La Mystification du football

Le football est devenu une mode dans la classe moyenne. Les sectateurs d’un football alternatif sont toutefois pris entre la critique du spectacle des grandes compétitions mondialisées et le refus de l’analyse de classe qui considère le football comme une pratique loin d’être neutre politiquement.

C’est pour faire surgir cette contradiction que le Grouchos a entrepris une visite dans une librairie qui invitait un supporter [1]. Nous sommes intervenus (sans y être invitées) avec un dispositif hostile : non seulement il nous était étranger mais l’accueil fut loin d’être chaleureux lorsque nous commençâmes à distribuer notre tract. La libraire nous reprochant une démarche inconvenante : il aurait fallu que nous montrions d’abord patte blanche pour avoir une autorisation. Elle craignait sans doute des incidents. Ah mais ! on prétend donc faire l’éloge du football sans supposer que ce dernier puisse être une cible politique ? Autrement dit : en croyant qu’on peut échapper à la critique ad hominem ?

Les craintes de la libraire peuvent toutefois se comprendre : des abrutis venimeux prétendant lutter contre des pré-jugés (et autres privilèges) ont déjà détruit la possibilité d’un débat dans un local libertaire de Marseille. C’était il y a plus d’une année. La destruction n’était pas seulement symbolique. Ce n’était pas une intervention : aucun effet analytique n’était recherché. C’était le ressentiment qui s’exprimait.

De notre côté, il s’agissait de porter la contradiction, notamment à l’aide d’un tract (voir ci-dessous). C’est ce que nous avons d’ailleurs dit à l’auteur lui-même en allant à sa rencontre avant même le début de sa prise de parole. Nous avons joué franc-jeu. Ce serait quand même un comble pour cette librairie d’interdire la possibilité d’une contradiction en acte alors même que le supporter (qui a écrit un livre) en appelle au plaisir du jeu, à l’éthique de la confrontation et de la rivalité. Nous voulions qu’ Homo ludens ait voix au chapitre tout de même. Sauf que, de notre point de vue le football n’est pas un jeu. Certes, dans le football comme dans le travail, il peut y avoir du plaisir mais cela ne suffit pas pour en faire un « creuset d’émancipation ».

La présentation du bouquin du supporter fasciné par la « culture » ultra fut interminable. Elle fut précédée d’un film sur des supporters italiens, sensé nous montrer cette culture, sa richesse et sa portée. En fait, des clichés sur le moment foot de la vie de ces gens quand les croyances dans le Parti (le syndicat) et l’Église ont désormais disparu et que le chômage altère la vie sociale. On se tient chaud entre gens de peu à travers une croyance de substitution. Pourquoi en faire tout un plat ?

Non mais parce que le plat se doit d’être révolutionnaire. On écrit un livre à la découverte tout de même. Et allons-y ! Ce moment foot ? On y voit de la résistance propre à une soit disant sub-culture. Histoire de singer les sociologues tendance cultural studies (from Great Britain and United-States of America) qui eux savaient révéler des contradictions sociales qui appelaient leur dépassement dans le cadre de leur société. Aucun « dépassement du football » n’est possible à partir du football lui-même. On s’mouche pas avec le coude chez les aficionados classe-moyenne du football. Et vas-y que j’te ! même l’autonomie, l’autogestion y passent... L’idéologie de la baston est portée au pinacle avec la mise en scène (dans le film et à l’oral) de l’obstacle que constitue l’appareil répressif de l’État pour le développement de cette belle culture.

Tout le raisonnement (faux) de ce genre de prose éditée [2], semble promis à un bel avenir. Il s’agit seulement, de toute façon, de donner une autre image des supporters les plus révoltés que celle qu’en donne les médias. Et là aussi, sans bien digérer l’approche cultural studies, de raisonner en appliquant abstraitement des catégories identitaires et victimaires à une pratique sociale où l’on pense trouver une originalité subversive. Par conséquent, notre intervention a consisté à rappeler que le football est sans doute une pratique mais une pratique qui s’inscrit avant tout dans le cadre de la domination propre à cette société. Une pratique qui est déterminée institutionnellement. Pourquoi en Inde, par exemple, l’adhésion populaire se fait massivement sur le cricket plutôt que sur le football ?

L’adhésion (l’engouement) étant prise comme critère de vérité par notre supporter, nous avons interrogé ironiquement le choix fait de présenter le football plutôt que le Mac-do (ou le loto, par exemple), puisque dans ce cas aussi, le peuple aime et se passionne. Dans le but de faire connaître une histoire populaire du Mac-Do (une histoire par en bas, bien loin des images d’Épinal sur l’obésité ou le capitalisme), on mettrait ainsi en parallèle de manière bricolée, l’histoire sociale de l’Italie avec l’implantation, le développement et l’usage populaire de ce lieu ainsi que les moments de résistance (occupations), pendant qu’on y est.

De même — connerie de plus — il y a des supportrices désormais et oui ! elles prennent leur part dans le hooliganisme et cela rompt avec les normes de genre instituées. Un camarade que nous ne connaissions pas, interrompt pour dire : « et lorsque les femmes se sont mises à fumer : cela les a libérées, sans doute ? ». Interroger le choix de ce supporter-scribe (et de la librairie !) et dénoncer la fascination pour un foot complètement faussé, voilà l’opération que nous avons tentée.

La condescendance et le mépris de classe ne viennent pas de la critique de la massification produite par le football mais plutôt dans ces propos qui assignent la frange la plus rebelle du peuple à de vulgaires hooligans ; mais plutôt en inversant l’ordre de la domination sociale et politique où l’on fait de la « culture ultra » une manifestation du prolétariat. Falsification !

Enfin, nous tenons à décerner une mention spéciale au cris du cœur de l’auteur qu’on a bien aimé : mais pourquoi donc rejeter cette force que représente les supporters les plus violents alors qu’on pourrait faire une belle convergence des luttes avec eux ? Tout ce qui vient du peuple (et pas des zélites) est bien et beau, tout ce qui n’en vient pas est à rejeter : belle petite logique anti-dialectique. Dans le football qui témoigne de ce monde à l’envers, le beau n’est qu’un moment du laid.

Et hop ! Tout ça à la poubelle !

[1]↑ A la librairie « Michèle Firk », Mickaël Correia — qui se dit journaliste « indépendant » — présentait son Une Histoire populaire du football. Autant ce type d’histoire a tout son intérêt chez quelqu’un comme Howard Zinn pour dissoudre les représentations sociales officielles sur les États-Unis, autant ici le régime critique du propos est totalement absent.

[2]↑ Un avatar de Correia s’est dernièrement manifesté à travers un livre : Ultras, les autres protagonistes du football. Les zultras sont au contraires les mêmes protagonistes passionnés que le patron d’une PME abonné aux matches de son équipe fétiche ou qu’un dirigeant, haut placé dans l’organigramme de l’organisation-football : ce sont tous des sectateurs du football. Tous sont sous l’emprise d’une passion sans raison.

https://www.grouchos.org/180601siffl31.html


publié le 18 juillet 2018