La force de la subjectivité : des notes en marge du Rassemblement Black Lives Matter

Nous proposons ici quelques brèves impressions à propos de la manifestation antiraciste en mémoire de George Floyd convenue dimanche 7 juin à Place Poelaerts. Nous pensons, en effet, que l’événement auquel nous avons assisté dimanche mérite bien plus que des analyses simplistes et qu’il convient de tirer parti de ses nuances. Cela dit, comme d’habitude, nos réflexions ne veulent pas avoir la présomption de proposer une analyse holistique ni d’être exhaustives face aux nombreuses complexités de la mobilisation de hier, au contraire, l’intention est de proposer un premier point de vue partiel.

L’aspect que nous voulons souligner en premier est celui de la participation, lors de ce qui a été la première véritable manifestation de masse depuis le début de la crise pandémique. Un fait qui n’est pas du tout considéré comme acquis et qui, au contraire, nous en dit long. La manifestation a eu le mérite de forcer le problème de la viabilité des rassemblements politiques dans les rues depuis la fin du déconfinement. Ceci est un problème concret, pas encore complètement résolu, cependant le contexte était propice pour que les participants se conscientisent en autonomie sur les précautions à prendre et la journée d’hier marque un précédent fondamental pour les mobilisations à venir. Cela nous apprend aussi que seulement des rapports de force favorables permettent d’imposer des avancées concrètes. Cela n’a été possible que grâce à la détermination, déclinée sous différentes formes, des subjectivités qui animaient cette manifestation. Et c’est ici qu’à notre avis, un autre fait fondamental doit être souligné : la centralité absolue et le protagonisme des subjectivités. Ces subjectivités ne sont pas représentables par les formes traditionnelles d’organisation et de mobilisation et qui, au contraire, s’autodéterminent et se représentent elles-mêmes sans déléguer leurs besoins et leurs exigences à qui que ce soit. Ils rejettent le discours politique classique et préemballé pour en tirer leurs propres conclusions, sans accepter de leçons de qui que ce soit. Ce sont ces subjectivités qui, sous différentes formes, toutes précieuses et légitimes, déclinent le sens et la force conflictuelle de la manifestation d’hier. Il est crucial d’inclure dans cette réflexion l’important segment qui a essayé d’accepter le niveau de confrontation imposé par l’appareil répressif de l’État. Parce qu’il est également nécessaire de rejeter publiquement la dichotomie imposée d’en haut entre les "bons" et les "mauvais" manifestants, surtout lorsqu’il s’agit de "respecter la mémoire de George Floyd". Les expressions conflictuelles de la subjectivité doivent toutes être considérées comme les différentes faces d’un même dé. Sans excuses, ni fétiches.

La saison de conflit qui s’est ouverte cache d’énormes possibilités de rupture et de transformation, mais seulement si l’on a la capacité et la sensibilité politique de comprendre les expressions, la force, le potentiel et l’intelligence des subalternes et respecter leur autonomie politiques. Ce sont eux le moteur de l’histoire, le sujet capable de la transformer. Ceux qui ne le comprennent pas, ceux qui n’osent pas parier sur la capacité de maturation en termes organisationnels et conflictuels des subalternes non seulement restent étrangers et distants de la classe, mais resterons également en dehors de l’histoire.


publié le 9 juin 2020