Trafic d’êtres humains et traque aux personnes migrantes

Nous avons besoin de vous pour relayer ceci. Ce n’est pas du trafic d’êtres humains dont il s’agit mais bien d’entraide entre personnes en galère.

La répression et la criminalisation des personnes migrantes s’intensifient et il est urgent de déconstruire les argumentaires fumeux largement relayés par les médias.

https://www.dhnet.be/regions/namur/des-trafiquants-d-etres-humains-profitent-d-un-centre-d-accueil-a-gembloux-603fbd3e7b50a62acfa94c01


Perquisition à l’Hôtel Flambeau ce mercredi 3 mars
Abel*, trafiquant d’êtres humains ?

Il est 7:45 quand les personnes du premier étage de l’Hôtel Flambeau sont réveillées par des uniformes bleus. Un mandat de perquisition a été délivré et c’est la chambre de Abel qui doit être fouillée. La réponse ne leur est pas donnée immédiatement, des personnes font preuve de méfiance. Toutes les chambres sont menacées d’être fouillées si la chambre de Abel n’est pas indiquée. Les forces de « l’ordre » montent alors au 4ième étage, mis à disposition pour de l’accueil de personnes transmigrantes. Des personnes sans papiers officiels pour attester de leur existence, des personnes qui espèrent trouver un endroit qu’elles pourront appeler un chez soi. Abel fait partie de ces personnes-là, des personnes qu’on héberge à ce moment-là.

Les informations qu’on nous délivre se font par bribes. Il a été arrêté près de la région d’Anvers et est accusé de trafic d’êtres humains. Comme il avait sur lui la clé de l’Hôtel, les agents ont pu rentrer facilement. Sa chambre est fouillée dans les règles alors qu’elle est si peu meublée, que ses possessions sont minimes, infimes. Une photo est montrée à un autre hébergé pour qu’il puisse l’identifier. C’est bien lui. Un dossier est constitué contre lui. Une liasse de billets est trouvée dans sa chambre. Une preuve assurément. Un trafiquant d’êtres humains, c’est assuré. Combien d’années de prison risque-t-il ? Je n’ai pas osé demander. Derrière ce noble motif, faire la traque aux trafiquants d’êtres humains, se cache une réalité bien différente, un procédé politique des plus gerbants. Criminaliser encore et toujours des personnes qui rêvent d’un ailleurs, d’un avenir meilleur. Des personnes qui s’entraident pour franchir les frontières. Derrière l’appellation sordide on imagine des victimes abusées, vendues au profit d’abuseurs pourtant, cela ne pourrait pas être plus éloigné de la réalité : il s’agit de personnes consentantes dans la misère, alternant la prise de risque et échangeant leurs services pour savoir qui restera en arrière, qui refermera les portes du camion qui mènera peut-être les autres vers l’Eldorado tant idéalisé qu’est l’Angleterre.

Getting the voice out, organisation qui soutient les personnes détenues en centre fermé, nous informe que ces dernières semaines, c’est plus d’une centaine de personnes transmigrantes qui ont été arrêtées sous ce motif-là. Des embuscades ont lieu sur les airs d’autoroutes où les personnes tentent de trouver une place pour s’évader, un aller vers un pays qui leur offrirait un peu de dignité. Et la personne qui referme la porte sur ses camarades, celle-là sera inculpée de trafic d’être humains. Même si les personnes sont consentantes. Même si elle fait partie du groupe et que le rôle qu’elle a ce jour-là c’est peut-être pour la première fois.

Derrière l’utilisation de ce terme juridique qui paraît noble, se cache encore et toujours une logique raciste, classiste, vomitive. L’Europe ne sera terre d’accueil que pour certaines personnes. Les biens et les richesses peuvent-être pillés, circulés sans connaître de frontières. Les êtres de chair et de sang n’ont pas autant de chance. Pas autant de valeur. Parce qu’ils ne sont pas blancs, assurément. C’est l’Europe raciste qui se referme, qui se replie et qui masque son abject visage derrière des mots, dont le sens premier a depuis longtemps été vidé.

Si un trafic d’être humains existe, c’est bien l’Europe qui doit se retrouver sur les bancs des accusés. Sans sa politique migratoire criminelle, sans son pillage de ressources premières et son implication dans des guerres, sans son maintien des dettes, tout ça n’arriverait pas.

Les personnes transmigrantes servent de boucs émissaires pour que ce système mortel perdure. Elles sont utilisées pour invisibiliser les responsables réels de notre désordre global. Abel fait partie de ces victimes.
D’autant plus qu’Abel fait face à cette machinerie seul, sans aucun soutien amical ou familial. On ne peut pas le contacter, c’est lui qui doit nous solliciter pour qu’on puisse avoir des informations sur son dossier. On ne fait pas partie de sa famille. Pour peu qu’il ait peur de nous déranger ou de nous impliquer là-dedans on n’aura aucune information sur son sort, sur son état, l’emplacement de son incarcération, sa probable condamnation... Toujours les mêmes absurdités qui surgissent. Quand est-ce qu’une personne qui fuit a-t-elle de la famille sur place ? Est-ce qu’on ne pourrait pas revoir la notion de famille et faire exister la famille choisie ? Est-ce qu’il osera nous demander de l’aide ? Est-ce qu’il y pensera ? Est-ce qu’il aura peur de déranger ? Qu’en plus de l’hébergement, il n’ a pas envie de nous causer plus de dérangement ? C’est la peur qui nous tiraille.

Abel n’est pas un cas isolé. Abel fait partie des personnes qu’on déshumanise, qu’on invisibilise, auxquelles on enlève toute humanité, les personnes réfugiées.
Ce matin, la déshumanité des politiques est encore rentrée chez nous. Sans frapper. On ne se laissera pas impressionner. On ne laissera pas tomber.

Nous avons besoin de vous partager ce récit. Les persécutions contre les personnes sans papiers continuent. La criminalisation, la diabolisation dont ils et elles sont victimes doit être étalée en plein jour et nommée pour ce qu’elle est : une politique raciste et meurtrière.

*Prénom modifié


publié le 4 mars 2021