Enfin, l’État belge s’est décidé à aller de l’avant avec le projet de construire la plus grande prison de son histoire près de Bruxelles. Après deux années de silence autour de ce projet, véritable cerise sur le gâteau dans ce pays où les mesures antiterroristes, le renforcement du contrôle, la chasse aux migrants et aux indésirables poussent vers le totalitarisme démocratique, l’État revient donc à la charge. Deux années de silence aussi pour faire oublier la lutte qui s’était opposée à cette construction, une lutte qui, en prônant l’action directe et l’auto-organisation, a su saper la fabrication d’un consensus populaire autour de ce projet. Au cours de plusieurs années, des dizaines, voir des centaines d’initiatives d’agitation et d’attaques directes contre les responsables de ce projet et son monde, ont eu lieu. Écartant toute cohabitation et composition avec le citoyennisme, le zadisme, le politicardisme, cette lutte, impulsée par des anarchistes, a – au moins – montrée la possibilité d’une lutte spécifique sans compromis, anti-politique et proposant et poussant vers l’action insurrectionnelle. Il y aura sans doute d’autres occasions pour revenir plus amplement sur cette lutte et ce qu’elle pourrait encore apporter aujourd’hui aux débats.
Pitoyablement échoué pendant des années, tenu fermement à l’écart de l’agitation dans les quartiers bruxelloises et de la lutte à perspective insurrectionnelle contre la maxi-prison, le « zadisme à la bruxelloise » avec ses amis politiciens, magistrats, gauchistes et balances, revient aujourd’hui également à la charge. On a pu lire l’appel à un « festival anti-carcérale » début novembre, près du terrain où a commencé la construction de la maxi-prison. Y étaient invités des notables du gauchisme belge, et surtout toujours les mêmes qui avaient été durement critiqués il y a quelques années lors de la lutte contre la maxi-prison (entre petits politiciens d’un « comité de quartier », spécialistes du monde carcéral, avocats...)... Mais le tout, tradition zadiste oblige, nous est offert maintenant avec un semblant de radicalité bon marché (par exemple, en offrant « un bisou » aux « copains et copines actuellement poursuivi.e.s par la justice alors qu’il.elles défendent la liberté » faisant référence au procès contre des anarchistes en Belgique, ayant menée des luttes, disons-le pudiquement, bien bien différemment que le pot-pourri zadistique). Le festival a permis de comprendre que le projet de la maxi-prison est « Inutile : il faut le rappeler car la prison n’est pas et n’a jamais été une solution » ou encore qu’il est « imposé : car ce projet ne brille pas par la transparence sur son montage administratif et financier ». Profonde !
Et c’était encore sans compter... l’intervention des lapins ! Dans la foulée de ce festival, des gens déguisés en lapins sont allés dans la Régie des Bâtiments pour y répandre... des feuilles d’arbre. Une action pour dénoncer « l’absence totale de débat politique et l’expression de nombreuses oppositions venant des citoyen·nes, associations en lien avec le milieu carcéral, ancien·nes détenu·es, criminologues, magistrat·es et avocat·es, riverain·es, naturalistes, économistes... » ou encore « La destruction de la source et la friche du Keelbeek, dernier poumon vert du nord de Bruxelles, ne va clairement pas dans le sens de la lutte nécessaire contre le réchauffement climatique alarmant et les atteintes humaines à la biodiversité. De plus, il est reconnu qu’augmenter la capacité carcérale et enfermer un grand nombre de personnes dans une structure pénitentiaire (1190 places prévues) n’aide à diminuer ni la criminalité ni la récidive. » Rien de moins. Bêtises ? Récupérateurs ? Fossoyeurs ? Peut-être. Mais le refrain que le heureux peuple zadiste, les lapins de Haren, le comité de quartier pas encore las de son léchage de cul auprès des institutions et des journalistes, et, qui sait, peut-être aussi quelques activistes libertaires ou radicaux, récitent aujourd’hui lors de ce festival à Bruxelles, c’est le même que dans tant de coins : tous ensemble, tous ensemble, hey hey hey. Et bonsoir à l’éthique plutôt que la stratégie, à l’action directe plutôt que la conflictualité alternée, à des perspectives de bouleversement du monde plutôt que la composition avec celui-ci.
Nous ne mangerons pas de ce pain-là, quitte à décevoir une fois de plus (espérons définitivement) tous les stratèges opportunistes.
Il y a quelques années, un dossier sur la lutte contre la maxi-prison était paru en différentes langues. Dans l’introduction à De l’air ! Autour de la lutte contre la construction d’une maxi-prison à Bruxelles, on pouvait lire ces mots qui pourraient, encore aujourd’hui, inspirer et encourager celles et ceux qui comptent encore se battre contre cette monstruosité :
« Une lutte contre la répression de l’Etat, mais en même temps contre une conception de la vie même et de l’espace urbain qui devrait la contenir. Mis en rang sous les yeux des caméras, l’un dans les rayons d’une prison, l’autre dans les ailes d’un supermarché, les citoyens détenus et « libres » partagent des jours et des nuits qui ne sont pas tellement dissemblables : surveillés dans leurs pas, contrôlés dans leurs mouvements, fichés dans leurs relations, catalogués dans leurs demandes, exploités au travail, aliénés de leurs désirs, anesthésiés par la télévision.
Une lutte contre un objectif facile à identifier par toutes les « classes dangereuses », encore bien présentes dans les quartiers de la capitale belge, mais potentiellement reconnaissable par (presque) tout le monde. Parce qu’avec la croissance des mesures sécuritaires et le durcissement législatif, la possibilité de finir derrière les murs de cette prison risque de connaître bien peu d’exceptions. Et plus une menace est indiscriminée, plus l’intérêt à sa neutralisation peut se généraliser.
Une lutte qui tente de réunir la clarté de paroles exprimées de différentes manières avec la multiplicité de faits diurnes et nocturnes, individuels ou collectifs. Une richesse qui ne connaît pas de propriétaires, à laquelle on peut contribuer et dans laquelle on peut librement puiser. Sans serments de fidélité, sans tissus de parti. Parce que le but, c’est de diffuser une méthode qui est en même temps une perspective, et non pas d’exaucer une revendication humanitariste. Une méthode insurrectionnelle, basée sur l’action directe et l’auto-organisation, tendant vers la diffusion des hostilités contre les responsables et contre les rouages de ce projet répressif, cherchant à créer les conditions pour sa destruction.
Une lutte lancée par des individus qui ne cachent pas leur propre hostilité permanente contre toute forme de pouvoir, mais qui est aussi reprise par d’autres. Si force est de constater comment l’horizon institutionnel est en train de coloniser l’entière imagination humaine, cette lutte s’obstine pourtant à aller à la recherche de possibles complices, mais sans aller mendier de consensus chez personne. Car il ne faut jamais confondre le crime qui s’appelle la liberté avec l’affaire qui s’appelle la politique. Le premier a besoin de têtes brûlées que l’on ne trouve qu’en bas. Le deuxième a besoin de bons tuteurs qui ne se trouvent qu’en haut. Et cette réflexion est peut-être la meilleure suggestion que cette lutte en cours est en train de nous donner. »
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