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« Dans les beaux quartiers » médiatiques de la classe dominante

posté le 03/02/19 par https://www.acrimed.org/Dans-les-beaux-quartiers-mediatiques-de-la-classe Mots-clés  luttes sociales  médias  antifa 

« Dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu es. » Si les médias dominants se ressemblent, une des explications consiste à dire que ceux qui les contrôlent et/ou dirigent se ressemblent et a minima ont des conditions matérielles d’existence et des intérêts objectifs similaires. Pour tenter d’analyser l’emprise que la classe dominante exerce sur les « grands » médias nous avons observé la répartition des domiciles des PDG, directeurs généraux, membres des directoires et/ou des conseils d’administration et/ou de surveillance des établissements et entreprises audiovisuels de dimension nationale ainsi que de l’AFP qui a un rôle structurant dans la production de l’information.
Pour ce faire, en septembre 2018, nous nous sommes procurés auprès du « Greffe du Tribunal de Commerce » où chaque société est immatriculée, les extraits Kbis de chacune [1]. Puis nous avons localisé sur des cartes – en les rendant anonymes –, les adresses des domiciles des individus recensés et des sièges des « grands » médias audiovisuels. Pour montrer quoi ? Que les dirigeants des grands médias vivent dans les mêmes quartiers, se croisent dans les mêmes boulangeries, emmènent leurs enfants dans les mêmes écoles, et qu’ils partagent, en somme, le même univers avec les mêmes œillères. Aussi, il n’est pas étonnant qu’ils impulsent des orientations similaires aux médias qu’ils dirigent…

Dans les enclos de la classe dominante

Nous dénombrons en tout 141 postes occupés par 131 individus [2] : 85 pour les établissements publics et/ou remplissant des missions d’intérêt général appelés par la suite « publics », et 56 pour les entreprises ou groupes privés appelés par la suite « privés ».

- 40 des 56 postes du « privé » sont occupés par des habitants de Paris et de la banlieue chic de l’ouest parisien soit 71%. Ils se concentrent particulièrement dans le 16ème arrondissement :

- 60 des 85 postes du « public » sont occupés par des habitants de Paris et de la banlieue chic de l’ouest parisien soit 71%. Une grande partie d’entre eux réside dans le centre parisien (du 1er au 7ème arrondissement) :

À noter que seulement 2 postes du « public » sont occupés par des habitants de la Seine-Saint-Denis (un par un administrateur, représentant du personnel, domicilié dans une ville en cours de gentrification - Pantin - et un par un sénateur). Le « privé » ne compte, quant à lui, aucun représentant habitant l’est ou la banlieue est de Paris.

Ces cartes de synthèse rendent visible une tendance historique dans la localisation des domiciles des représentants du « public » et du « privé » : les membres du pôle « privé » sont positionnés plus à l’ouest (quartiers immobilier plus onéreux) que ceux du pôle « public ». Cependant, il s’agit d’une différence « secondaire » en ce sens qu’elle est interne à la classe dominante ; le « public » et le « privé » tendent à représenter respectivement la noblesse d’État et la haute bourgeoisie d’affaires, c’est-à-dire deux fractions de la classe dominante qui sont mobilisées en permanence pour défendre, pérenniser et favoriser leurs intérêts de classe.

« Public » et « privé » occupent sur quelques kilomètres carrés de l’ouest parisien une véritable ZAD, une Zone des Affairistes et des Dominants. Et cette ZAD est défendue par toutes les forces de l’ordre social car « l’entre-soi grand bourgeois est décisif pour la reproduction des positions dominantes, d’une génération à l’autre, parce qu’il est un éducateur efficace. » [3]

L’entre-soi de la classe dominante est parfaitement illustré par le cas de la villa Montmorency dans le 16ème arrondissement, présenté par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot :

Encadré : la villa Montmorency

Il ne faut pas se méprendre, l’expression « villa Montmorency » ne désigne pas un « vulgaire » pavillon à Montmorency mais un « lieu emblématique de la haute société française et internationale », « un cadre idéal pour des maisons de campagne destinées à une clientèle fortunée » situé dans le seizième arrondissement. Ce « lotissement » de cent-dix-sept maisons et/ou hôtels particuliers est la traduction socio-spatiale la plus « extrême » de la logique de l’entre-soi de la classe dominante : « La villa Montmorency est inaccessible au promeneur : soigneusement gardée, il est hors de question d’en franchir les grilles sans en avoir été autorisé par l’un des habitants. »

À cette extrême fermeture résidentielle correspond une extraordinaire concentration de détenteurs de capitaux (économiques, politiques, sociaux et symboliques) : « La densité des familles les plus fortunées y est exceptionnelle. On y trouve Vincent Bolloré [en 2018, membre du conseil de surveillance de Vivendi] (Havas) et ses deux fils, Yannick [en 2018 : président du conseil de surveillance de Vivendi] et Sébastien, qui y ont chacun une maison ; [l’héritier et oligarque des médias] Arnaud Lagardère (Lagardère médias) [Paris-Match, Le JDD, Europe 1,…] ; Georges Tranchant (les casinos de Finindusco) ; Dominique Desseigne (hôtels de luxe et casinos Lucien Barrière) ; Xavier Niel (Iliad, maison mère de Free) [en 2018, Xavier Niel est avec Mathieu Pigasse le principal actionnaire de la société Le Monde libre qui contrôle Le Monde, Télérama,… Par ailleurs, délices de l’endogamie de classe, il est le compagnon de Delphine Arnault qui est la fille du milliardaire et première fortune française Bernard Arnault] ; Jean-Paul Bucher (société Flo) ; Alain Afflelou et bien d’autres hommes d’affaires. Au milieu des grands patrons, des familles de la noblesse et du Bottin Mondain, des producteurs de cinéma, comme Tarak Ben Ammar [2018 : membre du conseil de surveillance de Vivendi. [4] ] ; le fondateur d’une radio privée, en la personne de Jean-Paul Baudecroux (NRJ). (…) Et Carla Bruni, dont l’hôtel particulier (…) est fréquenté (…) par son mari, Nicolas Sarkozy. » [5]
Si donc plus de 70 % des postes sont occupés par des habitants de Paris et de sa banlieue chic, il n’est pas surprenant de voir, dans le « privé », des dirigeants habiter à l’étranger. Il est par contre plus étonnant de voir le PDG de l’Agence France Presse, Fabrice Fries, domicilié dans les beaux quartiers de Bruxelles ainsi qu’un administrateur de Radio France, Nicolas Colin, domicilié à Londres.

Le cas de Fabrice Fries illustre en particulier comment l’invocation rituelle d’une formation et/ou d’un parcours international est devenue un instrument de légitimation de la domination [6]. L’expatriation s’accommode fort bien d’une forme d’endogamie sociale, comme le note Anne-Cécile Wagner : « les [dominants] expatriés peuvent traverser un nombre important de pays sans jamais quitter leur milieu ; ils ne connaissent souvent de la France [et des pays qu’ils traversent] qu’un petit nombre de lieux réservés. » [7].


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