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À Notre-Dame-des-Landes, l’été a rechargé les batteries de la lutte

posté le 05/09/18 par https://reporterre.net/A-Notre-Dame-des-Landes-l-ete-a-recharge-les-batteries-de-la-lutte Mots-clés  luttes sociales  alternatives  luttes environnementales 

Le premier week-end de septembre a conclu, à Notre-Dame-des-Landes, une « semaine intergalactique » autour de l’Ambazada, à la fois un lieu et un collectif fédérant des territoires en lutte à l’échelle mondiale. Pour les participants, conserver cette dimension politique est le plus sûr moyen pour la Zad de ne pas disparaître.

Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage

Soleil, camping, rencontres, siestes à l’ombre des talus… l’ambiance est presque vacancière sur la Zad, en ce premier week-end de septembre. Comme un besoin de respirer pleinement, jusqu’au bout, le doux parfum d’été venu remplacer celui des lacrymos du printemps. À celui-ci se mêle l’odeur de la lutte, de la détermination et de la solidarité. Car la Zad est bien vivante. Elle se tient debout, évolue, rêve. C’est au milieu de cette effervescence, au mois d’août, qu’a été construite l’Ambazada. Ce bâtiment de 150 m2, conçu en bottes de paille sur une armature bois et enduit de terre, est destiné à accueillir sur la Zad des collectifs en lutte du monde entier. Pour l’inaugurer, le collectif de l’Ambazada a organisé la « semaine intergalactique », du 27 août au 2 septembre.

    • « Le projet est né d’une rencontre avec un collectif basque en août 2017, puis a rapidement pris une vocation internationale », relate Camille, une des organisatrices. Cette jeune femme aux allures d’étudiante travaille sur le projet depuis son commencement et habite à la Zad depuis deux mois. « Cet endroit permet de renforcer les liens entre les territoires en lutte à une échelle planétaire, avec l’organisation de débats, d’ateliers et de spectacles, reprend-elle. Il y a aussi une cuisine et un dortoir, pour que les collectifs puissent passer plusieurs semaines en étant autonomes. »

Un grand chapiteau pouvant accueillir quelque 300 personnes a été érigé à côté de l’Ambazada, dans le champ accueillant les toiles de tente. Ce samedi, à 15 h, le dernier débat de la semaine s’y déroule. Il porte sur les témoignages de réussite ou d’échec de mouvements sociaux et lieux alternatifs.

« En résistant au projet [d’aéroport], on a vu qu’on pouvait s’unir sur le terrain et se donner un nouvel imaginaire », lance un intervenant.

« Les manifs, l’État s’en fout, mais, ce qu’il n’aime pas, c’est quand on montre qu’on peut se passer de lui », ajoute un autre.

Le chapiteau est plein.

Tout le long de l’après-midi, les visiteurs affluent, cherchant une place à l’ombre à l’extérieur. La jeunesse est très présente. Des petites radios avec écouteurs sont mises à disposition pour assurer la traduction en français, anglais, espagnol et italien, dont se chargent les traducteurs assis au fond du chapiteau. Les débats témoignent de la détermination et de l’espoir des habitants de la Zad. « Cette semaine, il y avait 300 inscrits, on était 500 jeudi soir, alors que l’année dernière, on était 200, se félicite Camille. Donc, on est loin de perdre espoir. On voit beaucoup de gens simplement de passage ici. » Plus loin, assis sur l’herbe, une bande de trois amis témoigne : « Nous sommes venus cet été pour la première fois, pour voir comment c’était ici et, finalement, on est resté aider aux travaux. »

« Un territoire en lutte et non une petite réserve de maraîchers bio légalisés »

Dans l’Ambazada, les quelques personnes qui n’assistent pas au débat s’activent. Devant une des entrées du bâtiment, deux femmes s’occupent du point info, pour guider les visiteurs de la Zad et expliquer le programme de la semaine. Sur les tables à côté sont entreposés des tracts et petits documents informant sur les luttes du monde entier. Aussi des livres, relatant les combats sociaux du passé. « Je viens régulièrement ici depuis 2012. Ce printemps a été très difficile mais nous sommes motivés à conserver cet endroit comme un lieu de lutte », raconte un autre Camille, avant de glisser une pièce dans la caisse à prix libre.

Passé la porte, sous la mezzanine, un jeune artiste propose de sérigraphier des T-shirts au nom de l’Ambazada. À côté, assis derrière une petite table en bois, Marie et Elékine expliquent les dangers de la loi Élan. « Nous sommes ici pour appeler à faire des actions locales, sur toute la France, à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 18 septembre, jour du passage en commission paritaire », explique Marie [1].

Les alentours de l’Ambazada fourmillent de bénévoles, occupés à faire la vaisselle, à préparer les frites pour le diner ou à vider les toilettes sèches. Parmi eux, Edern, 27 ans, habillé d’un T-shirt fraîchement sérigraphié, apporte les fûts de bière à la buvette. Régulièrement présent sur le lieu depuis un an, il y est resté tout le mois d’août pour terminer la construction. « Il y avait dès le début des chantiers très inclusifs, plein de conférences sur les thèmes politiques et je me suis attaché à ce projet qui me parle vraiment car il assume clairement le fait que la Zad va devenir un territoire en lutte et non une petite réserve de maraîchers bio légalisés », s’enthousiasme le jeune homme, qui a observé beaucoup de passage en août de personnes venues pour la première fois. « Des gens qui passent durant l’été pour découvrir la zone, témoigne-t-il. Donc, plein de gens différents qui viennent pour des raisons différentes et ça casse aussi l’entre-soi militant. Il y avait un brassage et c’était vraiment très enrichissant. Ça modifie notre façon de voir les choses, on découvre des histoires, des modes de vie, qui nous font comprendre les différents points de vue. »

En plein milieu de l’après-midi, l’animatrice des rencontres interrompt le débat : « On nous signale trois fourgons de gendarmes sur la départementale. » L’information ne brise pas la quiétude de la foule et le débat reprend. « C’est assez fréquent qu’il y ait un fourgon de gendarmes qui fasse des contrôles, ou du repérage, pour voir ce que font les gens, ce qui se reconstruit, observe Camille. Même des patrouilles à pied. Ça n’a pas été très fréquent durant l’été, mais c’est suffisant pour maintenir une tension. » Plusieurs personnes interrogées parlent d’une présence assez diffuse et variant d’une semaine à l’autre. La zone de l’est de la Zad est la plus sujette aux patrouilles policières. « Dans l’est, il y a deux semaines, on a commencé à reconstruire des cabanes et les flics sont passés par là, raconte un habitant. Ils ont constaté qu’il y avait des constructions, sont revenus le lendemain matin et ont tout défoncé. » L’hélicoptère survole aussi la zone de temps en temps. « Il y a eu une intervention lors d’une petite manifestation contre les violences policières, se souvient Edern. Ça se passait à un carrefour et personne ne bloquait la circulation. » Mais quelques camions de gendarmes mobiles ont débarqué et ont gazé tout le monde. « Finalement, c’est eux qui ont bloqué la route ! » précise-t-il, dans un éclat de rire.

« Nous allons faire vivre l’imaginaire »

En octobre, un comité de pilotage jugera les projets de la Zad. Il y a tout un processus de négociation en route. « La violence des expulsions s’est enchaînée avec la phase de négociations, qui est difficile pour tout le monde, assure Camille. C’est impossible de faire rentrer dans des papiers toutes les choses qui se vivent ici depuis des années. » Si la jeune militante est assez confiante concernant l’Ambazada, elle s’inquiète pour d’autres projets. « C’est un travail de longue haleine qui demande des compétences que peu de gens ont ici. » Puis d’ajouter : « La Zad est destinée à rester un territoire en lutte et la meilleure façon d’y arriver, c’est de continuer à lier les luttes. »

Malgré les difficultés, toutes les personnes interrogées souhaitent garder cette dimension de territoire en lutte. « Pour moi, c’est l’avenir, pense un habitué des lieux, présent pour quelques jours. Il faut continuer à soutenir les squats, les luttes syndicales, tout en continuant à construire des modes de vie collectifs. Et puis, forcer le cadre légal pour y faire rentrer nos formes de vie. » Mais, à la fin du débat, vers 18 h, une femme inquiète de l’avenir de la Zad interpelle la foule : « Il y a une normalisation du paysage humain sur la Zad qui peut amener à la destruction d’un lieu de différence qui faisait que plein de gens avaient envie de venir là, critique-t-elle. Il faut défendre la différence. Il doit y avoir éventuellement des punks à chien, des trans, des gens qui ne sont pas acceptés ailleurs et qui se sentent à leur place ici. » Le débat se termine là, pour libérer les traducteurs, vivement applaudis. L’animatrice invite à poursuivre la discussion durant la soirée.

Tout le monde quitte le chapiteau pour se diriger vers les buvettes et l’Ambazada, où se déroulent les festivités de clôture de la « semaine intergalactique ». On y entonne les chants révolutionnaires et distribue bière et frites. Puis, deux musiciens commencent à jouer sous le bâtiment de paille et de terre. Les danseurs se pressent à l’intérieur pour battre le sol, comme le veut la tradition. Au bout d’une petite heure, la musique est interrompue pour faire place aux discours. Tour à tour, les organisateurs prennent la parole : « La Zad restera un lieu de lutte et pour longtemps » ; « Vous êtes tous formidables » ; « Nous allons faire vivre l’imaginaire ». Les paroles sont sans cesse interrompues de cris et d’applaudissements. Puis, on annonce l’événement de fin septembre : « Le weekend du 29 et 30, on veut un maximum de monde à la Zad. Il y aura des manifs, des chantiers. Il faut montrer que ce n’est pas terminé, que les gens sont prêts à se mobiliser s’il y a de nouvelles expulsions. » Les applaudissements reprennent et ne s’arrêtent qu’au son de l’accordéon et du violon. Et les danseurs de reprendre la danse.


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