RSS articles
Français  |  Nederlands

André Picot : Lacrymosa !

posté le 14/06/18 Mots-clés  réflexion / analyse 

André Picot : Lacrymosa !

De tous les vieux préjugés existants le plus incrusté dans les cerveaux est évidemment celui qu’on appelle le culte et le respect de la mort.

Et même, tandis que les autres préjugés atteignent soit les riches, soit les pauvres, le respect de la mort détient le record dans toutes les classes de la société.

Un enterrement passe ? Hauts de forme et casquettes de velours s’abaissent tandis qu’un coup d’oeil de commisération va du corbillard à la « famille ».

Dernièrement, je rencontrai un de ces cortèges macabres, comme je me rendais au travail. Je n’y prêtais pas plus attention qu’à une voiture de décombres et je continuais mon chemin en fredonnant. Une voix brutale me cria aux oreilles : « Peux pas en lever la bâche, elle est vissée ? ».

Je me retournai. C’était un ouvrier qui m’interpellait. Une églantine fleurissait encore le revers de sa veste. Il tenait sa casquette à la main. Longeant la rue, un corbillard se baladait majestueusement. Il était traîné par de beaux chevaux tout harnachés de noir et de passementeries d’argent. Le cercueil était recouvert d’énormes gerbes de fleurs, et tout autour de grandes couronnes se balançaient sur leur clou aux cahots des pavés.

Derrière cet apparat grotesque, une file de gens en noir suivait : les parents, les amis, les voisins. Je me rappelai que dans bien des villes encore, au Havre par exemple, une pleureuse suit, derrière le corbillard, tenant à la main une lanterne allumée. Qu’éclaire-t-elle ? ? ?

Sur le passage du cortège, la foule est arrêtée ; des cochers, des omnibus, des charrois, s’arrêtent aussi ; la foule se découvre respectueusement, saluant ainsi la charogne qu’on balade, saluant la mort.

Le respect de la mort amène au mépris de la vie. Le culte de la mort est d’origine religieuse, une partie du grand culte de la vie éternelle et du paradis.

Les religions s’en vont, faisons tous nos efforts pour effacer ce qui en reste. Il est donc nécessaire de travailler à ce que le culte de la mort disparaisse — nous aurions trop à faire s’il fallait nous découvrir devant chaque transformation de la matière.

Pour détruire ce préjugé affirmons notre amour pour la vie, manifestons notre opinion aussi bien devant la balade d’un mort que devant l’urne électorale.

Sur le passage d’un enterrement montrons aux gens leur bêtise en ne nous découvrant pas, expliquons qu’au lieu de faire tant de simagrées inutiles pour les morts il faudrait avoir plus de soins pour les vivants.

… Au fait, si la mort les intéresse tant, s’ils croient encore, les « chapeaux bas », à l’existence d’une bonne vie future, pourquoi ne vont-ils pas à sa rencontre ? C’est facile et cela nous débarrasserait bougrement.

André PICOT
l’anarchie n°53, jeudi 12 avril 1906.


posté le Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article
Liste des documents liés à la contribution
arton1201.jpg


Commentaires

Les commentaires de la rubrique ont été suspendus.