« Indigènes de la République » : une marche de la « dignité » anti-communiste

Nous voici donc quelques jours après la « marche de la dignité », ayant eu lieu ce samedi. Elle a frappé les esprits de par sa teneur. Car, en fait de dignité, il s’agissait d’une opération de récupération de l’anniversaire des émeutes d’il y a dix ans, dans une logique très particulière.

La question se pose très simplement. En tant que communistes, nous sommes du côté dans la tradition ouvrière depuis la fin du XIXe siècle. Nous considérons d’ailleurs qu’il faut plus se tourner vers la social-démocratie allemande et autrichienne que du côté français pour apprendre réellement quelque chose. Jean Jaurès a été une catastrophe, et si Karl Kautsky a mal tourné, au moins a-t-il donné Lénine.

A l’inverse, forcément, si on rejette cette tradition, il ne reste que le post-modernisme. Le trotskysme, par définition anti-communistes, a quasi entièrement basculé là-dedans, notamment par l’intermédiaire du Parti des Indigènes de la République.

Nous dénoncions ces derniers il y a de nombreuses années déjà, dès 2007. Rien de plus logique à cela, c’est à ce moment là qu’il fallait le faire, pour disposer d’une matrice idéologique et culturelle cohérente, réellement progressiste. Réagir en 2015 c’est s’éveiller trop tard. C’est pour cela que l’anarchisme subit une crise terrible dans ses rangs largements contaminés par le post-modernisme.

Car le Parti des Indigènes de la République n’aurait pas pu rassembler environ 10 000 personnes à Paris samedi dernier s’il n’y avait pas le soutien historique de toute une partie du trotskysme, notamment de la CNT et du NPA.

Derrière, le NPA tente de maquiller que cette opération a en fait été lancée par le Parti des Indigènes de la République pour fêter ses dix ans d’existence. Le compte-rendu de la manifestation par le NPA tourne les choses de manière « populaire » :

  • « Un franc succès pour les organisateurs, qui sont d’abord des organisatrices : l’appel à cette marche avait été lancé par le collectif MAFED, réunissant des personnalités et des militantes d’organisations antiracistes, de l’immigration et des quartiers populaires, avec Angela Davis comme figure de proue d’un large collectif de soutien (…).
    • Derrière le carré de tête du MAFED, dynamique et combatif, se sont retrouvés Urgence Notre Police Assassine, le Parti des Indigènes de la République, le Front Uni de l’Immigration et des Quartiers Populaires, la Brigade Anti-Négrophobie, la Voix des Rroms, des collectifs contre les contrôles au faciès et les crimes policiers, des groupes féministes antiracistes, antifascistes, des sans-papiers et des Chibanis en lutte, des manifestant.e.s parfois venus des quatre coins de France.

- Soit les diverses composantes d’un mouvement antiraciste en plein renouvellement, les cadres antiracistes les plus anciens n’étant jamais parvenus à favoriser l’auto-organisation indépendante des opprimé.e.s, dans les décennies qui ont suivi l’occasion gâchée de la grande Marche pour l’Égalité de 1983. »
- (Marche de la dignité et contre le racisme : un succès qui en appelle d’autres !)

La manifestation, officiellement, a été organisée par le collectif Marche des Femmes pour la Dignité (MAFED). C’est en fait un masque frontiste pour une initiative qui fut celle des courants pro-féodaux, dans le plus pur style d’intervention du Qatar. Il s’agit ici de l’élaboration d’un vecteur idéologique, avec une fonction politique, comme appendice. Il y a le Paris Saint-Germain, et il y a le Parti des Indigènes de la République. Ce sont des moyens de pression, des outils.

On a donc évidemment Tariq Ramadan qui a soutenu la manifestation, où on a pu voir régulièrement des gens portant le symbole des Frères Musulmans, la « Rabaa » (qui signifie quatre ou quatrième en arabe). C’est une logique implacable ; c’est la constitution d’un vecteur musulman - anti-impérialiste, totalement sous le contrôle du Qatar dans son style Al-Jazeera, du nom de son média se prétendant contestataire et moderne.

On ne sera pas étonné de retrouver, dans cette optique, le rappeur Médine – dénoncé à juste titre récemment par les camarades de Belgique – qui avait fourni son camion pour le concert de fin de manifestation, avec notamment Médine donc, mais aussi les rappeurs Kery James, Disiz et Tunisiano.

C’est également sur le site du Parti des Indigènes de la République qu’on peut lire le compte-rendu de la manifestation fait par le collectif Marche des Femmes pour la Dignité (MAFED), qui explique justement dans l’idéologie ethno-différentialiste / pro-féodale propre au Parti des Indigènes de la République :

- « Le projet ne se voulait ni symbolique ni moral, il se voulait politique et radical.

- En cela, la Marche de la Dignité constitue un événement inédit, historique. Elle réalise en quelque sorte une « déclaration d’indépendance » : les luttes de l’immigration et des quartiers populaires en ont fini avec la mise sous tutelle et n’attendront plus de montrer patte blanche pour converger, lutter, et vaincre.

- Et, eu égard égard aux critiques et attaques diffamatoires visant les organisatrices depuis quelques jours, il semblerait le message ait été parfaitement reçu…et compris. Autant dire que cette Marche de la Dignité n’a pas fini de faire parler d’elle. »

Cette ligne de « l’autonomie » n’a rien à voir avec l’autonomie prolétarienne face aux institutions ; elle est une autonomie « raciale ». On a ici une idéologie national-révolutionnaire, soutenu logiquement par l’État du Qatar dans sa diffusion de sa version de l’Islam (celle des Frères musulmans) afin de construire une bourgeoisie bureaucratique à son service.

Houria Bouteldja, dirigeante historique du Parti des Indigènes de la République, a tenu également à la fin un discours qu’on ne peut pas définir autrement que comme national-révolutionnaire :

- « Je tenais à saluer quatre grandes dames qui ont apporté leur soutien à cette marche : Angela Davis, l’afro-américaine, Aminata Traoré, la malienne, Leila Shahid, la Palestinienne et Jamila Bouhired, l’Algérienne. Cette symbolique est juste incroyable !

- Aujourd’hui est une journée historique à plus d’un titre :

- 1/ Nous avons été honorées par la présence et le soutien de nos anciens, tous ces militants anti-esclavagistes, anti-colonialistes et anti-racistes qui ont souvent lutté au péril de leur vie pour notre libération. Je ne peux pas tous les citer mais il faut saluer Aimé Césaire, Frantz Fanon, Abdelkader, Solitude, Leila Khaled et j’en passe…

- 2/ Par le contenu politique de la Marche qui vise le racisme structurel et en particulier les violences policières.

- 3/ Elle a été conçue, pensée, pilotée par des femmes subissant le racisme. Des femmes battantes, des femmes déterminées qui affirment leur solidarité avec leurs communautés opprimées.

- 4/ Par le caractère autonome de la Marche :

  • – Autonomie par rapport au champ politique blanc en général et par rapport à la gauche en particulier (à laquelle les post-colonisés sont réputés affiliés « naturellement »).
  • – Autonomie qui s’exprime à travers les mots d’ordre qui mettent au centre les priorités de l’immigration et des quartiers et non plus seulement les priorités des prolétaires et classes moyennes blanches portées par la gauche.

- 5/ Par la présence de la majorité des organisations à la gauche du PS. Tout en préservant le contrôle politique de cette marche nous avons reçu le soutien de presque toutes les forces politiques dites « progressistes ». Surtout cela exprime un potentiel incroyable qu’il faut savoir apprécier. Ce front précaire, ponctuel mais prometteur a le potentiel de nuire durablement au PS (et à l’alternance PS/droite) alors que l’horizon politique est bouché, que l’impérialisme poursuit ses ravages en Afrique et dans le monde arabe, à l’heure du sacrifice cynique de la Grèce par l’Europe des marchés et d’une crise structurelle qui annonce la tiers-mondisation de l’Europe.

    • A ce stade, j’aimerais pourtant évoquer certains grands absents :

- 1/ Aucune association féministe d’envergure n’a soutenu cette marche pourtant dirigée par des femmes ce qui aurait dû susciter la fierté du mouvement féministe. On se souvient tous du soutien dont a bénéficié Ni putes Ni Soumises par une grande partie de ce même mouvement féministe alors qu’elles n’étaient qu’un produit du pouvoir. Cette absence est lourde de sens et sûrement de conséquences.

- 2/ Je ne vais pas déplorer ici l’absence de SOS Racisme et de la Licra, vous vous en doutez. En revanche, je note l’absence de la LDH nationale et du Mrap national ce qui est pour le coup significatif. Les deux associations ont en effet déclaré qu’elles refusaient « la racialisation des luttes ». Ce à quoi nous répondons : « ça tombe bien, nous aussi ». Ce à quoi répond, d’outre-tombe, Malcolm X qui a dit, il y a plus de 50 ans : « J’aime tous ceux qui m’aiment et je n’aime pas tous ceux qui ne m’aiment pas ». Dans la bouche de n’importe lequel d’entre nous, cette phrase serait niaise ou ridicule. Dans la bouche de Malcolm X, elle est sublime. Traduit dans un vocabulaire politique, elle dit : j’aime ceux qui comprennent la lutte des Noirs pour leur libération, j’aime ceux qui refusent de perpétuer le système raciste. J’aime nos alliés. En soi, cela exprime un dépassement de la race (le contraire de la « racialisation ») puisque le « Stratège de la dignité noire » aime ses alliés non pas pour ce qu’ils sont mais pour leur engagement politique, ce qui pulvérise les « inquiétudes » du Mrap et de la LDH. Merci Malcolm X.

  • Mais nous ne sommes pas naïfs. Nous savons que des allié-e-s, ça se gagne par la lutte et par les rapports de force que nous, habitant-e-s des quartiers, Noirs, Arabes, Musulmans, Rroms seront en capacité de construire dans l’avenir. Je terminerai donc par la parole de ces hommes et de ces femmes d’églises noirs, partisans du « Black Power » qui ont déclaré un jour : « Nous serons des mendiants tant que nous ne penserons pas la question du pouvoir ». »

Il faut souligner ici le rôle des anti-communistes.

A soutenu l’appel l’éditeur Eric Hazan, qui a publié L’insurrection qui vient, et dont la maison d’éditions La Fabrique est totalement post-moderne, mais surtout Saïd Bouamama.

Cet intellectuel lié à la Coordination Communiste présente dans le Nord de la France et diffusant en réalité un marxisme révisé au plus haut point, jusqu’à le dénaturer en « anti-impérialisme » au service de fractions petites-bourgeoises d’origine immigrée.

On ne sera donc pas étonné de voir que dans l’appel initial à la manifestation de samedi, on retrouve une référence à Aimé Césaire, qui a trahi le communisme pour tenir déjà un discours « indigéniste », c’est-à-dire racialiste à l’intérieur du capitalisme lui-même.

Voici l’appel initial dans son intégralité, par ailleurs relayé alors par Libération.

Plus de trente ans après la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 et dix ans après les révoltes des quartiers populaires, une manifestation initiée par des femmes a lieu samedi 31 octobre. Elle est soutenue par diverses associations et organismes.

- Marche de la dignité : « L’heure de nous-mêmes a sonné »

Au départ, il y a le 8 mai 2015, au nom des nombreuses familles qui ont perdu aux mains de la police française un frère, un père, un mari, un compagnon, un fils, l’appel lancé par Amal Bentounsi à une Marche de la dignité et contre le racisme. Au départ, il y a les victimes, les familles des victimes, l’impunité de la police, et les promesses trahies de sévir face au contrôle au faciès et d’accorder le droit de vote aux étrangers. Au départ, il y a le sentiment profond, que rien ne vient malheureusement contredire, que sous la Ve République toutes les vies ne se valent pas.

En réponse, il y a la Marche de la « dignité » pour affirmer la dignité inhérente à tous et le refus d’être « une chose ». Des femmes sont à l’origine de cet appel car nous connaissons les liens entre racisme et sexisme. Aucune de nous n’est dupe du rôle que l’Etat voudrait nous faire jouer en nous séparant de nos pères, frères et compagnons présentés comme violents, arriérés, sexistes. Il nous veut dociles et obéissantes, il veut faire de nous des auxiliaires de ses politiques de pacification. Mais, à la suite de nos aînées, esclaves, colonisées, migrantes, réfugiées, ouvrières, nous refusons ce marchandage. Notre émancipation ne se fera pas au prix d’une trahison.

Depuis des décennies, nous sommes témoins de politiques étatiques d’exclusion, de relégation, et de stigmatisation. Si nous ajoutons à ces chiffres les victimes tombées sous les coups des gendarmes, de la police ou de milices privées en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, ou en Kanaky, si nous ajoutons les morts dans les lagons de Mayotte et les noyés en Méditerranée, le déni d’existence des communautés romani, si nous ajoutons le taux de chômage, les chapitres oubliés de l’histoire esclavagiste et coloniale dans les programmes scolaires, les représentations paternalistes ou racistes au cinéma, à la télévision, au théâtre, nous pouvons parler d’une politique d’Etat économique, culturelle et sociale racisée qui touche en premier une majorité des jeunes dans les terres dites « d’outre-mer » comme dans les quartiers populaires de l’Hexagone.

En 1956, Aimé Césaire publiait une lettre dans laquelle il écrivait à propos du« fraternalisme » des communistes français : « Car il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès. Or, c’est très exactement ce dont nous ne voulons pas. Ce dont nous ne voulons plus, et il ajoutait ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est volonté de ne pas confondre alliance et subordination ».

Pour nous, cette critique s’applique à toute la gauche française, et elle est toujours d’actualité. C’est encore trop souvent une subordination qui nous est proposée. On nous fait miroiter un futur au prix d’un renoncement à nous-mêmes. Or, nous entendons désormais déclarer notre indépendance, et renouer avec notre histoire et nos droits pour forger notre avenir en toute souveraineté.

« L’heure de nous-mêmes a sonné », disait Aimé Césaire. Nous savons que ce sera long et difficile, mais nous marchons en conscience sinon en présence avec nos sœurs et frères étudiants d’Afrique du Sud, nos sœurs et frères expulsés et maintenus dans la rue, nos sœurs et frères migrants et réfugiés, nos sœurs et frères de Palestine, des Etats-Unis, de Grèce, d’Espagne, de tous les pays où un nouveau vent se lève.

On peut d’ailleurs noter qu’outre Libération, l’ensemble de la presse a par ailleurs couvert cette manifestation, jusqu’aux plus grands médias (Le Figaro, BFM TV, Le Monde, Le Parisien, La Croix, etc.), avec systématiquement une certaine bienveillance, la présentant comme une simple initiative anti-raciste, dans le prolongement de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 (souvent appelée « la marche des beurs »).

En réalité, c’est une OPA sur la révolte d’il y a dix ans, et le Parti des Indigènes de la République ne se prive pas d’utiliser des images « radicales » à cet effet.

Il s’agit de « racialiser », et à cet effet de nier l’universalisme et le caractère prolétarien de la cause révolutionnaire. Ce n’est pas un confusionnisme, d’ailleurs, comme l’affirment certains anarchistes qui voient bien qu’il y a un problème. C’est une expression petite-bourgeoise, qui s’allie au Qatar et à son idéologie afin de se promouvoir économiquement et socialement au sein de la société capitaliste.

Le Parti des Indigènes de la République, c’est le parti des petits commerçants d’origine immigrée qui ouvrent des kebabs et qui ont besoin d’un public captif, en utilisant la religion pour cela. Sous un aspect ils sont opprimés par la bourgeoisie, de l’autre ils n’ont qu’un rêve : devenir eux-elles-mêmes bourgeois-es.

Le style de vie et l’approche culturelle des gens défendant le Parti des Indigènes de la République n’a par ailleurs rien de progressiste. Ces gens rejettent l’héritage culturel démocratique, ils sont des adeptes forcenés de la consommation capitaliste (iphone, fast-food, etc.), ils sont contre l’ouverture d’esprit tranquille et urbain (et à ce titre ils sont farouchement opposés aux gays et lesbiennes), ils contre le métissage, ils méprisent les luttes en faveur des animaux, l’écologie est le cadet de leur souci, etc. etc.

On peut dire que les trotskystes ne valent pas mieux : c’est bien vrai. D’ailleurs, l’existence de tous ces gens, dans leur expression idéologique, ne fait que suivre parallèlement le développement de Marine Le Pen. C’est de la putréfaction pure et simple.

A cela, il faut opposer le communisme dans toute son orthodoxie, le matérialisme dialectique dans ce qu’il a de plus vivant, le PCF(mlm) défendant l’expression populaire la plus progressiste.


publié le 10 août 2018