NON AUX « LUTTES DE LIBÉRATION NATIONALE » !

NON AUX « LUTTES DE LIBÉRATION NATIONALE » !

"Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", voilà un principe qui doit être actuellement combattu avec vigueur. Notons d’ailleurs que chez une grande majorité de ceux qui le prônent, a disparu toute préoccupation des arguments qui furent à l’origine de son émission tandis que les autres reprennent à leur compte les positions de théoriciens du mouvement communiste passé, sans comprendre ou sans vouloir comprendre, car défendant des intérêts tout à fait autres que ceux du prolétariat, que soit les conditions dans lesquelles elles ont été énoncées ont profondément changé, soit que ces théoriciens se trompaient déjà et alors il s’agit de les critiquer. C’est au nom du "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes" que le prolétariat des pays peu industrialisés comparativement aux pays qui sont à la tête du marché international, est écrasé et étouffé dans les "luttes de libération nationale", sanglants combats entres blocs impérialistes où la classe ouvrière a tout à perdre et rien à gagner.

Alors que le capitalisme était encore progressiste et que son évolution permettait l’édification de conditions objectives et subjectives plus propices à la révolution et surtout à sa victoire, l’appui de la part de militants révolutionnaires aux luttes de libération nationale était déterminé par différentes considérations. La première de ces considérations était que les rapports capitalistes n’étaient pas alors dominants au niveau mondial et que la constitution de nouvelles nations en opposition avec les impérialismes occidentaux permettait de développer le capitalisme dans les pays colonisés et avec lui la contradiction mortelle qui lui est liée et qui seule est progressiste pour le devenir humain : le prolétariat. En effet, souvent si ce n’est toujours, les pays colonialistes se contentaient de vivre en parasites sur le dos des pays colonisés sans y développer l’industrie, y maintenant dominants les rapports féodaux réactionnaires. D’autre part et d’un point de vue général également, tout affaiblissement de la situation économique dans un pays colonialiste dû à l’indépendance, acquise par la lutte, des pays sous sa coupe, donnerait plus de chances de victoire à une révolution prolétarienne au sein du pays colonialiste en affaiblissant la capacité de résistance ; ou bien, moins ambitieusement, permettrait plus facilement la réalisation de certaines réformes laissant profiter le prolétariat dans la plus grande mesure possible du développement capitaliste tout en le rapprochant de son émancipation par une élévation de son niveau intellectuel. Interférant avec ces considérations d’ordre général, intervenaient d’autres considérations comme par exemple celles exprimées notamment dans certaines lettres de Marx à Kugelmann relativement au problème irlandais.

Quelle est la situation du capitalisme aujourd’hui et les communistes peuvent-ils encore soutenir une quelconque lutte de libération nationale ? Le fameux "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes" n’est-il pas l’un des moyens dogmatiques les plus sûrs par lesquels le capitalisme continue de conserver sa domination sur l’humanité ?

Ceux qui, à l’"extrême gauche", prônent le soutien aux luttes de libération nationale, clament sur tous les toits qu’ils sont les héritiers de la révolution russe et du bolchevisme. Lors de la révolution russe, Lénine avait été plus ou moins acculé à exprimer le principe du "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes" qui renforça la faiblesse de la révolution en lui retirant la Finlande, l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie, l’Estonie, pays où se trouvait concentré un prolétariat puissant et combattif ou encore d’énormes ressources alimentaires comme le blé d’Ukraine. En agitant le "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", Lénine et les bolcheviks avaient cru soulever un élan d’enthousiasme en faveur de la révolution dans la population de ces pays qui avaient été pressurés par la tyrannie tsariste. En réalité, ce qu’ils obtinrent fut totalement l’inverse de ce qu’ils comptaient obtenir. Loin d’obtenir un appui des forces démocratiques, certaines fractions bourgeoises et paysannerie, ils obtinrent un écrasement du prolétariat de ces régions par leurs bourgeoisies qui n’avaient pas voulu entrer dans l’aventure révolutionnaire et qui préféraient à l’indépendance dans le danger de la révolution, la domination de l’impérialisme allemand. Rosa Luxembourg avait su à l’époque critiquer très justement la tactique bolchevique, due par ailleurs à l’extrême faiblesse de la révolution russe. Le mot d’ordre de "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes" avait servi à justifier dans les faits le passage des pays scissionnistes de la Russie révolutionnaire à l’impérialisme des puissances de l’Entente battues dans la guerre comme des puissances alliées victorieuses, maintenant main dans la main contre l’ennemi commun, puissances impérialistes qui s’en servaient désormais comme corde de chanvre autour du cou de la révolution russe. Et très vite, "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes !" devint la devise, et de Wilson, président des États-Unis, et de la très bourgeoise Société Des Nations, ancêtre de l’ONU. Ceux qui dans les années 20 et 30 ne comprirent pas l’erreur des bolcheviks sur cette question sont à critiquer mais on ne peut absolument pas à cause de cela les rejeter hors du camp révolutionnaire. En effet, il est évidemment certain qu’il est difficile d’être dans le vrai en plein bouleversement social alors que le mouvement historique aboutit à une situation jusqu’alors inconnue c’est-à-dire l’expérience du pouvoir au niveau d’un pays entier, des perspectives de révolution mondiale, puis l’échec de ces perspectives entraînant l’effondrement interne de la révolution russe et la montée de la contre-révolution stalinienne au niveau international. Et ceci vaut pour d’autres de leurs erreurs sans pour cela qu’elles doivent être passées sous silence, bien au contraire.

Mais revenons à l’exposé de ce qui a changé dans les données du capitalisme et de la lutte prolétarienne. La première guerre mondiale, carnage impérialiste dominant le monde entier, puis l’explosion prolétarienne qui s’ensuivit touchant aussi bien des pays où le capitalisme était à la pointe de son développement comme en Allemagne (révolutions de 1918 à 1923) ou comme en Angleterre (grande grève générale de 1926 contrée par les syndicats), que des pays où le capitalisme était peu développé comme en Russie, en Chine (révolution de 1925 à 27) ou en Espagne (révolutions de 1934 à 37), prouvèrent que le capitalisme avait désormais instauré ses rapports de domination à l’échelle mondiale comme prépondérants. Désormais, il était nécessaire de réviser la stratégie de la lutte prolétarienne. Cependant, la survivance de la confusion provoquée par l’antagonisme de nombreux impérialismes de tailles presque égales devait continuer à provoquer le trouble dans le mouvement communiste sur la question des luttes de libération nationale. Certains socialistes pensaient qu’il était encore nécessaire et possible de pousser les pays colonisés à rompre leurs liens de dépendance vis-à-vis des impérialismes occidentaux ou japonais pour y développer le capitalisme et l’industrialisation. Ils ne voyaient pas que d’une part l’heure était à la révolution communiste et à elle seule, que d’autre part l’indépendance de pays sous-industrialisés ne pouvait être que fictive vue la puissance économique mondiale de l’impérialisme et en troisième lieu que l’impérialisme lui-même industrialisait les pays sous sa domination. La seconde guerre mondiale, éliminant les puissances européennes en tant qu’impérialismes indépendants et faisant se heurter par la suite les deux puissances impérialistes qui maintenant encore se partagent le monde, montra de façon indiscutable désormais qu’il n’était plus temps de pousser le capitalisme dans son évolution dans quelque pays que ce soit mais qu’il s’agissait pour le prolétariat d’agir comme force mondiale et donc de l’abattre partout. Il n’y a pas un seul pays aujourd’hui où le prolétariat ne soit présent et, quelque soit le niveau des forces productives, le prolétariat des pays peu industrialisés doit compter uniquement sur la révolution sociale internationale. Toutes les conditions objectives au niveau mondial sont réalisées, et depuis longtemps !, pour la révolution communiste mondiale. Or une authentique révolution sociale dans un pays sous-industrialisé ne manquerait pas, malgré la grande puissance des forces contre-révolutionnaires, de raviver dans l’esprit des prolétaires de tous les pays la perspective de révolution communiste.

D’autre part, voyons ce que sont aujourd’hui ces luttes de libération nationale qu’on nous présente comme progressistes. Y a-t-il affaiblissement de l’impérialisme ? Non ! Lorsqu’un pays devient soi-disant indépendant par une lutte de libération nationale, en réalité, il passe d’un impérialisme à l’autre. Il y a donc renforcement ou affaiblissement d’un impérialisme face à un autre mais jamais affaiblissement de l’impérialisme mondial ; au contraire, on assiste à son renforcement et au renforcement de l’affrontement entre les blocs. Et lorsqu’un impérialisme lui-même donne l’"indépendance" c’est qu’il est assuré du renforcement de son emprise économique sur le pays "libéré". Par ailleurs, aujourd’hui, le prolétariat est la seule classe qui puisse être révolutionnaire et une lutte démocratique telle qu’une "lutte de libération nationale" camoufle en réalité une lutte profondément anti-prolétarienne. Prenons quelques exemples de luttes de libération nationale. Le Vietnam, de la dépendance vis-à-vis de la France dans laquelle il se trouvait avant la guerre, tomba sous la coupe de la Russie. Entre-temps, le Vietmin avec à sa tête Ho-Chi-Min (dont les "trotskistes" faisaient un véritable héros alors que la guerre d’Indochine touchait à sa fin au Vietnam),et avec l’aide des forces d’intervention françaises, écrasait une insurrection ouvrière à Saigon, dirigée par un groupe d’appartenance trotskiste. Au Cambodge, hier à peine encore sous la dépendance indirecte des États-Unis qui s’en servaient comme d’un pion dans leur stratégie mondiale face au pion vietnamien avancé par la Russie, les dirigeants, aujourd’hui déchus par les nouveaux tyrans appuyés directement par le Vietnam et donc par la Russie, avaient, de façon organisée et méthodique, fait éclater le prolétariat des villes, lui retirant toute la force qu’il possédait auparavant en le disséminant dans la campagne, séparant les familles, isolant les individus pour mieux les contrôler. Certains imbéciles - il est difficile de ne pas employer un tel mot à leur égard - affirment aveuglément que les luttes de libération nationale éliminent les structures tribales ou féodales encore existantes. Sans compter qu’il ne s’agit pas d’attendre que chaque parcelle de la Terre soit dominée séparément par le capital sans quoi on pourrait bien attendre des centaines d’années si jamais le capitalisme pouvait le réaliser ce qui n’est absolument pas certain, au Cambodge l’effet de la "lutte de libération nationale" qui s’était menée avait tout simplement établi une sorte d’esclavagisme d’Etat, faisant revenir ainsi le pays mille ans auparavant. Un autre effet des "luttes de libération nationale" est de propager le capitalisme d’Etat. Tout appui à cette propagation comme progressiste est une aberration digne soit de la contre-révolution consciente, soit de crétins qui n’ont qu’à aller voir dans les pays capitalistes d’Etat si cette forme de l’exploitation capitaliste est si progressiste que cela. La seule progressivité qui puisse être aujourd’hui, il est nécessaire de le rappeler, ne peut se trouver que dans une révolution communiste mondiale à la tête de laquelle se trouvera le prolétariat international, des pays industrialisés comme des pays peu industrialisés.

Il est donc indispensable aujourd’hui de dénoncer toute mystification issue du mot d’ordre de "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes" qui abrite derrière une soi-disant "lutte de libération nationale" un affrontement inter-impérialiste combiné à une lutte anti-prolétarienne. Aujourd’hui, seul le prolétariat doit avoir droit à disposer de lui-même et, en dehors de cette affirmation, on est en dehors du terrain de la révolution et du progrès social.

ALARME N°3, Jan.-Fév.-Mars 1979, pages 6-7-8.


publié le 27 juillet 2016