"Un bain, un lit, un pain"

Comme certains le savent déjà,je suis à Lesbos depuis maintenant 13 jours. Pour la deuxième fois en septembre car j’y ai trouve un coin de village en bord de mer qui me repose des inquiétudes du monde et de celles qui traversent tout être sur terre.

C’est à bord d’un hôtel remarquable dont la terrasse fait face aux montagnes de Turquie et surplombe une mer, qui cet été , avec un soleil chauffe à blanc, s’étale comme un lac. Pourtant, cette fois, il déverse tous les jours, et plusieurs fois par jours, sur la plage et devant mes yeux, des zodiacs surcharges d’hommes, parfois de femmes et d’enfants, trempes, que certains bénévoles aident à accoster. Il n’y a donc plus, ni paradis, ni vacances. Sauf que ceux qui arrivent y croient. Sans doute, ont-ils raison. La plupart ont entre dix sept et 24 ans. Juste l’âge pour se faire une vie et avoir la force, l’énergie, pour ensuite parcourir à pieds les montagnes , malgré une chaleur éprouvante, jusque Mytilene.

Le bleu du ciel est d’une intensité légendaire. Il regarde sans frémir une tragédie quotidienne mais dont le désir irrépressible de vie se bat pour une issue optimiste. En bateau, je longe la côte.De Petra a Skala Skaminia, on aperçoit des milliers de gilets de sauvetage de couleur orange, abandonnés sur le sable. Aussi la carcasse défoncée et crevée de centaines de zodiacs. Ce sont des signes des naufrages ou de vies sauvées.
Depuis le bateau, le commandant me prête ses jumelles : deux zodiacs surpeuplés avancent vers le rivage. Tous ont le visage tendu.On devine combien la peur et l’espérance sont violentes. Ici, l’usage des jumelles est devenu quotidien, depuis les terrasses des restaurants et du château de Molivos. Que peut-on faire d’autre ?

Avec Marc, je débarque à Skala ( un ravissant port de pêche apprécié des touristes) : une marée de réfugiés sort du sentier qui monte de la mer. Je demande : d’où venez vous ? - D’Istanbul. Oui , mais avant ? Syrien ? Non, Afghanistan. Quelques femmes ( peu nombreuses) frappent à une porte qui s’ouvre. Elles demandent un peu de soin pour leurs enfants. Une habitante se masque le visage pour éviter toute contagion. Sinon, personne, aucune aide n’est ici mise en place. Marc entre au petit supermarché pour acheter des bouteilles d’eau qu’ il distribue. Pas de précipitation. Un calme et une étrange réserve qui tranche avec tout ce qu’on montre d’habitude dans les films ou à la télévision pour faire dramatique et spectaculaire. Rien de tout cela mais un merci poli et la route qui se continue. Marc suffoque : je n’ai jamais rien vu de pareil. Il poursuivra, de jour en jour, les distributions de bacs d’eau, à Molivos, ou sont concentres la plupart des réfugiés avant de parvenir à Mylinene ou ils pourront peut-embarquer pour Athènes. Une route épuisante mais dont les rescapés, une fois établis en Europe, garderont une mémoire ineffaçable. Je dis a Marc : il ne faut pas considérer le malheur ; ceux-ci ont échappé à la mort. Ils ont un avenir devant eux. Je pense que ses bouteilles , c’est Sysiphe, mais on peut aussi ricaner et rester à ne rien faire.

Hier , nous nous sommes rendus au port de Molivos : nous traversons des groupes encore plus impressionnants. La plupart vont passer la nuit dans le parc minuscule à côté de la station d’autobus. Des centaines d’autres sont assis sur le sol, ou couches sur le trottoir. C’est une image de guerre et d’exode. Une dispute se fait jour pour prendre un bus qui refuse quiconque veut y monter. Un couple de jeunes belges qui loge dans un hôtel voisin, nous dit que le bus local s’interdit tout transport. Cependant trois bus par jour , fourni par un organisme humanitaire fait le voyage. Sinon, aucune aide de personne, sinon de quelques volontaires, comme cette jeune fille hollandaise qui parle avec eux. Je demande à un jeune garçon : Afghan ? - Non, Syrien. Comme le couple de belges, Marc ramène des bouteilles. Ils nous disent qu’ils ont déjà acheté pour plus de cent euros d’eau en bouteille. Et d’ajouter : c’est inouï, le snack en face ne veut rien leur vendre alors que certains ont un peu d’argent.

Plus loin, au port même, un bateau conduit par la garde maritime , débarque ( un sauvetage) ,une centaine de personnes qui attendent des consignes. Un Grec d’un certain age et vigoureux s’interpose pour faire un tri. Je lui demande ce qu’il fait : -la police du sexe. Je dois séparer les sexes pour l’unique toilettes qui existe sur le port car il n’est pas question de s’y rendre dans les cafés. La petite hollandaise est la : bouteilles d’eau et vêtements secs. Des chaussures surtout, car la route est difficile. Et après ? Le vide personne. Mais que fait la croix rouge internationale demande Marc ? Je suis incapable de répondre. Le grec nous interpelle : - D’où êtes-vous ? De Belgique. - Dites leur à la Belgique qu’elle use de son pouvoir pour stopper cette guerre !

De retour à l’hôtel, je lis les journaux sur ma tablette. De la part des hommes politiques rien ne m’étonne mais il y a des limites. Francken se démène mais a une conception de caserne en alignant à l’infini des lits de camps, Rudi Demotte se démasque en estimant que Tournai accueille trop de réfugiés, des élus socialistes trouvent que les réfugiés ont l’air de promeneurs nullement épuisés, De Croo et Mayeur font de la dispute politicienne, le premier ne propose pas d’améliorer le centre Wtc mais part en guerre contre un festival style woodstock, le second fait de la démagogie anti- flics en ne faisant RIEN. Enfin, le ténor NVA invente un slogan digne des camps : un bain, un lit, un pain.

"Du pain et des roses" disaient les ouvriers du 19ème siècle . Ou et quand sommes- nous ?
Contrairement a ce qu’on a dit, ce n’est pas l L’image de l’enfant mort sur la plage qui restera mais une toute autre qui parle du futur et d’un combat. Celle, extraordinaire, des refugiés qui marchent en nombre compact sur l’autoroute reliant Budapest a l’Autriche. Des combattants tenant en première ligne, hautement levé et en tête, le drapeau étoile de l’Europe. Une marche qui ressemblait a une manifestation de lutte. Elle voulait que l’Europe tienne sa grande promesse et soit enfin la nouvelle Amérique. Comment ne pas nous décevoir, nous et eux.


publié le 16 septembre 2015