Droit de Réponse de la LDH à l'article « Petite histoire de l'opportunisme politique moderne »

Nous avons pris connaissance de la communication de « Getting the Voice Out » intitulée « Petite histoire de l’opportunisme politique moderne ». Dès lors que l’intégrité de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) est sérieusement remise en cause, permettez-nous d’y apporter une réponse, de réfuter plusieurs des points qui y sont avancés et, surtout, de tenter de dépasser ce qui ressemble fort à un malentendu.

Sur la nomination d’Yvan Mayeur au prix Régine-Orfinger Karlin

S’il est compréhensible que cette nomination fasse débat (elle a fait et fait toujours débat au sein même de la LDH), la manière dont vous présentez les choses est pour le moins fallacieuse.

Tout d’abord, vous soulignez qu’Yvan Mayeur n’a fait que son travail et que, dès lors, il n’y a pas lieu de l’en féliciter. S’il est clair que le travail d’un bourgmestre implique le contrôle de la police locale, c’est la première et unique fois qu’un chef de la police a l’audace de se constituer partie civile contre des membres de son personnel pour des faits de violences policières. La première et l’unique fois. On peut sans crainte écrire que cela implique un certain courage politique.

L’installation de caméras de vidéosurveillance dans les cellules d’interrogatoire du commissariat de la rue Marché au Charbon, l’un des très problématiques commissariat du territoire belge, a eu pour conséquence une baisse non négligeable du nombre de plaintes pour violences policières. Cela aussi a motivé notre choix.

Les forces de police ne s’y sont d’ailleurs pas trompées : elles font chèrement payer à Yvan Mayeur ces décisions. Plutôt que de snober ce genre d’engagement, il convient, selon nous, de le soutenir.

Du reste, la LDH est au premier plan dans la lutte contre les violences policières et pas seulement au niveau juridique : elle est également présente sur le terrain et plusieurs de ses membres ont déjà été victimes de ce type de violences.

Ensuite, l’affirmation selon laquelle la LDH ferait ainsi « copain-copain avec les politiques » dans l’objectif de ne pas se faire couper des subsides démontre, sinon de la malveillance, au minimum une grande méconnaissance du mode de financement et de fonctionnement de notre organisation. En plus d’être strictement fausse, elle ressemble à s’y méprendre au type de discours aussi gratuit que prévisible qui fleurissent sur les forums des journaux chaque fois que la LDH prend une position qui met en cause une politique, qu’elle soit « de gauche » ou « de droite ». D’où notre étonnement à retrouver ces clichés dans votre texte.

Concernant donc cette prétendue collusion « entre copains » :
1. Vous admettrez que déposer une plainte au pénal contre une personne avec qui l’on souhaite faire « copain-copain » est plutôt un mauvais coup pour jouer la carte de l’« opportunisme ». C’est pourtant ce que nous avons fait contre Yvan Mayeur, en 2011, concernant son refus d’acter les demandes des personnes qui souhaitaient bénéficier d’un refuge lors de la crise de l’accueil. En outre, la LDH a largement dénoncé la pratique du CPAS de Bruxelles, qu’il présidait à l’époque, consistant à refuser l’aide médicale urgente aux sans-papiers. Cela constituait, aux yeux de la LDH, une violation de leurs droits fondamentaux. La LDH a agi à cette occasion comme elle estimait devoir le faire. Il en va de même, cette fois, lorsque nous le nominons. Nous avons condamné radicalement ces actes passés d’Yvan Mayeur, comme nous louons ses initiatives à l’égard de la police. Nous jugeons définitivement des actes, pas des personnes. En toute indépendance.

2. La LDH ne reçoit aucun subside de la ville de Bruxelles.

3. La LDH n’a pas pour habitude de se laisser impressionner par les pouvoirs publics ni par le risque de subir des rétorsions dans l’octroi de subsides. Elle en a déjà payé le prix. Elle a attaqué et continue d’attaquer de nombreux textes, d’où qu’ils viennent, quel qu’en soit le parti politique ou le représentant politique originaire. Les exemples ne manquent pas, rien que pour l’année 2013 : décret de la Région wallonne relatif à l’exportation d’armes (gouvernement wallon PS-CDH-Ecolo) ; arrêté royal établissant la liste des pays d’origine sûrs (gouvernement Di Rupo) ; loi du 24 juin 2013 relative aux sanctions administratives communales (gouvernement Di Rupo) ; plainte pénale pour les victimes du Boat Left to die ; plainte pénale dans l’affaire PRISM ; plainte au Comité P pour violences policières lors d’une manifestation de ressortissants afghans ; etc.

La LDH a pris position et travaille au quotidien pour soutenir les sans-papiers, les détenus, les sans-abris, les chômeurs, les personnes vivant dans la pauvreté, les étrangers, les personnes handicapées, les gens du voyage, et bien d’autres personnes qui dans notre société sont victimes de violations de leurs droits fondamentaux. Dire que la LDH va dans le sens du vent, c’est injurieux et tout simplement faux.

Sur la nomination de Getting the Voice Out
Il nous semble que la situation dans laquelle nous sommes est liée à un regrettable malentendu.

Vous avez été informés de votre nomination mais n’avez pas souhaités être lauréats, ce dont la LDH avait pris bonne note. Le fait qu’Yvan Mayeur le soit également aura certainement exacerbé votre refus jusqu’à ne plus vouloir faire, ultérieurement, partie de la liste des nominés. Dont acte. Nous retirons toute mention de votre action dans nos communications à venir concernant le Prix Régine Orfinger-Karlin. Nous rappelons si nécessaire que cette nomination était destinée à offrir plus de visibilité à votre action… que nous continuons à apprécier.

Nous espérons que cet incident sera rapidement clos et vous suggérons de nous rencontrer dans les jours à venir si vous souhaitiez prolonger le débat.

Pour la Ligue des droits de l’Homme,
Alexis Deswaef, Président


publié le 10 décembre 2014