Gideon Levy : "Israël a désormais une Loi Raciale"

"Dorénavant, par décret de la Cour de Justice, deux sortes de sang existent en Israël : Le sang juif et le sang non-juif", s’indigne le journaliste israélien dans le quotidien Haaretz.

"Même jusqu’à la fin des temps, ni Israël, ni la nation juive ne seront jamais capables de compenser la nation palestinienne pour le mal qui lui a été fait : Pas pour l’aspect matériel, intellectuel, physique ou intellectuel. Ni pour le pillage de leur terre et de leurs maisons, ni pour leur liberté et leur dignité piétinées. Pas pour les meurtres et les deuils, ni pour les blessés et les infirmes dont la vie est irrévocablement détruite. Pas pour les centaines de mille d’innocents torturés et emprisonnés, ni pour les générations privées d’une véritable possibilité de jouir d’une vie normale.

Rien d’autre que Yom Kippour ne peut exprimer cette possibilité. Évidemment, Israël n’a au grand jamais envisagé d’initier une seule compensation, une seule réparation, ni de prendre ses responsabilités. Il ne faut s’attendre à rien d’un occupant qui se considère comme une victime, ne s’en prend qu’aux autres, surtout pas à lui-même. Pourtant, ça ne suffit pas.

De temps en temps, on bat un record : L’Etat, une association ou des personnes, en Israël ou dans la société juive, intente(nt) un procès contre les Palestiniens pour des dommages causés par leurs « actes de terrorisme ». Ainsi, le Centre juridique Shurat HaDin, association qui se dit « Association juive des droits humains », remue ciel et terre en Israël et à l’étranger pour intenter des procès contre des personnes ou des associations palestiniennes, au nom de « victimes juives ».

Cet acte méprisable et indigne, par lequel la victime est le criminel, et seul le sang juif est rouge, méritant ainsi une réparation, a parfois du succès, principalement dans le domaine des relations publiques. Tandis qu’Israël évite de payer des compensations pour la destruction et les meurtres dans les territoires palestiniens depuis 1948, il y a ceux qui ont l’incroyable audace d’exiger des compensations de la part des Palestiniens. La bande de Gaza a été sans cesse horriblement détruite, mais Israël n’a pas une seule fois aidé à sa reconstruction. Depuis des années, Israël tue des dizaines de milliers de personnes, y compris d’innombrables innocents, y compris des enfants, des femmes et des personnes âgées. Cependant, on demande aux Palestiniens de verser des compensations.

Dans cette folie, les maisons que possédaient des Juifs avant 1948 sont rendues aux propriétaires d’origine par le biais du système juridique israélien : Des gens qui y demeurent depuis des dizaines d’années sont ainsi expropriés. En même temps, aucune maison palestinienne volée en 1948 n’a jamais été rendue à ses propriétaires légaux.

À Silwan et à Sheikh Jarrah, à Jérusalem Est, et dans d’autres quartiers, les drapeaux israéliens se multiplient, de pair avec les centaines de Palestiniens rendus sans-abri, après avoir été chassés - humiliés, de leur maison, sur ordre des tribunaux égalitaires et équitables de l’état d’Israël. Si on trouve dans son cœur le moyen de comprendre le degré de pourriture morale du système juridique israélien, et son éloignement des principes d’égalité et de justice, en voici la preuve.

Pourtant, tout ça ne suffit pas : Cette semaine, un nouveau record a été établi. Le juge du tribunal de première instance de Jérusalem, Moshe Drori a décidé qu’un Juif, victime d’une blessure au cours d’une attaque terroriste, a droit à une compensation supplémentaire, parce qu’il est juif, sans preuve d’atteinte, sur la base de la loi de l’état-nation, qui déclare que le gouvernement a l’intention de protéger le bien-être des Juifs.

La boucle est bouclée, terminée, perfectionnée. Il s’agit maintenant d’une véritable loi raciale, conforme à l’interprétation inévitable par la Cour, de la loi de l’état-nation. Dès à présent, on trouve deux groupes sanguins en Israël : du sang juif et du sang non-juif, c’est bien inscrit dans la loi. Le prix de ces deux groupes sanguins est également différent. Le sang juif est inestimable. Il faut donc le protéger par tous les moyens possibles. Le sang non-juif est incroyablement bon marché : on peut le faire couler comme de l’eau. À partir d’aujourd’hui, la situation qui, jusqu’à présent, n’existait que de fait, avec des normes et des punitions différentes entre les Juifs et les autres, est validée par un décret de la Cour.

Le nationalisme et le racisme à l’égard des victimes, vieux de soixante-dix ans, sont actuellement devenus loi : C’est officiel. La loi de l’état-nation, disait-on, n’était que déclarative, mais, comme l’interprète bien Drori, elle a obtenu son véritable sens : C’est la loi fondamentale qui entérine la supériorité du sang juif. Désormais, Israël possède une loi raciale."

Gideon Levy


publié le 24 septembre 2018