hurler avec les loups ?

Hurler avec les loups ?

Qui écrit ce texte n’est pas du genre à aimer le spectacle des visages défoncés, du sang qui coule, des ennemis exposés vaincus et humiliés devant les masses. Je ne hurle pas avec les loups. Pourtant lorsque j’ai vu en gros plan, comme tout le monde le soir de la grande manif syndicale, l’image du commissaire Vandersmissen le visage en sang, je n’ai ressenti aucun malaise, aucune gêne. Pour la première fois, j’ai souri devant une si petite revanche, depuis si longtemps méritée. J’ai souri et assisté comme tant d’autres à la vidéo montrant ce même commissaire s’effondrant d’un seul coup sous le poing vengeur. Et ça m’a fait du bien, comme sans doute à tant d’autres qui connaissent de près ou de loin la sale réputation de ce personnage ; comme tous ceux qui ont eu la malchance de témoigner, ou de subir ces sales méthodes de tortionnaire. Ceux qui comme moi se souviennent d’un ami à genoux à terre et vomissant du sang après tant de coups, et à qui on refusait de l’eau. Ceux qui savent, aussi, que ce n’est pas le fait d’un seul commissaire, mais bien des méthodes communes dans la police. Ceux qui ont vu leurs amis fracassés sur le sol, leurs enfants revenir à la maison défigurés, comme ce fût le cas de Mouad. Ceux qui savent bien toutes ces scènes de torture et de violence, une fois les portes des commissariats fermées, ou celle des cellules, à l’intérieur des prisons, ou quand dans ces mêmes prisons on laisse les détenus pendant des semaines sans sortie ni nourriture décente.
Ces tortures que je me refuse à détailler tant elles donnent la nausée.
Et ce dégoût, cette rage, oui n’ont rien eu à redire du visage ensanglanté du représentant de l’ordre. Je n’y vois pas un affront à ma sécurité mais bien plus une toute petite sensation de pouvoir récupéré sur un contexte écrasant d’impuissance. Parce que, au-delà d’une banale haine anti-flic, que je pourrais peut-être partager jusque avec des hooligans, ce que je vois dans le représentant de l’ordre, qu’il est, le flic, dans toute sa brutalité sadique, n’est que le symbole d’un ordre qui étouffe proprement les travailleurs en leur retirant petit à petit les quelques protections qui déguisaient et atténuaient leur condition d’esclave. A coup de lois et de réformes. Un ordre qui sciemment organise depuis des années des rafles, enfermements et expulsions de migrants jugés indésirables, qui les vend en sous-traitance à des pays en échange de faveurs diplomatiques. Un ordre qui réduit l’humain et tout le vivant à de la conserve ambulante, fricassée, donnée mathématique, marchandise. Proprement, sans drame. Dans des parlements, des tribunaux, en toute légalité. Un ordre qui justifie le maintien de l’enfermement des individus dans des catégories d’oppression et d’exclusion, qui pour son genre, qui pour son orientation sexuelle, qui pour sa couleur de peau, sa religion. Un ordre qui dresse les uns contre les autres et qui s’exprime, essentiellement, par la violence, la répression.
Une violence face à laquelle le plus grand affront est une réponse violente directe, en retour, sans permission. L’auto-défense, la solidarité, l’auto-organisation.
La réponse à cet affront inadmissible, on l’observe dans le lynchage public de la part de la FGTB et du PTB dont Tanguy fut la cible, ou dans la dissociation publique de la CGSP, la CSC et, de nouveau, le PTB face aux actes de sabotage perpétrés sur les réseaux ferroviaires lors de la grève du 1/06, ces institutions tentant conserver ainsi leur position de bons leaders, dignes représentants et interlocuteurs du pouvoir...entendez : une autre forme de gardiens de l’ordre.
On peut l’observer aussi dans le procès de 12 anarchistes en anti-terrorisme, accusés de participation à une association terroriste et de différentes formes d’attaques à des biens publics et privés dans le cadre de luttes contre les prisons, les frontières et les centres fermés. Là aussi ce qui est inadmissible c’est une réponse directe à une violence exercée par le pouvoir.
Ce sentiment, inadmissible donc, de reconnaissance dans le geste de cet homme abattant d’un seul coup Vandersmissen au sol je le nomme solidarité.
Non, je ne hurle pas, moi aussi, avec les loups et les bons citoyens qui se dissocient et laissent cet homme-là seul en pâture face à la justice et ses peines.

En solidarité avec Tanguy
A.C.A.B.


publié le 13 juin 2016