Jeune ingénieur de 35 ans, chef de file de Voluntad Popular, parti anti-chaviste très marqué à droite, inconnu du grand public jusqu’à janvier, Juan Guaidó vient de s’auto-proclamer « président par intérim » du Venezuela. Contre Nicolás Maduro, dont l’élection de mai dernier a été contestée par l’opposition. Mais aussi et surtout avec le soutien de Donald Trump. Pour les chancelleries étrangères, l’enjeu, aujourd’hui, est d’observer de quel côté va pencher l’armée.
Alors que les chavistes et l’opposition organisaient, mercredi, des rassemblements et des contre-manifestations dans tout le pays, Juan Guaidó, élu début janvier à la tête de l’Assemblée Nationale vénézuélienne, contrôlée par l’opposition, a prêté serment devant ses partisans à Caracas, la capitale. En prétendant s’appuyer sur la Constitution chaviste de 1999 selon laquelle le président du parlement peut remplacer le chef de l’exécutif si ce dernier venait à manquer à ses obligations, c’est davantage avec le soutien de Washington que celui de la « souveraineté nationale » que Guaido a prêté serment en tant que président par intérim.
« Aujourd’hui, 23 janvier 2019, en tant que président de l’Assemblée nationale et au nom des articles de la Constitution, devant Dieu tout-puissant, devant le Venezuela, je jure de prendre en charge formellement les compétences qui reviennent au pouvoir exécutif national en tant que président par intérim du Venezuela ». Le serment a été retransmis en direct par toutes les chaînes de télévision liées à l’opposition, au Venezuela et à l’étranger, et devant des dizaines de milliers de partisans. Guaidó a certes réussi à remobiliser l’opposition anti-chaviste et ses rassemblements ont été plus nourris que ceux des soutiens de Maduro, notamment dans la capitale, Caracas, à Maracaibo, la grande ville pétrolière de l’Ouest, ou encore à Barquisimeto, capitale de l’Etat de Lara, le fief de l’ancien candidat anti-chaviste aux élections de mai 2018, Henri Falcón. On est loin, néanmoins, du raz-de-marée populaire annoncé sur certaines chaines de télévision en continu en Europe ou aux Etats-Unis.
Le soutien à Guaidó, en effet, vient davantage de ses amis impérialistes et de leurs laquais. Peu de temps après la cérémonie, c’est Trump lui-même qui s’est chargé de faire savoir, par twitter, qu’il reconnaissait comme seul président du Venezuela Juan Guaidó. Un appui qui n’est pas sans rappeler le coup d’Etat anti-chaviste d’avril 2002 lorsque les Etats-Unis de George Bush avaient immédiatement reconnu Pedro Carmona, dirigeant de Fedecamaras, le Medef vénézuelien, comme seul président légitime… Cette fois-ci encore, toute la droite continentale a emboîté le pas aux Etats-Unis. Le bal des démocrates a été ouvert par Mario Abdo, le président paraguayen, fils du secrétaire personnel de l’ancien dictateur Alfredo Stroessner, au pouvoir entre 1954 et 1989. Lui ont succédé le président colombien, Mauricio Macri, pour l’Argentine et, bien entendu, Jair Bolsonaro, le nouveau président brésilien d’extrême droite.
Côté européen, Emmanuel Macron a cru bon de jouer les soutiens à Trump, alors que Berlin, Madrid et Rome, trois acteurs importants pour la crise vénézuélienne, ont adopté une position beaucoup plus prudente. Macron a ainsi twitté, jeudi dans la matinée, que « depuis l’élection illégitime de Nicolas Maduro en mai 2018, l’Europe soutient la restauration de la démocratique ». Puis, se trompant d’un zéro, il a poursuivi en disant son admiration pour le « le courage des centaines de milliers de vénézuéliens qui marchent pour leur liberté ».
Maduro, qui n’a reçu le soutien, jusqu’à présent, que de rares pays, dont la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan et la Bolivie de Morales, a annoncé son intention de rompre les relations diplomatiques avec Washington et a donné 72 heures aux diplomates étatsuniens pour quitter le territoire national. Les hommes fidèles à Maduro, qui contrôlent encore le Tribunal Suprême de Justice, ont demandé au ministère public de prendre des « mesures immédiates » pour mettre un terme à la « conduite délictueuse » de Guaidó, sans jamais, néanmoins, avancer la moindre auto-critique quant à la situation générale du pays, absolument désastreuse, qui a conduit à la situation actuelle. Et quand bien même Guaidó finirait en prison ou contraint à un exil doré aux Etats-Unis, à l’instar des figures de proue de l’opposition de droite ces dernières années comme Leopoldo López, Henrique Capriles ou Freddy Guevara, la conjoncture au Venezuela, qui fait le lit de l’opposition néolibérale et pro-impérialiste, resterait inchangée.
Ce qui pourrait, aujourd’hui, faire basculer la situation en faveur de l’opposition, ce serait un changement dans le positionnement de l’armée, l’un des derniers secteurs clef qui soutient Maduro dans un pays dévasté par une crise économique et humanitaire sans précédent alors que le pouvoir chaviste ne cesse d’approfondir son virage autoritaire. C’est en ce sens que Guaidó a réitéré, dans son discours « de prise de fonction », les promesses d’amnistie faites aux militaires qui se seraient rendus coupables de crimes dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre contre l’opposition, ces dernières années. Tant qu’ils passeraient avec armes et bagages dans le camp du nouveau « président », bien entendu. Jusqu’à présent, mis à part quelques actes isolés de mutineries dans certaines garnisons, le gros des troupes et, surtout, le commandement de la Force Armée Nationale Bolivarienne du Venezuela restent fidèles à Maduro et la FANB n’a pas été fissurée.
Depuis Caracas, où la situation est extrêmement tendue et mouvante au fil des heures, Milton D’León, membre de la direction de la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme du Venezuela, souligne pour sa part « qu’en tant que LTS, bien entendu que nous nous opposons à ce soi-disant président Guaidó. Mais nous disons également très clairement que ce qui a fait le lit de la croisade actuelle que mène la droite, c’est l’échec et la banqueroute du chavisme qui nous a menés à la situation économique catastrophique que nous connaissons, avec un taux d’inflation de près de 2 millions % en 2018 et entre 2 et 4 millions de vénézuéliens qui ont quitté le pays au cours des deux dernières années. Un chavisme qui a renforcé ses traits bonapartistes, autoritaires et répressifs. Le pire, sans doute, est que ce régime a fini par traîner dans la boue des idées et des mots d’ordre comme "révolution", "socialisme", et même celui de "nationalisation". C’est donc bien l’échec, sur toute la ligne, du chavisme, qui a ouvert a voie à la droite vénézuélienne, soutenue par tous les réactionnaires du continent et, bien entendu, par l’impérialisme étatsunien qui ne cache plus ses intentions putschistes. Tous souhaitent qu’une fois de plus, dans l’histoire du pays, les militaires interviennent pour "restaurer l’ordre". C’est donc pour cela que sans appuyer aucunement Maduro nous appelons le monde du travail et les classes populaires à résister, avec leurs propres méthodes et sur leurs propres mots d’ordre, sociaux mais également démocratiques, à s’opposer à l’offensive réactionnaire en cours ».