Ce samedi 10 avril, un incendie a eu lieu dans l’ancienne école 14, rue Capronnier 1, à Schaerbeek. Rebaptisée Ecole 404, cet endroit était habité depuis mars 2020 par une trentaine de personnes et plusieurs associations dont Hope4ever et l’ASBL 404. Heureusement, il n’y a eu aucun blessé physique. Le même jour, la commune fait appliquer par la police sa décision d’expulser ces habitants de leur logement.
Le déroulement de cette journée et de celles qui ont suivies, la prise en charge de la situation par les services publiques, les forces de l’ordre, les pompiers, les médias et les propriétaires du lieu, révèle diverses maltraitances, discriminations et abus en tout genre.
Nous ne tairons pas notre colère et refusons qu’une fois de plus, nos voix dissidentes soient silenciées et dépouillées de leur dimension politique. Nous refusons la stigmatisation des squatteureuses, et revendiquons le squat comme l’une des dynamiques politiques les plus pertinentes et émancipatrices qui soit dans la ville de Bruxelles actuellement.
Le collectif 404 et l’asbl Hope4Ever ont réinvesti l’ancienne école pour accueillir, à court et à long terme, des dizaines de personnes, pour une douche, un café, une nuit, 300 nuits, un accompagnement administratif ou du soutien émotionnel, des ateliers vélo, de bricolage, des activités artistiques, de la distribution gratuite de biens alimentaires et vestimentaires. La vitalité d’espaces comme celui-ci s’est démultipliée face à la crise sanitaire et la mise en arrêt des structures d’accueil, de soutien alimentaire, social et psychologique. Les squats sont un lieu de refuge, d’habitation, de recherche collective, de déconstruction, de contrepied au système marchand, raciste et sexiste qui nous entoure.
Il est donc extrêmement violent pour nous, de nous retrouver criminalisé.e.s par la police dès son arrivée sur les lieux, alors qu’elle avait ignoré nos dépôts de plaintes et nos demandes d’enquête au cours des deux incendies précédents. Cette stigmatisation a pris sa source dès le début de l’intervention, avec des pompiers qui n’ont pas effectué les procédures classiques de sécurisation de bâtiment (le tour des chambres pour vérifier que tout le monde se trouvait hors de danger n’a pas été fait correctement : deux personnes qui n’ont pas été réveillées se sont retrouvées dans une situation critique). Le déploiement policier en proportion à celui des pompiers était encore une fois injustifié. Cette omniprésence du dispositif policier n’a eu pour effet qu’une montée de la tension et de la violence au fur et à mesure de l’intervention. Nous avons été nassé.e.s sous la pluie, à peine arraché.e.s du lit par les flammes. 26 personnes ont été arrêtées administrativement et privées de leur liberté pendant plusieurs heures, obligées de décliner leurs identités, interrogées, et humiliées par des discours sexualisants, transphobes, racistes et classistes. La négligence du chef de la police de ne pas relayer les policiers présents sur place a eu pour conséquence que des agents fatigués et agressifs se sont défoulés physiquement et moralement sur les occupant.e.s. La police est responsable de coups de matraque portés sur des habitant.e.s, et d’arrestations musclées qui ont empêché des personnes de récupérer leurs affaires essentielles. Ils ont également interpellé et conduit trois de nos camarades en garde a vue pour « rébellion », les relâchant quelques heures plus tard faute de motif valable. De plus, de manière illégale, elle refuse de nous communiquer le matricule des agents impliqués. Nous nous retrouvons en quelques heures à la rue, notre maison barricadée. Sans surprise à notre retour pour le déménagement, nous constatons nos chambres pillées, détruites, certains de nos lits couverts d’urine.
Il nous semble important de souligner la réaction de la commune : après un an de soutien verbal tiède sans aucune aide concrète, le bourgmestre prend la décision de nous expulser. Cette institution publique se retrouve aussi complice de la violence exercée par la police ce samedi. Les pouvoirs publiques nous laissent entre les mains de la police la journée entière, sans envoyer le moindre soutien psychologique ou alimentaire, sans proposer le moindre abris et sans mettre en place la moindre solution de relogement. La commune de Schaerbeek nous rend ensuite absurdement difficiles les négociations du déménagement, nous octroyant seulement un jour pour vider 3500 mètres carrés en nous imposant la présence de la police.
Nous voulons rappeler face à cette présente criminalisation, que, depuis un an, nous avons reçu des visites de représentant.e.s de la commune de Schaerbeek, pour nous demander si nous étions en mesure d’accueillir des personnes sans abris, se délestant ainsi de ce dont elle est responsable. A plusieurs reprises, nous avons sollicité un soutien financier, une aide matérielle, des aides de relogement. Rien n’a été mis en place.
Nous avons beaucoup de mal, logiquement, à croire à « l’humanisme » de cette commune qui vend de la propriété publique à des entreprises, et expulse les personnes qui y habitent, sous un moratoire fédéral qui l’interdit. C’est une expulsion illégale révélant des systématismes qui continuent de réprimer les plus précaires au nom des intérêts des autorités et du privé. L’occupation de l’école s’opposait physiquement à un projet de gentrification dans un quartier populaire : les lieux appartiennent depuis quelques mois à la firme BPI Real Estate (26 millions et demi de chiffre d’affaire et 6 millions de bénéfice en 2019). Elle prévoit de démolir le tout, pour construire un immeuble de logements sociaux privés, et un rez de chaussée de plus de 2000m carrés de surface commerciale (notamment pour un Lidl), avec un sous terrain de parking et deux enseignes publicitaires. Un projet imposé, rejeté par la majorité des habitant.e.s du quartiers, dont la voix n’a évidemment aucun poids face à celle du monstre immobilier, car on le sait, ce sont les entrepreneurs qui contrôlent les espaces, et pas celleux qui les occupent.
Les médias finalement ont relayé les faits sans aucun témoignage des occupant.e.s, utilisant un langage méprisant du squat et héroïsant des mêmes policier.e.s qui nous ont fait violence. Ils n’évoquent pas ou à peine le fait que cet espace était un lieu de vie, et omettent tout bonnement d’évoquer l’activité socio-culturelle ininterrompue qui s’y développe depuis un an, ni la réaction politique, autrement dit la procédure d’expulsion immédiate appliquée par la commune, ni le sort des trente occupant.e.s expulsé.é.s, pour qui aucun de la dizaine de médias qui a relayé l’information ne montrera le moindre intérêt.
Nous nous opposons à cette criminalisation des modes de vie alternatifs, et nous lutterons encore pour la valorisation et l’expansion des lieux comme le nôtre. Nous dénonçons les dynamiques privées et capitalistes et la complicité des services publiques, qui imposent à toustes des projets absurdes et sans âme et renforcent les inégalités socio-économiques qui n’enrichissent que quelques uns. Nous revendiquons la solidarité de terrain, la désobéissance civile, une prise en charge collective et horizontale de la crise sanitaire et des problématiques socio-économiques, et nous continuerons à travailler collectivement, à travers notre quotidien dans la ville, à l’abolition d’un système de privilèges oppressif et brutal.
Les services publiques et sociaux bruxellois doivent reconnaître le travail immense, quotidien, et gratuit produit par les squatteureuses à travers la ville, et activer d’urgence une réflexion de fond avec elleux même, afin de mettre en place une réelle politique de soutien concret de ces initiatives.