue période allant de la fin de l’Antiquité à l’apparition de l’époque contemporaine (donc allant du Moyen Âge à la Révolution française) s’est surtout caractérisée par une volonté de justification théologico-religieuse de l’antijudaïsme, les Lumières étant, par leur volonté de rationalisation et par l’apparition des premières considérations naturalistes et surtout nationalistes, un tournant important dans l’élaboration de l’antisémitisme. S’il a existé des attitudes antijuives depuis l’Antiquité, Voltaire par exemple est judéophobe, l’antisémitisme en tant que tel est apparu plus tardivement, avec l’apparition du nationalisme et du racisme, c’est-à-dire au cours du XIXe siècle, avec le vieux réflexe antijuif se « racisant » au contact des sciences des races, dont l’ethnologie (la « science des ethnies »), alors naissantes. De fait, le terme « antisémitisme » apparait entre 1870 et 1880, dans les milieux nationalistes et racistes allemands, mais aussi dans certains milieux socialistes antireligieux de ce pays (Marr, Dühring).

Selon la philosophe Hannah Arendt ou l’historien Léon Poliakov, l’antisémitisme racial est distinct de l’ancien antijudaïsme, car l’antisémitisme est laïque tandis que l’antijudaïsme est avant tout de nature religieuse. En France, le mot antisémitisme apparaît en 1881-1882, avec Édouard Drumont qui fut le premier antisémite auto-désigné (avec La France juive), mais il ne devient courant qu’à la fin de cette décennie. Ce sont les antisémites qui se désignent ainsi : le terme n’a donc pas à l’origine une connotation péjorative. Comme les ennemis sont les « Sémites », il est logique dans leur esprit de se désigner comme des « anti », en l’occurrence des antisémites. En ce sens, l’antisémitisme serait une réaction à l’action néfaste supposée des Juifs. Cette époque, voit -et c’est sa principale nouveauté- le passage de l’antijudaïsme religieux à un antisémitisme racial, c’est-à-dire à une lutte entre les Sémites et les Aryens, ces derniers étant, dans l’esprit de certains pionniers de l’ethnologie, la « race blanche européenne ».

Essentialisation

Ces auteurs essentialisent d’ailleurs les Juifs européens en leur donnant des caractéristiques psychologiques qui seraient propres à leur « race » : haine du genre humain, exploiteurs, instincts vils, complotistes (cf. Les Protocoles des Sages de Sion) et révolutionnaires, refusant de se fondre dans les populations locales, hostilité contre les Aryens, etc. Cette idée de lutte et cette racialisation du rejet du Juif se retrouvent ainsi dans un long développement dans le livre de Drumont. Celui-ci fait aussi de l’antisémitisme une question politique et culturelle. De fait, le XIXe siècle voit la multiplication d’actes antisémites, les antisémites mettant en avant à la fin de ce siècle une supposée existence d’un « péril » juif, réduisant les Juifs européens à un corps étranger qu’il faudrait extraire des peuples du continent européen, soit en les excluant de la citoyenneté de leur pays, soit en leur « fermant la porte » du pays.

L’« âge d’or » de l’antisémitisme fut la période allant du dernier tiers du XIXe siècle à la fin de la Seconde guerre mondiale, le sentiment antisémite étant très largement partagé par les populations européennes et pas seulement par les militants de l’extrême droite contrairement à ce qu’on pourrait croire. En France, l’une des formations antisémites à grande audience fut l’Action française de Maurras. Le tournant fut évidemment les années 1940 avec le passage d’une politique d’exclusion à la mise en place, à partir de 1941, de la politique rationalisée d’extermination des populations Juives d’Europe par le régime national-socialiste et ses alliés, les nazis, voulant, au nom de leur utopie raciste et criminelle, « libérer » l’Europe de ses Juifs.

Après la Seconde guerre mondiale, l’antisémitisme s’est reformulé en passant de l’antisémitisme à l’antisionisme. Certains militants d’extrême droite reprennent la thèse du sionisme-racisme. Durant le même temps et un peu précédemment parfois, le discours antisémite s’est transformé en un discours négationniste, niant soit le nombre de personnes exterminées, soit niant littéralement l’existence de l’extermination des Juifs européens. L’une des figures de l’extrême droite française faisant le lien entre l’antisémitisme et le négationnisme est François Duprat, l’un des cofondateurs du Front national en 1972, tandis que le principal auteur négationniste, qui commence à sévir à la même époque est l’universitaire Robert Faurisson.

Actuellement, des antisémites comme Alain Soral ou Dieudonné font un parcours historique rétroactif, retournant aux thèses antisémites de la fin du XIXe siècle, republiant les classiques de l’antisémitisme : la maison d’édition d’Alain Soral, Kontre-Kulture, a réédité Drumont et Ford (avant d’être obligé de les retirer de la vente) et quelques autres ouvrages phares de la littérature antisémite : Sombart, Toussenel, Weininger, au milieu d’auteurs contemporains, à la fois antisémites et négationnistes, comme Garaudy ou Ryssen.

La nature de l’antisémitisme reste donc constante : il s’agit de montrer l’éternel complot du « judaïsme mondial » contre les nations. Une fois ce constat fait, il faut garder à l’esprit que l’antisémitisme se nourrit des diverses thèses complotistes. En ce sens, il s’agit d’une pratique agglutinante : la haine des Juifs assimile des discours de différentes natures, qui peuvent aller dans le sens recherché. De ce fait, l’antisémite peut être polymorphe, associant l’ancienne judéophobie chrétienne et les spéculations raciales issues de la rationalisation du monde. Du fait de cet aspect, il est très difficile de s’en débarrasser. D’autant que, parfois, il relève de la croyance sur laquelle la raison n’a pas prise… Cela explique sa persistance malgré l’extermination des Jui-f-ve-s européen-ne-s durant la Seconde guerre mondiale.


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