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Le Docteur Hans Asperger et les Nazis

posté le 25/04/18 par Par John Donvan et Caren Zucker Le 19 janvier 2016 Mots-clés  antifa 

The Doctor and the Nazis

http://www.tabletmag.com/jewish-life-and-religion/196348/the-doctor-and-the-nazis

Le Docteur et les nazis

Le pédiatre Hans Asperger est mondialement connu pour le syndrome qu’il a d’abord diagnostiqué. Le reste de son histoire, à Vienne lors de la Seconde Guerre mondiale, a récemment été mis en lumière.

Lorsque la question a été posée à Lorna Wing en 1993, dans un appel téléphonique transatlantique, elle l’a choquée.

Est-ce que Hans Asperger, jeune homme, était nazi

La question se référait au pédiatre autrichien dont le travail a donné lieu au groupe bien connu des caractéristiques humaines connu comme le syndrome d’Asperger. Lorna Wing était l’influente pédopsychiatre, basée à Londres, reconnue mondialement comme un des principaux experts sur l’autisme, qui avait apporté une reconnaissance internationale du syndrome d’Asperger.

Wing, qui avait aussi une fille autiste, avait écrit sur le travail d’Asperger seulement en 1981, après qu’Asperger lui-même soit déjà mort, quand son mari, qui savait l’allemand, traduisit un article clinique autrichien publié en 1944. Il contenait ses observations de comportements « autistes » - il a utilisé ce mot - chez plusieurs garçons qu’il traitait au cours des années où son pays a été annexé par le Troisième Reich. Au cours de cette période troublée, et pendant des décennies après, Asperger a vécu et travaillé presque exclusivement dans son pays d’origine, et en premier lieu à Vienne, à l’Hôpital pour enfants de l’Université, où il a finalement eu la chaire de pédiatrie. Asperger a écrit en allemand, en créant d’un ensemble de travaux publiés qui, à sa mort en 1980, à 74 ans, était encore presque entièrement inconnu aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les pays où l’autisme a ensuite été plus reconnu et le plus étudié. En une décennie, cependant, grâce à l’attention que Lorna Wing lui a apporté, le syndrome d’Asperger, sinon l’homme lui-même, était en voie de renommée mondiale, à la fois comme un diagnostic, et comme une source d’identité personnelle pour beaucoup de ceux à qui il a été donné.

Mais maintenant, en 1993, cet appel téléphonique. Et la question spécifiquement sur l’homme lui-même.

Hans Asperger ... un nazi ?

Fred Volkmar du Yale Child Study Center se sentait mal à l’aise même en le demandant ce jour-là en 1993. Mais il a cru qu’il le devait, en raison des doutes soulevés sur le caractère d’Asperger. Et une décision devait être prise rapidement sur l’opportunité de rendre hommage à titre posthume à Asperger en nommant une condition d’après lui dans le DSM, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, la « bible » de la psychiatrie.

Pendant des mois, les experts dirigés par Volkmar se sont intéressés aux études, ont mené des essais sur le terrain, et débattu les uns avec les autres, dans des salles de conférence, par téléphone et par télécopieur, pour savoir si le syndrome d’Asperger méritait une reconnaissance formelle.

Ce serait quelque chose de « nouveau », en ce que çà reconnaîtrait des déficits dans les inter-actions sociales chez des personnes qui, auparavant, avaient été négligées comme ayant besoin d’un soutien ou d’un traitement, en raison de leur bon niveau d’intelligence -même supérieur, ainsi que de leur utilisation du langage souvent précoce et sophistiquée. Certains des garçons Asperger, par exemple, étaient super intelligents, ainsi que créatifs. Dans le même temps, les défis de ces garçons pour se lier socialement étaient profonds. Ils étaient régulièrement victimes d’intimidation, sans amis, et compris à tort comme grossiers ou hostiles, car ils étaient un peu bizarres dans leur intonation (souvent plate ou chantante), qu’ils ne pouvaient maintenir un contact visuel avec d’autres personnes, ou avaient tendance à s’intéresser très profondément à des sujets restreints, souvent tout ce dont ils voulaient parler. Lorna Wing, qui voulait aider les enfants qu’elle soignait à Londres pendant les années 1970 et 1980 qui se comportaient ainsi, a vu un chevauchement important entre ces traits de comportement si préjudiciables aux interactions sociales - traits qu’Asperger avait décrits avec l’adjectif « autiste » - et ceux des enfants avec autisme « classique » : les garçons et les filles, à qui est plus facilement donné le diagnostic d’autisme, qui manifestaient un usage de la parole extrêmement limité, et avaient un QI souvent bien inférieur à la moyenne. Wing a commencé à promouvoir le point de vue, plus populaire de nos jours, que tous les problèmes de ces enfants représentent plusieurs manifestations d’un seul "spectre" de l’autisme. C’était à cette fin qu’elle a ressuscité le travail d’Asperger - moins pour introduire une nouvelle étiquette de diagnostic, que pour illustrer l’étendue et la profondeur de ce spectre.
En 1993, cependant, le syndrome d’Asperger est un candidat sérieux pour être inclus comme diagnostic autonome dans la prochaine révision du DSM. Devant sortir l’année suivante - le livre reconnaîtrait le syndrome d’Asperger comme l’un des « troubles envahissants du développement » - ou non - en attente des conclusions du groupe de travail de Volkmar.

Le Yale Child Study Center de Volkmar a été le chef de file de la recherche sur le SA aux Etats-Unis. À un moment donné, une demande de recherche pour des bénévoles avec SA avait donné à Yale une liste de plus de 800 familles et de personnes à travers le pays. À Yale et ailleurs, les cliniciens qui ont trouvé le concept utile et pertinent avaient diagnostiqué le syndrome d’Asperger chez des patients, sans attendre que le DSM vienne sanctionner son utilisation.

Pourtant, il y avait encore de vifs désaccords sur la validité du concept. C’était difficile de savoir si les individus avec ce diagnostic étaient vraiment différents au regard de ceux décrits comme « autiste de haut niveau de fonctionnement », un concept déjà familier et très utilisé. Au-delà de cela, il était évident que les cliniques avaient peaufiné les critères indépendamment, ce qui conduisait à une incohérence répandue dans la façon dont l’étiquette de syndrome d’Asperger était appliquée. Compte tenu de cela, beaucoup ont fait valoir que le syndrome d’Asperger n’était pas un complément nécessaire ou utile dans le lexique des diagnostics.

D’autre part, l’Organisation mondiale de la Santé venait d’approuver le syndrome d’Asperger comme une maladie autonome. D’une plus grande pertinence, Volkmar lui-même était parmi ceux qui étaient convaincus de sa validité, en ayant vu beaucoup de gens à la Child Study Center de Yale dont les symptômes apparaissaient comme justifiant un diagnostic de syndrome d’Asperger. Volkmar, charismatique, convaincant, et consciencieux, serait l’un des arbitres finaux pour savoir si la maladie serait inscrite dans le DSM. Donc, c’était important quand, quelques mois seulement avant que le nouveau manuel sorte, il a décidé d’enquêter sur la question de savoir si Hans Asperger avait été un nazi.

Eric Schopler, pour sa part, en était convaincu. Psychologue basé à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, il a été directeur et concepteur en chef de la Division TEACCH, premier programme des écoles publiques à l’échelle d’un État de la nation consacré à l’éducation des enfants atteints d’autisme, lancé en 1971. En tant que tel, il a été pendant de nombreuses années l’autorité la plus respectée d’Amérique sur l’autisme, certainement parmi ses collègues. Il était aussi parmi ceux qui considéraient les idées d’Asperger superflues pour la compréhension de l’autisme, pour ne pas les mentionner comme conçues de façon bâclée. Ses attaques contre le travail d’Asperger dans les années 1990 étaient sensiblement personnelles, ce qui reflète une antipathie non justifiée par un simple désaccord professionnel. "Les graines pour notre confusion d’un syndrome existant ont été semées dans le riche sol de ses quelques publications," a-t-il écrit une fois. De l’avis de Schopler, Asperger n’avait jamais "réussi à identifier un syndrome psychiatrique reproductible."

L’antipathie de Schopler peut être comprise comme l’amertume d’un homme qui, enfant, a dû fuir l’Allemagne avec le reste de sa famille juive, et qui est resté soupçonneux de tout adulte - allemand ou autrichien -, dont la carrière en tant que professionnel de la santé avait prospérée pendant l’ère nazie. Il n’y avait pas plus que cela ; c’était la culpabilité par association. Mais cela ne l’a pas empêché de lancer une campagne de rumeurs ciblée sur le fait qu’Asperger avait probablement été un sympathisant nazi, sinon un collaborateur ou un membre réel du parti. Plus d’une fois, Schopler a lâché ces insinuations dans la presse, dans les publications qu’il a supervisées, comme le « Journal of Autism and Developmental Disorders ». Là ou ailleurs ¬ il fait ostensiblement référence à l’"intérêt de longue date dans le mouvement de la jeunesse allemande" d’Asperger, faisant allusion à un lien entre Asperger et les Jeunesses hitlériennes. Pourtant, peut-être parce que Schopler a gardé ses allusions subtiles, la plupart des gens qui connaissaient le syndrome d’Asperger dans les années 1990 n’étaient au courant d’aucune controverse sur le passé d’Asperger.

Volkmar, par exemple, n’a rien entendu à ce sujet jusqu’à la fin du processus d’examen du DSM. Mais ce n’est pas Schopler qui l’a porté à son attention. Au cours des essais sur le terrain que Volkmar menait afin de tester les critères proposés pour le syndrome d’Asperger, deux collègues de Yale qu’il tenait en haute estime ont soulevé le sujet. L’un, Donald Cohen, directeur de longue date du Yale Child Study Center, a publié de nombreux ouvrages sur l’autisme. L’autre était une jeune étoile sur le terrain, un clinicien et chercheur nommé Ami Klin. En tant que candidat au doctorat en psychologie à Londres, Klin avait fait sensation avec une étude brillamment conçeu montrant les réponses des enfants touchés par l’autisme aux sons de la voix de leur mère. C’était Cohen qui avait personnellement recruté Klin à Yale en 1989. Les deux hommes formaient une relation étroite mentor-protégé sur la base à la fois d’une fascination pour l’autisme et d’un sens puissant de l’identité juive. Cohen était Juif pratiquant et un étudiant dévoué de l’Holocauste. Klin était né au Brésil, fils de survivants de l’Holocauste, et avait obtenu son diplôme de premier cycle en histoire et en sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem.

La question autour de laquelle que les deux hommes tournaient était de savoir si Asperger pouvait avoir été impliqué, d’une façon ou une autre, dans les atrocités médicales attribuées aux nazis qui ont gouverné Vienne. Tous deux savaient que la profession médicale avait déjà elle-même été gênée par son incapacité à poser cette question à propos de plusieurs médecins et chercheurs qui avaient pratiqué sous le Troisième Reich. Les manuels modernes portaient encore des références à des maladies désignées suivant des scientifiques de l’époque nazie dont l’éthique était répugnante, si ce n’est criminelle, comme des neurologues dont des découvertes importantes ont été apportées en disséquant le cerveau des enfants et des adultes assassinés par les nazis. Un Dr. Franz Seitelberger de Vienne avait été membre de la SS, tandis que le professeur Julius Hallervorden de Berlin était connu pour sélectionner ds patients vivants dont il avait l’intention d’étudier le cerveau après leur mort par « euthanasie ». Le tristement célèbre Hallervorden dit , « Si vous allez tuer tous ces gens, au moins prenez leur cerveau de telle sorte que le matériau obtienne une certaine utilité. " Pourtant, les termes« maladie de Seitelberger » et « maladie de Hallervorden-Spatz " sont encore apparus dans des publications académiques.

En 1993, Asperger, mort depuis 13 ans, jamais d’une grande présence sur la scène mondiale, était resté une figure peu connue. Uta Frith avait publié un examen superficiel de sa vie et de son travail en 1991, pour accompagner sa traduction de son grand article de 1944. En outre, une conférence qu’Asperger avait donné en Suisse en 1977 était parue en traduction dans la revue d’une organisation de l’autisme britannique en 1979, mais n’avait pas été largement diffusé. En bref, Volkmar ne pouvait obtenir que peu d’information sur Asperger tout seul, et n’avait aucun véritable « expert Asperger" vers lequel se tourner. C’est dans ce contexte qu’il a appelé Lorna Wing, la seule personne qu’il connaissait qui avait rencontré Hans Asperger (une fois, autour d’un thé), et lui a posé la question : « Est-ce que Hans Asperger, jeune homme, était un nazi ? »

Lorna Wing haletait. "Hans Asperger, un nazi ? » Il pouvait entendre son indignation. Elle a parlé de sa foi catholique profonde et de sa dévotion à vie pour les jeunes.

"Un nazi ? Non, "dit Wing. "Non non Non ! C’était un homme très religieux. "

Ce fut une courte conversation, mais cela a réglé le problème.

Quelques mois plus tard, le DSM-IV est paru. Quatre-vingt-quatre nouveaux troubles mentaux avaient été proposés pour y être inclus, mais seulement deux l’avaient été. L’un était le trouble bipolaire II. L’autre était le syndrome d’Asperger.

En 1993, Wing et Volkmar ne savaient rien, bien sûr, des informations sur le syndrome d’Asperger qui seraient mises au jour dans les années à venir.

Le premier signe d’avertissement est venu en 1996. Cette année-là, Ami Klin, avec Volkmar et la psychologue Sarah Sparrow, a commencé à mettre sur pied un livre qu’ils prévoyaient de titrer « Le syndrome d’Asperger ». Pourtant Klin ne pouvait toujours pas se débarasser de ses doutes. Et, parce que son nom serait sur la couverture du livre, il a décidé que quelque chose de plus qu’un appel téléphonique à Lorna Wing était nécessaire afin d’établir que les mains d’Asperger étaient propres.

À la fin de 1996, Klin a commencé à écrire aux archives et instituts en Allemagne et en Autriche, à la recherche toute information documentaire ou autre sur le médecin autrichien. Cela a donné peu de choses. Mais alors un professeur à Cologne, en Allemagne, l’a renvoyé à l’historien autrichien Michael Hubenstorf, qui a enseigné à l’Institut d’histoire de la médecine à l’Université libre de Berlin. "Nous aimerions être en mesure d’écrire que c’était un médecin bienveillant dont la principale préoccupation était le bien-être de son patient [sic]," écrit Klin à Hubenstorf. "Mais nous ne sommes pas sûrs de cela."

Hubenstorf a répondu quelques semaines plus tard avec une lettre de quatre pages et un catalogue de cinq pages des affectations de carrière d’Asperger, des promotions et des publications qu’il avait réunis. Les préoccupations de Klin, écrit-il, étaient justifiées. Alors qu’il n’avait trouvé aucune trace de l’appartenance formelle au parti nazi, Hubenstorf a informé Klin que la "carrière médicale [d’Asperger]a été clairement définie dans l’environnement des nationalistes allemands et des nazis ", et qu’il a été régulièrement promu au sein de ce cadre. Il croyait que le médecin avait minimisé ses liens antérieurs aux nazis connus tels que le professeur Hamburger, son mentor ponctuel, dont Hubenstorf écrivait comme "le pédiatre nazi le plus carré de tous."

Aucun »pistolet fumant » n’avait été trouvé, aucune preuve qu’Asperger ait directement participé à des crimes médicaux nazis.
"On ne sait pas jusqu’à quel point c’était un compagnon de route", concluait Hubenstorf. Mais ses conseils à Klin étaient de pécher par excès de prudence. Il a recommandé de ne pas publier "quoi que ce soit avant que le plus grand effort ait été fait pour clarifier le passé du professeur Asperger."

En fin de compte, Klin a choisi de ne pas suivre les conseils de Hubenstorf. Tout bien pesé, il a reconnu qu’aucun « pistolet fumant » n’avait été trouvé, aucune preuve qu’Asperger ait directement participé à des crimes médicaux nazis. Dans l’intervalle, Klin avait reçu une copie de l’avis de décès d’Asperger qui le dépeignait comme un médecin doux, chaleureux, dévoué à la prise en charge des enfants. La fille d’Asperger, Maria Asperger Felder, s’est aussi portée garante de la réputation de son père quand Klin s’est adressé à elle. Elle-même psychiatre, elle a écrit que son père avait été en désaccord avec le déterminisme racial des nazis, qu’il avait été l’ennemi de la souffrance des enfants, et qu’il n’a jamais perdu "son intérêt à vie et sa curiosité pour toutes les créatures vivantes."
Ce fut l’histoire du médecin bienveillant que Klin espérait se révéler la vérité. En 2000, Klin, Volkmar, et Sparrow ont publié « Syndrome d’Asperger », avec un avant-propos de la fille d’Asperger.

La version "médecin bienveillant » d’Asperger avait un fort attrait, et informait de nombreuses évaluations de son travail. En effet, un récit extrêmement positif d’Asperger comme un homme avec rectitude morale a été mise au point dans le nouveau millénaire, l’élevant presque au statut de héros. De plus en plus, il était considéré comme un saboteur prudent même brave et rusé du projet nazi d’extermination des enfants handicapés mentaux. Cette image de lui a fait écho l’évaluation faite par lea psychologue Uta Frith, en 1991, qu’Asperger avait été un ardent défenseur des "marginaux" dont le programme eugéniste nazi avait conçu la destruction. "Loin de mépriser les inadaptés," écrit Frith dans l’introduction à sa traduction définitive de son article de 1944, "il se consacre à leur cause, et ce à un moment où l’allégeance aux inadaptés était rien moins que dangereuse."

L’image de héros a été amplifiée par le psychiatre de Berlin Brita Schirmer, qui en 2002 a attiré l’attention sur d’Asperger "l’humanité [d’Asperger ] et son engagement courageux pour les enfants qui lui avaient confiés à une époque où cela était loin d’être évident, ou sans danger."

En 2007, les psychologues de Dublin Viktoria Lyon et Michael Fitzgerald ont écrit une lettre au « Journal of Autism and Developmental Disorders » qui célébrait Asperger comme un homme qui "a essayé de protéger ces enfants pour qu’ils ne soient pas envoyés dans des camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale."

Et en 2010, l’historien britannique de l’autisme Adam Feinstein a publié les résultats de son propre reportage à Vienne pour enquêter sur les rumeurs selon lesquelles Asperger était favorable à Hitler. "C’est tout le contraire qui est le plus susceptible d’être le cas," a-t-il conclu.

Ce point de vue sur Asperger reposait sur un certain nombre d’histoires fascinantes. Il a été dit qu’il avait deux fois échappé de justesse à l’arrestation par la Gestapo alors qu’il travaillait à l’hôpital de Vienne, et qu’il avait risqué sa propre sécurité en omettant de déclarer les noms des enfants handicapés aux autorités. Une entrée dans son journal, écrit lors d’une visite en 1934 en Allemagne, semble frissonner à la tourmente nazie qui prend de la vitesse : "Une nation entière va dans une seule direction, fanatiquement, avec une vision rétrécie." Sa foi catholique, et son appartenance à l’organisation de jeunesse de l’Eglise catholique appelée Bund Neuland, ont également été cités comme preuve de son association avec une morale progressiste qui était en contradiction avec l’ordre du jour nazie.

Par-dessus tout, ce point de vue reposait sur des déclarations claires d’Asperger, dès le début de l’ère nazie, défendant le droit des enfants handicapés mentaux à l’appui de la société. Au cours de la conférence de 1938 pendant laquelle il a décrit ses cas autistes pour la première fois, il a déclaré : « Ce qui tombe hors de la ligne, et donc est« anormal », ne doit pas être considéré comme« inférieur ». "

De même, en conclusion de son article de 1944 mieux connu, celui qui a attiré plus tard l’attention de Lorna Wing, il saluait "le devoir [de la profession médicale] de défendre ces enfants avec toute la force de notre personnalité"

Ainsi, il y avait des arguments solides pour considérer Asperger comme un penseur humanitaire et libéral. Il était un portrait optimiste et enthousiasmant qui parlait à la sensibilité moderne. Et il se révélera être gravement compromis.

Une des marques de lessive détergente les plus connues dans le monde est Persil. À l’origine fabriquée en Allemagne, Persil s’est étendu à l’Europe. En Autriche, après la Seconde Guerre mondiale, le mot est venu à signifier, avec humour noir, les efforts furieux, parfois ridicules, déployés par des Allemands et des Autrichiens pour que leur réputation soit lavée de tout soupçon. Poussés par la politique de "dénazification" des Alliés, un effort pour purger de leurs positions d’influence les membres du parti nazi et les collaborateurs, des millions de personnes se sont précipitées pour trouver des témoins de leur innocence. Particulièrement prisé était le témoignage de Juifs qui pouvaient se porter garants pour un moment de bonté ou de décence montré lorsque se déroulait l’Holocauste. Souvent, ceux qui cherchaient à laver leurs noms eux-mêmes se présentaient comme ayant été aussi victimes, affirmant qu’ils avaient été menacés d’arrestation par la Gestapo, ou entravés dans leur carrière pour avoir tenu tête à la politique nazie. D’autres ont insisté sur le fait qu’ils étaient allés avec les nazis par ruse, et qu’ils avaient secrètement résisté au système nazi de l’intérieur. A la fin du processus, ceux qui ont réussi sont repartis avec un document les Autrichiens ont appelé persilschein, ou « certificat Persil," confirmant qu’ils avaient été certifiés innocents, ou « propres ». Même à l’époque, il y avait beaucoup de cynisme à propos du persilschein.

Sans doute, il y avait au moins quelques résistants secrets authentiques parmi les Autrichiens. Mais un bon nombre de ces demandes n’ont été rien de plus que des emplois blanchis. La lettre de Michael Hubenstorf à Ami Klin avait souligné la possibilité que le passé d’Asperger avait également été blanchi dans une certaine mesure. En effet, un second regard sur le récit du héros offre des motifs raisonnables de scepticisme. Pour commencer, l’histoire de la presque arrestation d’Asperger par la Gestapo n’avait qu’une seule source, et qui était Asperger lui-même. Pour autant que l’on sache, il en a parlé à deux reprises en public : dans un discours de 1962 et pendant une apparition en 1974 à la radio. Pour tout autrichien astucieux familier avec le phénomène persilschein, celà soulève le soupçon que Asperger a brodé sur son expérience d’avoir été politiquement soumis à enquête par les autorités nazies, ou a peut-être même concocté l’histoire dans son intégralité. Cette enquête d’habilitation était un processus que la plupart des fonctionnaires ont dû supporter en vertu d’une loi adoptée après l’Anschluss pour éliminer les Juifs et toute autre personne considérée comme « peu fiable." Sans doute Asperger étant un non-membre du parti, il a été examiné, mais à la fin les nazis l’ont innocenté.

Un autre indicateur aurait dû être l’adhésion d’Asperger dans le Bund Neuland, qui a été, du propre aveu d’Asperger, cruciale pour son développement en tant que jeune homme. Bien qu’ardemment pro-catholique ce groupe a également épousé une philosophie nationaliste anti-moderne, pan-germaniste, et ses tensions avec les nazis étaient principalement liées à la position anti-Eglise du Reich. Sinon, il y avait une bonne quantité de points communs entre le Bund Neuland et les nazis. Par exemple, un numéro de 1935 de la revue mensuelle Neuland a souligné le problème de « l’influence juive excessive" dans la partie supérieure de la société, et a discuté de la nécessité d’une « séparation nette » entre les « Juifs de Vienne » et le reste de la population .

Puis il y avait les propres mots d’Asperger. Son entrée de journal en 1934 à propos de toute l’Allemagne en mouvement »dans une seule direction, fanatiquement" a été cité -à l’origine par sa fille, puis par d’autres, en se fondant sur son récit -, comme preuve qu’il a condamné la nazification de l’Allemagne. En lisant en entier, cependant, cela semble plus ambigu, avec des notes de crainte et d’admiration ainsi que la consternation : "Une nation entière va dans une seule direction, fanatiquement, avec une vision rétrécie, certes, mais aussi avec enthousiasme et dévouement, avec une immense discipline et contrôle, avec une terrible efficacité. Maintenant que des soldats - pensée en soldat – ethos - paganisme germanique... " En outre, c’est le seul extrait connu d’un écrit d’Asperger qui suggère une préoccupation au sujet d’où les choses pourraient se diriger quant à 1934.

Quatre ans plus tard, le 3 Octobre 1938, il n’y avait aucune ambiguïté dans le langage qu’il a utilisé pour ouvrir une adresse historique qu’il a donné à un ensemble de ses collègues médecins. Les mots qu’il a utilisés sonnaient étonnamment pro-nazis, et c’est venu au début de l’exposé dans lequel il a discuté de ses cas - qu’il appelait « psychopathes autistes" - pour la première fois. Ce fut une période de sept mois après l’Anschluss nazi, lorsque l’Autriche a été absorbé dans le Troisième Reich, mais les premières lignes d’Asperger sont rien de moins qu’une ode d’amour à la nouvelle Autriche nazifiée.

"Nous sommes au milieu d’une rénovation massive de notre vie intellectuelle, qui englobe tous les domaines de cette vie –pas moins en médecine," a-t-il commencé. Cette nouvelle façon de penser, dit-il, était "l’idée soutenue du nouveau Reich - ce que le tout est plus grand que les parties, et que le [i]Volk est plus important que n’importe quel individu.[/i]"

Dans une poignée de mots, ce fut la vision définissant le fascisme allemand, qu’Asperger, du même souffle, a appliqué à ses collègues médecins. Cette « idée soutenue," a-t-il exhorté, "devrait, où cela implique l’atout le plus précieux de la nation - sa santé - apporter des changements profonds dans l’ensemble de notre attitude." Cela vaut, dit-il, pour "les efforts déployés pour promouvoir la santé génétique, et pour empêcher la transmission de la maladie héréditaire. "C’était difficile de ne pas manquer la référence claire à la « science », conduite par les Nazis, de l’amélioration de la race à travers l’eugénisme. « Nous, les médecins devont effectuer les tâches qui nous incombent dans ce domaine en pleine responsabilité," a déclaré Asperger.

Ce salut à l’Anschluss, aux nazis, à la suppression de l’individualité et à la tâche de purification de la lignée génétique de la nation devrait par lui-même porter un coup fatal à l’idée qu’Asperger a secrètement résisté à l’ordre du jour nazi. Un examen des autres discours médicaux et articles imprimés cette année dans le même journal hebdomadaire où celui d’Asperger est paru montre que l’ouverture de son discours était loin d’être typique. Les défenseurs d’Asperger font valoir parfois qu’il avait un agenda anti-nazi caché - qu’il a cherché à écarter la Gestapo en adhérant du bout des lèvres au régime. Brita Schirmer décrit le préambule comme un "coup d’échecs habile" de la part d’Asperger. Ses défenseurs affirment habituellement, comme corollaire, que le texte intégral du discours d’Asperger, avec son article de 1944, constitue un argument sans ambiguïté pour protéger et nourrir tous les enfants vulnérables, quel que soit leur niveau de handicap.

Mais Asperger n’a pas, ni dans le discours ni dans l’article, fait valoir cet argument. Tout en reconnaissant au passage que des traits autistiques peuvent être observés à la fois chez des enfants ayant des capacités mentales plus fortes ou ceux en ayant des plus faibles, il avait peu à dire au sujet d’aider ces derniers. Au contraire, il se concentre sur les garçons qui possédaient ce qu’il appelle une « valeur sociale », un terme qu’il n’a pas appliqué à tous les enfants. Les garçons du groupe qu’il favorisait seraient connus plus tard comme les « types d’Asperger », et des décennies plus tard comme "Aspies." Ils étaient ceux qu’il décrit comme étant "plus légèrement touchés", ainsi que pas du tout rares dans la population. Pratiquement chaque description d’Asperger l’a présenté comme décrivant ses garçons, avec affection, comme "petits professeurs" – ceci étant supposé une référence à leur intelligence et à leur style parfois pédant. (Qui se révèle être un mythe ; Asperger lui-même n’a jamais réellement utilisé le terme Petits professeurs.)
Asperger fait cette préférence explicite dans son discours de 1938, où il a admis qu’il "pensait plus gratifiant de choisir deux [de ses] cas pas si graves et donc plus prometteurs" à présenter. Ce sera toujours son modèle. En 1944, lors de l’examen de ses enfants "plus légèrement touchés", Asperger s’épanchait pour célébrer jusqu’où ils pouvaient aller, ressassant en particulier sur ceux qui avaient le potentiel pour atteindre les échelons les plus élevés de la société. Pour être sûr, il a été convaincu - et a dit – que les traits autistiques étaient le plus souvent au détriment qu’un avantage pour la majorité des personnes qui les avaient. Mais il était heureux d’annoncer que, pour certains, l’autisme livrait des aptitudes intellectuelles particulières, et que ceux-là si doués pourraient "augmenter les professions de haut rang." Il a cité, à titre d’exemple, des professeurs et des scientifiques et même un expert d’héraldique. Il a également indiqué que certains des enfants les plus doués qu’il avait traités étaient devenus actifs dans un pays en guerre. Au cours de la troisième année de la Seconde Guerre mondiale, a noté Asperger, il avait reçu des lettres et des rapports "d’un grand nombre de nos anciens enfants » desservant sur les lignes de front. En 1941, il a écrit que ces garçons étaient "en train de tenir leur rôle dans la vie professionnelle, dans l’armée, et au sein du parti."

Ainsi, encore une fois, ses garçons avaient démontré leur "valeur sociale" – en termes que le Troisième Reich appréciait.

Cela dit, la vision d’Asperger de l’éducation spéciale et de ce qu’elle pourrait atteindre n’était pas tout à fait aussi exceptionnelle que ses partisans le suggèrent. Contrairement à la compréhension populaire, l’éducation spéciale avait sa place dans l’Allemagne nazie. Le Reich permettait que les enfants handicapés qui pourraient devenir des citoyens productifs bénéficient de soutien et d’éducation pour atteindre ce but. Même la Jeunesse hitlérienne avait des unités spéciales pour les aveugles et les sourds. Mais les nazis ont tracé une ligne où le coût du soutien à un enfant allait dépasser l’ultime contribution matérielle de cet enfant à l’état. Pour cet enfant les nazis n’avaient aucun usage ; lui ou sa vie ne valait rien.

Asperger ne va pas aussi loin dans tout ce qu’il a publié, et la foi catholique qu’il professait était opposée à la stérilisation et àl’euthanasie. Mais il ne s’est jamais fait le défenseur des enfants qu’il semble avoir considéré comme moins « enrichissants ». En effet, il apparaissait pour exclure la possibilité d’améliorer les résultats pour ceux dont les traits autistiques étaient accompagnées par une « infériorité intellectuelle prononcée." Plutôt que de jeter un chemin d’accès pour les aider, il lui suffit de noter le sort « tragique » de ces personnes, ou au moins une triste minorité d’entre eux. "Dans les cas les moins favorables," a écrit Asperger, « ils errent dans les rues comme des originaux de bandes dessinées, grotesquement hirsutes, parlant très fort à eux-mêmes, s’adressant aux gens de la manière de l’autiste." Lorsque l’on parle de ces « cas les moins favorables," Asperger n’ jamais célébré leurs différences autistes. Au contraire, c’était un ton de pitié.

Eric Schopler n’a jamais fait le dossier détaillé présenté ici pour une version moins héroïque d’Asperger. Au lieu de preuves, il avait l’instinct, qui venait peut-être du fait d’être un Juif qui avait vécu une partie de sa vie en Allemagne. Peut-être que cette suspicion instinctive explique aussi le silence presque complet concernant Asperger de la part de l’un de ses plus célèbres contemporains - le pédopsychiatre de Johns Hopkins, Leo Kanner. En 1943, Kanner a publié un article fondateur de la psychiatrie sur l’autisme - celui qui a introduit le concept dans son domaine. Il était si influent que, depuis quelques années, les manuels ont toujours fait mention de l’autisme comme du « syndrome de Kanner." Aussi Juif - un de ceux qui ont aidé des centaines de Juifs fuyant l’Holocauste à obtenir le droit d’entrer aux États-Unis, et ensuite à trouver du travail - Kanner a peut-être vu Asperger comme trop confortablement installé dans la Vienne nazie, et donc a préféré ne pas le reconnaître. Fait intéressant, à la seule occasion que Kanner a mentionné Asperger dans la presse, il a mal orthographié son nom.

Mais l’instinct n’avait pas de preuves. En bref, il n’y avait toujours pas de « pistolet fumant ». Et puis il y en eut.

En mai 2010, un universitaire autrichien à la voix douce est entré dans l’hôtel de ville de Vienne et son lieu de rassemblement cérémonial, le Wappensaal, où un symposium pour honorer la mémoire de Hans Asperger était en cours. Herwig Czech était un historien de 35 ans et professeur à l’Université de Vienne. Il avait été invité à prendre la parole lors du colloque par les organisateurs de l’hôpital pour enfants de Vienne où Asperger avait fait son travail le plus important. Un certain nombre de sommités de la recherche de l’autisme étaient présents, et Lorna Wing elle-même était prévue pour une discussion de l’après-midi.
Il n’y avait toujours pas de « pistolet fumant ». Et puis il y en eut.

La spécialité universitaire de Czech a été le rôle de la médecine pendant le Troisième Reich. Une caractéristique de son travail était de déterrer les écarts - souvent embarrassants -entre les comptes-rendus que les professionnels de la santé ont donnés d’eux-mêmes après la guerre et leur conduite réelle pendantcelle-ci. L’intérêt de Czech dans ce domaine a été peut-être relié à sa prise de conscience née pendant son enfance que son grand-père chaleureux et aimant avait été « un nazi convaincu." Ce n’était pas quelque chose que le vieil homme ait jamais parlé ouvertement, mais la connaissance pesait sur Czech, étant donné ce qu’il apprenait à l’école sur la noirceur de ces années.

Ce qui amenait Czech à l’hôtel de ville, quelque 30 ans après la mort d’Asperger. Avant lui, dans leurs mains, tous les participants tenaient le programme de la journée, sa couverture avec une photo en noir et blanc d’un jeune Dr Asperger, vêtu d’une blouse blanche et engagé dans une conversation profonde avec un jeune garçon - sans doute un de ses patients. Le titre du colloque apparaissait au-dessus de la photo : "Sur les traces de Hans Asperger." L’événement avait été motivé par la reconnaissance internationale croissante du travail d’Asperger. Pendant deux jours, les conférenciers devaient étudier la carrière de l’homme et offrir des analyses des dernières découvertes scientifiques en ce qui concerne le syndrome d’Asperger.

Les organisateurs avaient reçu un mot d’avance que Czech était tombé par hasard sur des détails compromettants au sujet de leur lauréat. Ce ne pouvait pas être de bonnes nouvelles, mais dans l’esprit de la recherche scientifique, ils l’ont encouragé à continuer à creuser et à rapporter sur tout ce qu’il pourrait trouver. Mais une fois que Czech se tint en face d’eux, il y eu une légère gêne de la situation : parmi les quelque 150 spectateurs étaient la fille d’Asperger et certains de ses petits-enfants. Le titre de la conférence de Czech, imprimé dans la brochure du programme, était "Dr. Hans Asperger et le programme d’euthanasie des enfants nazis à Vienne : connexions possibles ". Le côté gênant a fait place à la surprise, puis au choc, lorsque Czeh a dressé un portrait d’Asperger qui a laissé le récit du héros en lambeaux, basé sur une mine de documents originaux qu’il avait dénichés. Il y avait, par exemple, une lettre de 1941 que Czech avait trouvé dans les archives du Spiegelgrund - le centre à la périphérie de Vienne qui ressemblait superficiellement un hôpital, mais qui fonctionnait en réalité comme un centre de mise à mort d’enfants gravement handicapés. Les personnes choisies pour la mort au Spiegelgrund ont été empoisonnées par le phénobarbital, qui a été administré dans des suppositoires, ou mélangé aux repas des enfants. Le médicament, en doses suffisantes, provoque le dysfonctionnement des poumons. En règle générale, la « pneumonie » était répertoriée comme la cause officielle de la mort.

La lettre d’Asperger, adressée à l’administration du Spiegelgrund, faisait un rapport sur l’évaluation médicale menée récemment, à l’hôpital universitaire, d’une petite fille nommée Herta Schreiber. L’écriture était de la main d’Asperger. Herta était alors âgée de 2 ans, la plus jeune de neuf enfants - dont cinq vivaient encore à la maison - et elle avait été malade tout le printemps depuis qu’elle avait contracté l’encéphalite. Son état ne semblait pas en voie d’amélioration, et en Juin sa mère l’avait amené pour qu’elle soit vue par Asperger à sa clinique.

La lettre contenait une évaluation de la maladie de Herta. Il était évident qu’elle avait subi une sorte de dommage majeur à son cerveau : son développement mental était arrêté, son comportement se dégradait, et elle avait des crises d’épilepsie. Asperger semblait sûr de son diagnostic. Il a noté plusieurs possibilités : un trouble grave de la personnalité, troubles épileptiques, l’idiotie. Puis, en prose ordinaire, il a offert une opinion décidément non médicale : « Alors qu’à la maison, cet enfant doit présenter un fardeau insupportable pour la mère, qui doit prendre soin de cinq enfants en bonne santé."

Après avoir exprimé son empathie pour la mère de Herta, Asperger a rendu sa recommandation : « un placement permanent au Spiegelgrund semble absolument nécessaire » La lettre était signée "Hans Asperger." Tout le monde dans le public a saisi le sens de la lettre d’Asperger. C’était un arrêt de mort. En effet, Czech a confirmé que Herta a été admise au Spiegelgrund le 1er Juillet 1941, et qu’elle y a été tuée le 2 Septembre 1941, un jour après son troisième anniversaire. Les dossiers indiquent qu’elle est morte d’une pneumonie. Les notes des archives de l’hôpital ont cité sa mère comme étant d’accord, à travers les larmes, que sa fille serait mieux de cette façon, plutôt que de vivre dans un monde où elle ferait face constamment au ridicule et à la cruauté. C’était l’évaluation de Czech que les parents de Herta étaient favorables au programme nazi.

L’effet sur la salle a été puissant. Lorsqu’ils écoutaient, les membres de l’auditoire ont jeté des tregards dérobés à l’image d’Asperger et dugarçon sur la couverture du programme. Soudain, la nature d’hommage de leur rassemblement semblait tout à fait fausse, quand Czech allait fournir, dans une voix calme et sans affect, de plus nouvelles inquiétantes du passé nazi.

En Février 1942, a-t-il rapporté, Asperger était le pédiatre de haut rang représentant la ville de Vienne dans une commission chargée d’examiner l’état de santé de 210 enfants autrichiens résidant dans des hôpitaux psychiatriques en Autriche inférieure. Quelques mois plus tôt, le gouvernement avait commencé à prendre des mesures pour appliquer les lois de l’enseignement obligatoire, même pour les enfants dans ces hôpitaux, tant qu’ils étaient « éducables ». Un panel de sept experts a été chargé de dresser une liste des noms des enfants qui devraient, en dépit de leurs difficultés mentales, commencer à suivre des cours soit dans un cadre académique traditionnel soit dans un cadre d’éducation spécialisée. En une seule journée, Asperger et ses collègues ont parcouru les dossiers de tous les 210 enfants. Tandis que 17 ont été jugés trop jeunes pour l’enseignement obligatoire, et 36 trop vieux, le comité a désigné 122 d’entre eux prêts à la scolarisation.

Il restait 26 garçons et 9 filles. Leur sort, a rapporté Czech, était connu, et il croyait qu’Asperger le savait aussi. Un résumé écrit détaillant la composition, le but et les procédures de la Commission a clairement indiqué que ces enfants jugés non "éducables" devaient être "envoyés pour Jekelius Action" le plus rapidement possible. Lorsque cela a été écrit, Erwin Jekelius, un ancien assistant du mentor d’Asperger Franz Hamburger, était le fiancé de la jeune sœur d’Hitler, ainsi que le directeur du Spiegelgrund. "Jekelius Action" était un euphémisme que les membres de la commission auraient très bien compris. Asperger a dit une fois qu’il a pris un "grand risque" en refusant de déclarer les enfants aux autorités. Cela, évidemment, n’a pas été un de ces moments.

Czech a également fait part des conclusions suggérant une plus grande affinité entre Asperger et les nazis qu’Asperger ne l’avait admis. Selon le dossier du parti nazi gardé sur lui, il a été maintes fois jugé comme un autrichien auquel les autorités nazies pouvaient faire confiance, d’autant plus lorsque les années passaient. Chaque fois qu’Asperger posait sa candidature pour un poste ou une promotion, il y a été autorisé comme quelqu’un qui, bien que pas membre du parti, respectait les principes nazis dans l’exercice de son travail. Dans un cas, un responsable du parti a écrit qu’il "se conforme aux principes de la politique d’hygiène raciale."

Dans les années qui suivirent son discours, Czech découvrirait d’autres preuves montrant jusqu’où Asperger est allé pour se conformer. Il a trouvé des lettres de la main d’Asperger où est utilisé "Heil Hitler" comme salutation finale. Ce n’était pas obligatoire. Il a également mis au jour une demande d’emploi rempli de la main d’Asperger dans lequel Asperger se décrit comme candidat à l’Association Nazie des Docteurs, un groupe qui a fonctionné comme bras politique médical du parti et a contribué à la fermeture des cabinets des médecins juifs. Il a également appris qu’Asperger avait demandé à être conseiller médical à la branche de Vienne des Jeunesses Hitlériennes, mais il n’y a aucune trace qu’il ait été accepté. Dans l’ensemble, de l’avis de Czech, Asperger a pris soin pendant la guerre de protéger sa carrière et de redorer « sa crédibilité nazie." Asperger, semble-t-il, a fait ce qui était nécessaire.

Czech a parlé pendant seulement 20 minutes à peu près ce jour-là à la mairie de Vienne. Puis il a cessé de répondre aux questions de l’auditoire. Lors de cette pause, le Dr Arnold Pollak, directeur de la clinique où Asperger avait travaillé pendant une grande partie de sa carrière, a bondi sur ses pieds, clairement agité. Se tournant vers la salle, il a demandé que toutes les personnes présentes se lèvent et observent une minute de silence en hommage aux nombreux enfants dont Herwig Czech avait fait revenir à la mémoire les meurtres depuis longtemps oubliés. L’ensemble du public s’est levé et l’a rejoint en un hommage muet.

Adapté de In a Different Key : The Story of Autism , 2016 par John Donvan et Caren Zucker, publié par Crown Publishers, une publication de Penguin Random House LLC.
The Doctor and the Nazis

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ttps ://molecularautism.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13229-018-0208-6


posté le  par Par John Donvan et Caren Zucker Le 19 janvier 2016  Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article

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