il est de bon ton aujourd’hui, dans cette époque post-moderne, de moquer, voire de rejeter en bloc l’héritage de 68, sans avoir pour autant réussi à comprendre ce moment de soulèvement, voire à l’épuiser dans toute sa diversité.
Tout le monde a ses « bonnes » raisons de se penser plus « sérieux », « au-dessus » ou « post » 68.
Pour certains, 68 n’aurait été qu’un mouvement idéaliste de la petite bourgeoisie gauchiste étudiante, pour d’autres, un mouvement de travailleurs assujettis aux syndicats, une « convergence des luttes » qui n’aurait pas « pris », un mouvement qui aurait été incapable d’empêcher sa récupération, qui l’aurait auto-produite, qui serait à l’origine de la société telle que nous la connaissons, un mouvement dont on aurait trop entendu parler, qui n’aurait pas adressé les bonnes questions, qui ne serait parvenu à aucun dépassement, qui n’aurait été « qu’un » mouvement social, n’en aurait pas été un, ou pas assez, ou n’aurait finalement été qu’un mouvement contre-culturel, etc. etc.
Peut-être que tout cela est un peu vrai et faux à la fois, peut-être qu’il serait temps de sortir à la fois de la commémoration béate et museïfiante et de l’hypercriticisme au vitriol, car aucune de ces postures ne semble pouvoir se mettre en capacité de tirer des enseignements de cet épisode d’un point de vue encore et toujours révolutionnaire, aucun ne semble en mesure de sortir des logiques de récupération et/ou de liquidation.
Mais à travers la liquidation de 68, c’est la perspective révolutionnaire tout entière que l’on cherche à torpiller. Des pubs de la fnac aux ricanements moqueurs post-post situationnistes, en passant par les ventes aux enchères de reliques à la Belleviloise, ce que toutes ces formes de commémorations post-révolutionnaires, post-modernes et social-démocrates de 68 conjurent et liquident, c’est la possibilité même du soulèvement, de l’insurrection et de la révolution.
Nous proposons ici d’ouvrir la possibilité de faire émerger de nouvelles analyses ou d’en exhumer d’anciennes sur ce qui a fait et qui fait encore de 68 un moment important de la guerre sociale en cours depuis toujours, un moment dans lequel, qu’on le veuille ou non, nous avons tous puisé quelque chose du vent révolutionnaire qui a soufflé par moment ces dernières décennies, et peut-être jusqu’à l’épuiser et se retrouver aujourd’hui dans un air irrespirable faute d’avoir réussi à trouver d’autres sources. En tous les cas, l’un des derniers assauts révolutionnaires en date dont les enseignements pour aujourd’hui restent encore à tirer à l’échelle du monde, malgré la profusion de tout et n’importe quoi à son propos, marchandises, publicité et autres publications lucratives, un demi-siècle plus tard.