n’obéis jamais

L’Insurgé - 11 juin 1925

Mon enfant n’obéis jamais

Parce qu’il me semble beau, parce qu’il me réjouit l’âme de voir un être agir pour son plaisir et rien que pour son plaisir, — parce que je trouve laid, ignoblement dégoûtant, le spectacle de la servitude et de l’obéissance, je veux apprendre à mon enfant, à mon petit enfant à ne jamais obéir à personne, pas même à moi — et le laisser n’agir jamais que pour son plaisir. Si son inexpérience lui fait accomplir un acte qui peut le mettre en immédiat danger — ou s’il fait un geste laid (comme d’obéir à quelqu’un par exemple) — aussitôt ma figure peinée l’avertira — car il connaîtra bien déjà ma figure heureuse. La connaissance de mon sourire quand il agit comme il me plaît lui donnera le sens de ma douloureuse contraction quand il agira pour me déplaire.

Et surtout, si une fois il a senti en lui aussi correspondre sa douleur — il verra ma peine, comme à ma joie correspond ma peine, comme à ma joie correspond sa joie. Une harmonie se créera entre mon enfant et moi — et nous serons deux musiciens, moi un peu plus riche de sons et de combinaisons de sons — lui, beaucoup plus riche de la fraîcheur de ses sons. Et je m’enrichirai de lui comme il s’enrichira de moi — pour son plaisir, pour mon plaisir, par son plaisir, par mon plaisir — et contre nos deux douleurs dans nos deux douleurs unies, — jusqu’au jour où il sentira qu’il n’aura plus rien à gagner de ma musique et où sa musique à lui aura soif d’une autre musique.

Alors ma musique se sera assez enrichie de la sienne et il partira — et je serai heureux d’entendre au loin sa musique emplir le monde de sa maîtrise. Oh ! qu’il soit un puissant musicien !

Mon enfant joue de toutes tes cordes bien tendues ; joue toujours toi-même pour ton plaisir — ô harmonieux !

André Colomer

L’Insurgé - 11 juin 1925


publié le 16 décembre 2018