ROUEN – Récit à chaud d’un blocage #GiletsJaunes

Le 17 novembre est arrivé. Avec ses contradictions et ses limites. Et si on pouvait attendre, craindre ou espérer un flop, il n’a pas eu lieu. Des dizaines de milliers de personnes ont pris part à cette journée d’action sur des milliers de points de blocage. A Rouen, sur le Rond point des vaches traditionnellement bloqué à chaque mouvement social, on n’avait jamais vu autant de personnes, de mémoire de bloqueur.

La ligne de crête est fine, peut-être trop.

Comme on pouvait s’y attendre, « apolitique », « citoyen » et « peuple en colère » sont les mots qui dominent le discours des gilets jaunes. Des termes sur-employés qui recouvrent bien souvent des significations floues voir antagonistes. Il y a celui qui parle d’apolitisme pour éviter les sujets qui fâchent, et d’autres qui l’usent pour signifier leur dégoût des partis. Il y a celui qui parle de citoyen et de peuple pour faire référence au Français, le vrai, qui trime autant à cause des dirigeants que des migrants, et ceux pour qui ces termes sont encore porteurs d’un espoir de « révolte générale » qui réunirait toutes les forces combatives déçues du mouvement social. La ligne de crête est fine, peut-être trop.

Mais il s’est bien passé quelque chose. Mais quoi ? Bien malin qui saurait le dire. Un truc qui ressemblerait à un mouvement d’une forme nouvelle, sans syndicat ni parti mais surtout avec facebook et son smartphone. Aux effets bien réels, les blocages s’organisent. On sent une joie collective, celle liée au simple fait de se retrouver, de sortir du réseau social, de sentir une force à faire les choses ensemble. Nombreux sont ceux qui n’ont que faire du FN, se moquent autant de ses tentatives de récupération que de nos questions à ce propos. Nombreux sont ceux aussi qui se réjouissent de l’absence des syndicats par lesquels ils ont le sentiment d’avoir toujours été trahis, ou depuis trop longtemps. La preuve est faite : ça s’organise, et cette fois, c’est sans eux.

On retrouve des cheminots rencontrés devant Rubis. On rencontre des ouvriers CGT de Renault-Cléon qui, contre la centrale syndicale, ont appelé à rejoindre cette journée. Comment leur place pourrait-elle être ailleurs, eux qui se battent depuis toujours pour les salaires, pourquoi pas contre la vie chère ? Peut-être que ce mouvement pourrait être celui qu’ils attendaient, celui qui dépasserait les luttes sectorielles et isolées ? Peut-être que de cette revendication commune, certes insuffisante, pourrait advenir quelque chose d’ordre plus globale ? Mais la question crispante demeure : comment, dans un coktail si étrange qui va du cheminot jusqu’au boutiste au retraité proto-fasciste, ce mouvement peut-il sincèrement se projeter ensemble ?

Loin des interrogations, ça s’organise. Des piles de palettes s’accumulent pour alimenter les feux. Des toilettes ont été déposées. Certains parlent de passer la nuit sur place. Le barbecue arrive. Et ça parle de recommencer demain, et le jour d’après s’il le faut.

Le gouvernement cédera-t-il ? Et si oui cela suffira-t-il pour calmer cette colère générale ? Le mouvement parviendra-t-il à s’organiser politiquement en dépassant la dépendance à l’égard des administrateurs des pages facebook ? Autant de questions en suspens.

Beaucoup des colères exprimées sont rejoignables. D’autres teintées de lieux-communs racistes le sont beaucoup moins. Nous disions qu’il fallait y aller pour voir, voir comment les cartes en présence peuvent permettre de continuer à jouer, ou à défaut, de se coucher. Les jeux ne sont pas encore faits.

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publié le 17 novembre 2018