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L’acharnement médiatique contre Tariq Ramadan

posté le 23/10/18 Mots-clés  répression / contrôle social  antifa 

L’affaire du théologien suisse affole les médias et la toile - Pour cause, une question demeure au vu du traitement médiatique et judiciaire du dossier - Est-ce le musulman ou le citoyen que l’on juge ? Décryptage ...

Les affaires de harcèlements et d’agressions sexuelles ont largement occupé l’espace médiatique de la rentrée 2017. Et ce pour une raison simple, les personnes mises en cause sont des personnalités publiques reconnues ou de haut rang. Si les journalistes ne sont pas avares de détails et de commentaires sur les affaires, il faut néanmoins admettre que le traitement médiatique varie selon la personnalité mise en cause. La présomption d’innocence n’a pas le même effet lorsque l’on parle d’un ministre encore membre du gouvernement - et qui a toute la confiance du premier ministre - ou d’un universitaire réduit au titre de prédicateur sulfureux. L’affaire Ramadan révèle la schizophrénie médiatique qui tantôt rappelle le droit et le statut du présumé innocent tantôt n’hésite pas à organiser le lynchage à travers des débats à charge ou la présomption d’innocence est sacrifiée sur l’autel des convictions personnelles et de la rancoeur.

Est-ce le musulman ou le citoyen que l’on juge ?

“Qu’est ce que prévoit vos textes sacrés sur celui qui viol ?” C’est dans ces termes que Jean Pierre El Kabbach interpelle Amar Lasfar (président des musulmans de France) lors d’un entretien télévisé au plus haut de l’affaire Ramadan. Comment comprendre la question ? Faudrait-il juger l’intéressé selon d’autres lois ? La question de M. El Kabbach met en évidence la confusion qui règne dans l’esprit des journalistes. Qui peut imaginer qu’une telle question ait été posée à Dominique Strauss-Khan lors de l’affaire du Sofitel “Qu’est-ce que prévoit le Talmude sur celui qui viol ?” Question impensable, car DSK est jugé en tant que citoyen, Tariq Ramadan en tant que musulman-citoyen. L’amalgame entre l’individu c’est-à-dire le citoyen et son statut, en l’occurrence “un prédicateur musulman” pour la presse occidentale, est rapide et efficace puisque l’interviewé répond tout naturellement à la question sans s’en offusquer : “Aujourd’hui, on ne se réfère pas aux textes sacrés en matière de législation, nous avons une loi française.” Est-ce le musulman ou le citoyen qui est jugé ? À en croire le traitement médiatique que subit l’intéressé, rien n’est moins clair.

Duplicité de la personnalité … mais selon quel argument ?

Le 30 octobre 2017, Caroline Fourest, journaliste et éditorialiste est l’invité d’Yves Calvi sur la radio RTL matin. Reconnue comme sa principale détractrice en France notamment pour ses confrontations lors de plusieurs débats télévisés, mais aussi pour lui avoir consacré un livre “Frère Tariq” où il est question de démontrer son imposture intellectuelle et son double discours. Elle n’hésite pas à se faire le porte-voix des victimes présumées en parcourant les plateaux télévisés pour marteler à qui veut l’entendre “qu’elle avait raison” : la duplicité intellectuelle supposée de l’intéressé masquait une duplicité de la personne. Lorsque Yves Calvi l’interpelle sur son rôle dans l’incitation des présumées victimes à porter plainte, le présentateur poursuit : “Que découvriez-vous de la personnalité et des comportements de cet homme ?” Réponse de Caroline Fourest : “Je savais que la personnalité de Tariq Ramadan était double, ça je le savais depuis très longtemps puisque j’avais suffisamment travaillé pour le découvrir. Je n’imaginais pas que cette duplicité pouvait prendre des formes aussi violentes (...) ce que l’une des victimes m’a raconté relevait clairement de la justice (...)”. Comment justifier le glissement de la duplicité supposée des idées vers la duplicité de la personnalité ? Voilà une journaliste qui accuse un homme de double discours depuis un certain nombre d’années et qui nous explique que les accusations de viol sont forcément fondées puisque s’il à un double discours, il a de fait une double personnalité. L’argument est insensé, mais il a le mérite d’être osé. “Osé” est-ce le terme qui convient à la situation ? Pas tout à fait, puisque la détractrice - sous on ne sait quel statut et pour quelles motivations - arpente les plateaux télévisés et amorce le tribunal médiatique ou la contradiction est éradiquée au profit de la condamnation sauvage et féroce. Pourtant, c’est avec la même férocité que Mme Fourest prétendait avoir gagné son procès dans l’émission “On n’est pas couché” devant Aymeric Caron qui l’accusait d’avoir été condamné pour diffamation dans une chronique sur France culture ou encore le même Tariq Ramadan qui démontre en direct lors de l’émission “Ce soir ou jamais” qu’il existe des erreurs dans les citations de son livre “Frère Tariq”. Vérifications faites, Caroline Fourest a bien perdu son procès et les citations visées dans son livre sont bel et bien tronquées. La journaliste est donc coutumière des allégations approximatives et mensongères. C’est la raison pour laquelle la vigilance est requise quant à ses affirmations sur l’affaire Ramadan d’autant plus que l’affaire est en cours d’instruction et que de nouveaux éléments sont constamment versés au dossier.

Journalistes ou magistrats ?

Le tribunal médiatique est ouvert : les journalistes occupent la place des magistrats, les questions sont inquisitrices ; les plateaux télévisés se transforment en cours d’assises, les débats se métamorphosent en plaidoyer pour la condamnation de l’accusé. La flopée d’articles, débats et reportages raisonnent comme un même son de cloche. Comme lobotomisé, les chroniqueurs, journalistes et autres commentateurs abattent à bout portant les règles journalistiques de base, le vocabulaire est touché. Voilà que la plaignante est qualifiée de victime, que le présumé innocent devient celui qui persiste à nier. Le langage est à charge, l’opinion publique s’emballe, le show peut commencer. Les témoins sont appelés à la barre. Manuel Valls, Caroline Fourest, Ian Hamel, Jean Pierre El Kabbach, et bien d’autres donnent le ton des débats ou faudrait-il dire des sentences. Hier des adversaires politiques et idéologiques, aujourd’hui des accusateurs acharnés qui saturent l’espace médiatique. Les complices sont convoqués à la barre. Edwy Plenel, Edgar Morin, Pascal Boniface, Alain Gresh sont sommé de s’expliquer. Vous saviez ? Pourquoi n’avez-vous rien dit ? Êtes-vous mal à l’aise ? Répondez ! Les intéressés se débattent comme si l’on maintenait leur tête sous l’eau. À ce moment précis, la moindre erreur de vocabulaire peut briser une carrière, anéantir une réputation. Les mots sont choisis, la nuance est requise. Les invités défilent, les uns pour confirmer l’accusation, les autres pour abdiquer. Rien ne doit entraver le rouleau compresseur qui est marche. Voilà une situation cocasse ou les médias de l’une des plus grandes démocraties s’accordent pour organiser le lynchage d’une personnalité sur des faits présumés au nom du droit des femmes. Ces mêmes médias qui offrent un silence assourdissant sur l’affaire Darmanin et sur la scène invraisemblable d’un ministre qui est ovationné par une assemblée qui le soutient contre la plainte d’une femme qui l’accuse de viol. Monsieur Valls, Madame Fourest ou est donc votre micro ? Votre silence révèle votre double indignation : féroce pour le médiocre prédicateur, inoffensif pour le puissant ministre. Mesdames et messieurs les débats sont clos, l’accusé est condamné … le procès n’aura pas lieu.

Tariq Ramadan … un justiciable comme les autres ?

Ce dernier paragraphe prend sa source dans un sentiment personnel et n’engage que son auteur. Si en théorie, l’institution judiciaire symbolise l’indépendance en refusant toute forme d’accointance politique ou économique, il y a néanmoins dans cette affaire des éléments qui pousse à croire que le traitement de M. Ramadan va à l’encontre de toute forme d’impartialité et démontre à quel point le deux poids et deux mesures est encore profondément enracinées dans un pays qui se flatte d’appliquer le même droit à chaque justiciable. La justice n’a pas vocation à juger un homme politique, un artiste, un sportif ou un prédicateur. Elle n’a pas vocation à juger un juif, un musulman, un chrétien ou un athée. Elle n’a pas non plus à juger un riche ou un pauvre, un noir ou un blanc, un homme ou une femme. Elle s’en tient à juger un citoyen sur des faits. Or, si l’on s’en tient aux faits dans cette affaire, rien ne peut justifier une mise en détention provisoire de l’accusé. Pour cause, un prévenu qui se rend de lui-même à la justice, une pièce importante invalidant la version d’une plaignante est égaré par on ne sait quelle roublardise, une plaignante qui change à plusieurs reprises de version, une autre qui refuse la confrontation, des éléments probants versés au dossier par M. Ramadan qui contredisent la version étayée par les deux plaignantes. Des éléments qui ne prouvent pas l’innocence de l’accusé à ce stade, mais qui mettent en évidence la complexité de l’affaire et l’important travail d’enquête à réaliser pour rétablir la vérité.

En filigrane de cette affaire, on s’aperçoit combien, le statut du prévenu et l’opinion publique lui sont défavorables tant on en arrive à se demander si c’est le citoyen ou le “prédicateur sulfureux” que l’on juge. Et pourtant rappelez-vous … Gérald Darmanin, accusé de viol est encore au gouvernement et reçoit l’ovation d’une assemblée qui soutient l’un des siens, Denis Baupin accusé de viol comparait libre et conserve de manière naturelle son mandat de député durant toute l’instruction, Georges Tron accusé de viol en réunion et agressions sexuelles par personne ayant autorité est mise en examen et comparait libre. Un deux poids et deux mesures qui questionnent l’impartialité de la justice. Venons-en au fait et soyons claires : cela fait plus de vingt cinq ans que Tariq Ramadan participe au débat public en France et en Europe. Si ses positions font régulièrement l’objet de polémiques (très largement en France), il n’en reste pas moins l’un des penseurs musulmans les plus influents de ces vingt dernières années. Intervenant dans plus d’une dizaine d’universités à travers le monde, professeur à Oxford, auteur d’ouvrages étudiés et commentés partout dans le monde. Le personnage fait peur à ses détracteurs, à l’évidence, il ne s’agit pas du petit prédicateur de banlieue auquel on veut le réduire dans la presse, mais d’un penseur et intellectuel reconnu à l’échelle international et qui a ses entrées dans les plus grandes institutions académiques.

Au vu des éléments que nous avons parcourus à travers ce texte, nous pensons que le traitement qui lui est réservé ne vise pas à rendre la justice, mais à briser le symbole, étouffer le discours, démolir l’homme, neutraliser les idées, anéantir toute forme de retour dans le débat public. L’affaire Ramadan ne concerne pas plus l’homme que ses idées. Est-ce le musulman ou le citoyen que l’on juge ? À vous de juger …


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