Sur les violences dans le milieu militant bruxellois

Cher-e-s militant-e-s, nous sommes des féministes enragées et il faut le dire épuisées, et encore aujourd’hui, hélas, nous nous posons toujours les mêmes questions :

Pourquoi y a-t-il encore aujourd’hui autant de sexisme, machisme, misogynie présents dans le milieu militant bruxellois (et d’ailleurs) ?
Comment est-il possible que les luttes qu’on mène, entre autres contre le patriarcat, le système d’oppression et la société capitaliste, n’empêchent pas leur reproduction dans notre milieu, d’une façon qui peut paraître différente mais qui en fait est la même ?
Comment peut-on expliquer le nombre d’agressions psychologiques, verbales, physiques et/ou sexuelles que beaucoup trop d’entre-nous ont subi pendant nos années de luttes à Bruxelles, et subissent encore ?
Pourquoi, comme ailleurs, c’est l’impunité pour les agresseurs qui est la règle, et pourquoi ces personnes peuvent-elles toujours naviguer librement dans notre milieu sans se remettre en question ? Et pourquoi cela devrait toujours être à la personne agressée de provoquer cette remise en question, sans que l’agresseur ne le fasse de lui-même ? Pourquoi la personne agressée devrait-elle se charger du poids de sortir du silence ?
Pourquoi ce silence est-il vécu comme un poids ? Pourquoi parler et dénoncer nous fait-il encore si peur ? Pourquoi nous sentons-nous coupables ?
Pourquoi sommes-nous les uniques personnes qui devons faire face aux conséquences d’une agression ou d’un viol, faire face à la pression et au jugement des autres ?
Pourquoi la parole de la personne agressée est trop souvent remise en question, et pourquoi l’agresseur est-il protégé par son entourage ? Pourquoi est-ce lui que l’on croit ?
Pourquoi, malgré nos questionnements et la mise en place de certaines solutions qui sont malheureusement fragiles, les schémas dominants se reproduisent et la violence continue ?
Pourquoi sommes-nous obligées de côtoyer nos agresseurs au quotidien : dans les assemblées, les manifs, les squats, les événements ? Pourquoi est-ce à la personne qui a subi les violences de se poser la question de sa présence par peur de rencontrer son agresseur ou son violeur ? Pourquoi est-ce à nous de nous isoler ?
Pourquoi trop souvent, les agresseurs gardent leur place d’individu charismatique et leader auprès de leur entourage dans le milieu ?
Comment expliquer qu’on ne se sente en sécurité que dans les milieux en non-mixité (merci à toutes celles qui rendent possible leur existence !) ?
Comment des personnes qui se disent alliées de la lutte féministe peuvent-elles être des ordures dans l’intimité de leurs relations ?
Pourquoi en tant que femmes* devons-nous constamment éduquer les hommes : leur expliquer, leur donner des réponses par rapport aux questions de genre et aux luttes féministes, entre autres (ce qui implique aussi les comportements du quotidien) ?
Pourquoi devons-nous encore veiller au partage de la parole dans le milieu militant pour ne pas que les hommes se l’approprie ?
Pourquoi rien ne change alors que chacun dit se remettre en question, ou encore pire, qu’ils estiment ne plus avoir à le faire (vous connaissez le mythe du mec complétement déconstruit ?) ?

Bien que ces questions soient rhétoriques et que chacune d’entre nous ait cherché à trouver une réponse, nous nous sentons une fois de plus obligées de remettre ça sur la table, parce que nous avons l’impression qu’en parler encore une fois pourra peut-être le sortir de la banalisation et de l’oubli : le poids de la lutte est double quand on est une femme* (et il l’est encore plus quand on subit d’autres oppressions). On en peut PLUS !
Rappelons encore une fois qu’être un camarade de lutte dans le féminisme ne doit pas s’arrêter à être une simple façade dans le milieu militant, mais aussi toucher à l’intime, aux relations, qui sont souvent les espaces où la personne qui subit les violences est la plus fragilisée, alors que la personne qui commet les violences est la plus couverte, et reste protégée. C’est bien de se montrer un bon militant mais c’est mieux de l’etre.
Rappelons également que même s’il y a des actions mises en place pour protéger la personne qui a subi une violence, les agresseurs ne se remettent pas en question d’eux-mêmes, et restent présents dans le milieu, parfois trop longtemps, avant de le faire (et ils ne le font pas toujours). C’est donc souvent la personne agressée qui est obligée de se mettre en retrait, qui arrête de militer, et qui s’éloigne du milieu pour ne pas côtoyer son agresseur. Ou c’est à elle de demander aux personnes qui la soutiennent de demander cette remise en question à l’agresseur.
Comme ailleurs, c’est sur cette personne que repose la responsabilité de gérer les conséquences de son agression. Chaque silence est souvent accompagné d’un gros sentiment de culpabilité, nous nous sentons responsable de ce qui nous est arrivé, de ne pas l’avoir évité, de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour que cela ne nous arrive pas. La honte, elle est aussi au rendez-vous, comment le communiquer à notre entourage, comment expliquer les faits, comment vivre avec le regard d’autrui ? Bref comment parfois on arrive à accepter l’inacceptable ? Pourquoi rentre-t-on dans le déni d’un tel acte ? Ici, on pourrait écrire des pages et des pages sur comment le système patriarcal brise notre confiance en nous et notre sentiment de légitimité.
Combien d’entre-nous ont eu l’impression d’amplifier les violences subies ? combien d’entre-nous se sont senties illégitimes de parler ? combien d’entre-nous se sont questionnées sur leur interprétation des faits lors de violences ? combien d’entre-nous ont dû faire un travail de prise de conscience très long et très douloureux avant d’appeler une agression, agression, et avant d’appeler un viol, viol ? combien d’entre-nous ont dû se persuader qu’elles n’étaient pas des menteuses face à la version de l’histoire donnée par son agresseur à son entourage ? combien d’entre-nous ont dû lutter pour faire entendre LA vérité et pas celle de l’agresseur ?

Rappelons-nous que la faute n’est jamais celle des femmes* qui ne parlent pas, qu’elles soient les personnes qui aient subi, ou qu’elles aient été témoins (il est trop facile de rejeter la faute sur une personne extérieure, surtout sur une femme* parce qu’elle est, elle aussi, exposée aux violences).

Ce texte est une invitation aux femmes* à ne plus se taire, à ne plus se sentir seules et isolées.
Libérez la parole et prenez le place qui est la votre. N’hésitez plus à dénoncer les violences subies.
Ce texte est aussi notre parole libérée face aux nombreuses violences subies dans les milieux militants de Bruxelles et d’ailleurs.
On vous embrasse toutes : Amour et Rage.

*Toutes les personnes s’identifiant comme femmes.


publié le 1er mars 2020