Les « survivants » anti-IVG de retour, 20 ans après.

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Samedi 4 juin, un drôle de cortège d’un soixantaine de personnes défilait à Paris autour du centre Pompidou. Les « survivants » se sont enroulés de papier adhésif où était inscrit « conforme » et distribuaient des tracts anti-IVG aux passants. Sur fond de musique pop, vêtus de casquettes et vestes branchées, aux cris de « nous sommes tous des survivants », l’image se veut jeune et moderne malgré la présence de femmes plus âgées quelques peu en retrait qui surveillent le bon déroulement de l’opération. Le quartier du Marais a été redécoré d’affiches anti-IVG de l’association SOS Tous Petits, connue pour ses prières de rues et ses commandos dans les planning familiaux, et qui ont valu la condamnation de son président Xavier Dor à 10 000 euros d’amende en 2014 pour entrave à l’IVG.

  • Face aux « survivants », presque autant de contre-manifestants issus de divers mouvements féministes sont venus dénoncer ce happening avec des pancartes « mon corps, mon droit », « lâche mes ovaires », « Simone Veil(le) », « droit de l’enfant à être désiré et non imposé » ou encore « je bénis l’avortement ». Le happening des « survivants » devait rester secret quant à l’heure et le lieu choisi, mais des informations ont fuité sur les réseaux sociaux. Ce face-à-face a donné lieu à plusieurs échauffourées avec le service d’ordre des « survivants », ainsi qu’avec certains « survivants » qui portaient des foulards sur la bouche et des casques de moto. Le Petit Journal est sur place pour couvrir l’affrontement.
  • Les « survivants », en majorité des garçons, d’une vingtaine d’années, se sont préparés à l’événement. Ils ont reçu une liste des questions fréquentes des journalistes et des passants, avec des réponses toutes-faites également consultables sur leur site internet. Les femmes sont poussées devant les caméras pour tenter de cacher leur infériorité numérique, mais les garçons restaient majoritaires et en tête de cortège.

D’ou viennent –ils ?

Les « survivants » sont initialement une émanation de l’association catholique d’extrême-droite La Trêve de Dieu, qui organise à partir de 1987 des opérations commandos, allant jusqu’à s’enchaîner dans les blocs opératoires des centres IVG pour en troubler le fonctionnement. (Voir ici l’enquête de Prochoix)

En 1997, le bulletin de la Trêve de Dieu nomme ses militants les plus jeunes « les survivants ». Dans la fin des années 1990, la Trêve de Dieu perd une partie du contrôle de ses « survivants », qui pour des raisons marketing, refusent d’afficher clairement leur étiquette catholique et politique. L’objectif est resté le même : introduire le concept de « syndrome du survivant » pour désigner toute personne… vivante, donc dont la mère « n’a pas avorté ». Leur signe de ralliement est de lever la main en baisant l’annulaire, de façon à symboliser par ce doigt baissé l’embryon qui est mort pour les quatre autres qui statistiquement restent dans le ventre de la mère.

Le message délivré lors de leur manifestation, quasi inaudible, est très bien expliqué sur leur site internet.

Quatre catégories de « survivants » sont décrites : les enfants qui n’auraient pas dû naître, les enfants qui sont nés par hasard, les enfants « remplaçants » d’un frère ou d’une sœur avortés, ainsi que les survivants statistiques. Cette dernière catégorie désigne les « enfants nés dans un pays ou une région où l’avortement est courant », victimes de la « loterie » de l’avortement… donc au final, tous les enfants du globe.

Puisque tout le monde vivant est un « survivant », nous apprenons que nous sommes tous atteints de « culpabilité existentielle, angoisse existentielle, attachement anxieux, connivence pseudo-secrète, méfiance, manque de confiance en soi, culpabilité ontologique ». Pour régler leurs difficultés, les survivants « tombent facilement dans l’usage de la drogue ». Ce qui expliquerait peut-être certaines choses.

Une vision apocalyptique des droits des femmes est décrite, où l’avortement est responsable de tous les maux de notre société : « l’avortement est lié à l’exclusion et au mal-être de notre société. Les jeunes voient leur avenir avec pessimisme ; le taux de chômage des jeunes est élevé ; les gens ne sont plus capables de se mobiliser pour de grandes causes ; l’exclusion ne cesse d’augmenter ; les sondages montrent que les fossés entre générations continuent inexorablement de se creuser ; la violence augmente régulièrement, spécialement celle exercée sur des enfants ; la fécondité est descendue en-deçà du seuil de remplacement des générations, ce qui veut dire que notre population est amenée à diminuer dans les prochaines années ; les gens ne croient plus à l’amour vrai et durable ; un couple sur trois divorce en France, un sur deux à Paris, etc. Il est capital d’avoir conscience que l’avortement a sa part de responsabilité dans cette évolution, et que tu es concerné directement, c’est ton avenir qui est en jeu ».

Sous forme de questions-réponses, ces jeunes personnes veulent revenir sur la loi de 1975 légalisant l’avortement, quelque soit la situation, ainsi que culpabiliser la contraception. Tous les cas de figures sont envisagés, mêmes les plus graves, sous un angle moraliste pro-vie assumé. Le best-of :

à propos de l’avortement après un viol :
« Il faut savoir que les cas de fécondation après un viol sont excessivement rares. Le corps de la femme est fait de telle sorte qu’il y a un phénomène naturel bloquant la fécondation lors du viol », « sa mère croira exorciser son viol en avortant, certes ; mais c’est un faux raisonnement »,
« plaçons-nous maintenant du côté de l’enfant. Il n’a rien demandé, il est innocent du crime que son père a commis même s’il en est le fruit. De quel droit paierait-il de sa vie ce crime ? »,
à propos des viols conjugaux, qui seraient dus au droit à l’avortement :
« les violeurs sont aujourd’hui pour un tiers le mari ou le petit ami de la victime. Pourquoi ? Parce que la femme est trop souvent considérée comme un objet de consommation, et sa féminité est très peu respectée ».
à propos de la contraception :
« le danger est grand, lorsqu’on banalise le geste contraceptif, de se sentir déresponsabilisé vis-à-vis de la valeur de la vie, et d’en arriver à envisager l’avortement comme un moyen extrême de contraception. Lorsqu’une femme qui pratique la contraception oublie de prendre sa pilule, un soir, et le préservatif n’étant pas fiable à 100%, le risque de fécondation existe toujours. Lorsqu’une grossesse accidentelle survient, elle est en général non désirée, personne ne s’y attend, mais ce n’est pas une raison pour passer à l’avortement ».
« certains moyens considérés comme contraceptifs sont eux aussi abortifs. C’est ce qu’on appelle « l’avortement camouflé ». Ainsi en est-il de la « pilule du lendemain ». Cette pilule, qui se prend le lendemain d’un rapport non protégé, est destinée à empêcher l’œuf fécondé (si œuf il y a) de s’implanter dans l’utérus », « et il est tout aussi éthiquement inacceptable de supprimer un embryon de quelques heures que de supprimer un fœtus de 10 semaine ou même de 9 mois ».
« le stérilet (petit fil de cuivre installé dans l’utérus) est un moyen abortif, qui empêche l’œuf déjà fécondé, de se fixer à la paroi utérine. L’embryon, qui n’a que quelques jours, meurt sans que personne ne le sache, et c’est bien un avortement qui se passe en silence. Chaque année, en France, plusieurs millions d’êtres humains sont ainsi privés du droit à la vie, sans que personne ne s’en émeuve ».
à propos de l’IMG (interruption médicale de grossesse, pour les cas de pathologie grave pour l’enfant) :
« l’IMG conduit à l’enfant objet et à l’eugénisme actif, qui n’est pas et ne pourra jamais être un progrès de la médecine. Nous dédouaner de notre propre souffrance en lui supprimant le droit de naître est une solution qui, si elle peut se comprendre, ne peut être légitimée et acceptée comme bonne ».
à propos de la régulation des naissances, notamment dans les pays du Tiers-Monde, où l’avortement clandestin tue près de 50 000 femmes par an :
« Nous ne sommes pas trop nombreux sur terre ! On nous abreuve de cette vision malthusienne de la surpopulation. Il y a assez de ressources naturelles sur terre pour nourrir encore 10 fois la population mondiale ».
« pour des raisons de santé publique, on a instauré l’avortement légalisé, sous prétexte de faire du « travail propre ».
« Les femmes africaines ont 10 enfants chacune ? C’est que leur pauvreté est telle que leurs enfants sont une assurance retraite pour elles. Il en meurt beaucoup, et, elles le savent seuls les enfants les plus résistants arrivent à survivre dans ce monde sans pitié ».

Et enfin, une vision on ne peut plus paternaliste des droits des femmes : « Qu’une femme choisisse ou non la maternité, d’accord ; qu’elle supprime ou qu’on supprime son enfant, je ne suis plus d’accord. Qu’elle prenne la pilule si elle y tient, qu’elle assume sa féminité, et que les hommes assument et respectent eux aussi la féminité de la femme ». « En somme, c’est incontestablement la femme qui est la personne la plus concernée par le bébé qu’elle porte, mais la décision d’avorter ne lui appartient pas pour autant ».

Malgré un marketing assurément jeune et moderne et un logo en forme de super-héros, les « survivants » ne passent pas l’épreuve du debunkage féministe.


publié le 11 juin 2016