Le racisme ringardisé par "l’islamophobie"
Non, vraiment, le terme « islamophobie » est mal choisi s’il doit nommer la haine que certains tarés ont des musulmans. Et il n’est pas seulement mal choisi, il est dangereux.
Si on l’aborde d’un point de vue purement étymologique, l’islamophobie devrait désigner « la peur de l’islam ». Or les inventeurs, promoteurs et utilisateurs de ce terme l’emploient pour dénoncer la haine à l’égard des musulmans. Il est curieux que ce ne soit pas « musulmanophobie » et, plus largement, « racisme » qui l’aient emporté sur « islamophobie », non ? D’un point de vue étymologique, ce serait juste un peu moins branlant. Alors, pour quelle raison le terme « islamophobie » s’est-il imposé ?
Par ignorance, par fainéantise, par erreur, pour certains, mais aussi parce que beaucoup de ceux qui militent contre l’islamophobie ne le font pas en réalité pour défendre les musulmans en tant qu’individus, mais pour défendre la religion du prophète Muhammad.
Le racisme est présent dans tous les pays depuis l’invention du bouc émissaire. Il y aura probablement toujours des racistes. La solution n’est pas de perquisitionner le cerveau de tous les citoyens, à la recherche de la moindre étincelle de racisme, il s’agit d’empêcher les racistes de formuler leurs pensées nauséabondes, de revendiquer leur « droit » d’être racistes, d’exprimer leur haine.
En France, la parole raciste a été largement libérée par Sarkozy et son débat sur l’identité nationale. Lorsque la plus haute autorité de l’État s’adresse aux cons et aux salauds en leur disant « lâchez-vous, les gars », que croyez-vous que font les cons et les salauds ? Ils se mettent à dire publiquement ce qu’ils se contentaient, jusque-là, de beugler à la fin des repas de famille trop arrosés. La parole raciste, que les associations, les politiques, les intellectuels avaient réussi à confiner dans un espace compris entre la bouche du xénophobe et la porte de sa cuisine, est sortie dans la rue, elle a irrigué les médias, elle a encrassé un peu plus les tuyaux des réseaux sociaux.
Oui, on assiste à une explosion des manifestations du racisme. Mais le terme « racisme » n’est plus employé que timidement. Le terme « racisme » est tout simplement en passe d’être remplacé par celui d’« islamophobie ».
Lorsqu’une femme voilée est insultée et violentée parce qu’elle est voilée à la mode musulmane (l’insaisissable agresseur est généralement décrit comme un skinhead), l’anti-islamophobe soutient la victime en tant que représentante de l’islam. Non parce qu’il s’agit d’une citoyenne prise à partie en raison de ses croyances par un fasciste. Pour son défenseur, le plus grave est qu’elle ait été attaquée non pas en tant que citoyenne qui a le droit de s’habiller comme elle l’entend, mais en tant que femme musulmane. La vraie victime, c’est l’islam. Dieu est ainsi placé bien au-dessus de la fidèle, mais, en blessant celle-ci, c’est Dieu qu’on a cherché à atteindre. Pour le combattant anti-islamophobe, c’est ce qui est réellement intolérable.
Voilà pourquoi les anti-islamophobes dont on parlera ici ne se sont pas proclamés anti- musulmanophobes. Ils ne considèrent les musulmans qu’ils défendent que comme les instruments de Dieu.
À tel point qu’on pourrait avoir l’impression que les étrangers ou les citoyens d’origine étrangère ne sont plus agressés en France que parce qu’ils sont musulmans… Les victimes de racisme qui sont d’origine indienne, asiatique, rom, noire africaine, antillaise, etc., auront bientôt intérêt à se trouver une religion si elles veulent être défendues.
Les militant-e-s communautaristes qui essaient d’imposer aux autorités judiciaires et politiques la notion d’« islamophobie » n’ont pas d’autre but que de pousser les victimes de racisme à s’affirmer musulmanes. Que des racistes soient en plus islamophobes, pardon, mais c’est presque anecdotique. Ils sont d’abord racistes et, à travers l’islam, c’est bien l’étranger ou la personne d’origine étrangère qu’ils visent. En ne considérant plus que l’islamophobie chez le raciste, on minimise le danger raciste. Le militant antiraciste d’hier est en train de se transformer en boutiquier hyperspécialisé, dans une forme minoritaire de discrimination. Lutter contre le racisme, c’est lutter contre tous les racismes, lutter contre l’islamophobie, c’est lutter contre quoi ? Contre la critique d’une religion ou contre la détestation de ses pratiquants parce qu’ils sont d’origine étrangère ? Pendant que nous débattons pour savoir si dire que le Coran est un bouquin nul constitue une forme de racisme ou non, les racistes se marrent.
Si demain les musulmans de France se convertissent au catholicisme ou bien renoncent à toute religion, ça ne changera rien au discours des racistes : ces étrangers ou ces Français d’origine étrangère seront toujours désignés comme responsables de tous les maux.
Tiens, Mouloud et Gérard sont musulmans. Mouloud est d’origine maghrébine et vient d’une famille musulmane, Gérard est d’origine européenne et vient d’une famille catholique. Gérard s’est converti à l’islam. Tous les deux, ils sont candidats à la location d’un appartement. À revenu égal, lequel des deux musulmans a le plus de chance d’obtenir l’appartement ? Celui qui a une tête d’Arabe ou celui qui a une tête de Frankaoui ? Ce n’est pas au musulman que la location sera refusée, c’est à l’Arabe. Et que l’Arabe ne présente aucun des signes extérieurs d’appartenance à la religion musulmane ne changera rien. Que fera le militant anti-islamophobie ? Il criera à la discrimination religieuse au lieu de s’insurger contre le racisme.
Rappelons ici ce que dit le Code pénal :
« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
La discrimination sociale, dont on parle beaucoup moins que la discrimination religieuse parce qu’elle est plus sournoise et discrète dans son expression, est pourtant beaucoup plus prégnante en France. Les patrons sélectionnent moins leurs futurs employés en fonction de leur appartenance religieuse, supposée ou réelle, qu’en fonction, par exemple, de leur lieu de résidence. Entre Mouloud qui habite à Neuilly-sur-Seine et Mouloud qui vit à Argenteuil, lequel des deux, à compétence égale, a le plus de chance de décrocher le poste ? Mais de cette discrimination-là, qui en parle ? On discrimine massivement les gens en raison de leur origine sociale, mais – comme parmi les pauvres qu’on ne veut pas voir dans son entreprise, dans son quartier, dans son immeuble – il y a une forte proportion de personnes d’origine étrangère et, parmi elles, une importante proportion de personnes d’origine musulmane, le militant de l’islam dira que, le problème, c’est l’islamophobie.
Prenons maintenant l’exemple de Mouloud et d’Abdelkader. Tous deux sont musulmans, tous deux d’origine étrangère, tous deux plus bronzés que Gérard. Mouloud n’a pas un rond, Abdelkader est millionnaire. Auquel des deux refusera-t-on la location d’un appartement ? Au musulman Mouloud ou au millionnaire Abdelkader ?
S’il est nécessaire de refuser d’employer les termes « islamophobie » ou « christianophobie », nous y reviendrons plus loin, qu’en est-il des notions tout aussi nouvelles d’« homophobie » ou de « négrophobie » ? Pour la simple raison que le sens de ces deux termes n’est pas ambigu, même si la mode d’ajouter « -phobie » à la fin de chaque mot est parfaitement grotesque. « Homophobie » et « négrophobie » ne sont pas employés pour décrire la haine que des gens peuvent éprouver contre une idéologie ou une religion, mais bel et bien contre des êtres humains. L’homophobie n’est pas condamnable parce qu’elle serait une critique de l’homosexualité, mais parce qu’elle exprime la haine des homosexuels. De même, lorsqu’on parle de négrophobie, on parle bien de la haine que certains expriment contre les personnes noires, contre des individus.
Croire, c’est d’abord avoir peur
D’après le Robert (non, pas le mec qui picore des cacahuètes au bar, le dictionnaire), en arabe, « islam » veut dire « soumission ». Un musulman est quelqu’un qui est soumis à Dieu. Pourquoi se soumet-il ? Parce que son dieu est le meilleur, le plus costaud, le mieux coiffé, mais surtout parce que, s’il prétend le contraire, il rôtira en enfer jusque bien après la fin du monde. Le croyant est donc prié de ne pas déconner avec Dieu sous peine de pire que la mort pour l’éternité. Doit-on dès lors poursuivre en justice tous les imams, rabbins, curés qui exhortent leurs brebis à craindre le Seigneur ? Ne contribuent-ils pas, ces dévoués serviteurs de leur Créateur, au développement d’une sorte de théophobie ?
En écoutant certains prêches, on comprend que le croyant un peu couillon et impressionnable rentre chez lui en serrant les fesses, sûr que le moindre de ses mouvements est scruté par le divin œil. Dieu est une super caméra de surveillance contre laquelle personne ne proteste sérieusement. Pourtant, elle a été mise en place sans qu’aucun élu ou citoyen ait été consulté. Passons.
Un jour, pour rire, il faudra que je publie toutes les lettres de menaces que j’ai reçues à Charlie Hebdo de la part de fascistes cathos et de fascistes musulmans. L’argument principal pour nous convaincre de cesser de blasphémer est tout bête : après notre mort, Dieu nous en fera baver des ronds de chapeau. N’est-il pas légitime que quelques âmes sensibles éprouvent une phobie des religions lorsque celles-ci les menacent ? la phobie de Dieu ?
Les premiers islamophobes seraient alors les croyant-e-s eux-mêmes. Iels pètent de trouille à l’idée que leur Dieu vengeur les punisse de la moindre incartade.
Avoir peur est un droit
Avoir peur de l’islam est sans doute crétin, absurde, et plein d’autres choses encore, mais ce n’est pas un délit. De la même manière, vous pouvez manifester votre crainte du christianisme ou du judaïsme sans réveiller un juge et mettre en branle la machine judiciaire. D’ailleurs, il peut arriver qu’un croyant ait lui-même la phobie des autres religions. On lui a appris que la sienne était la meilleure du monde. Non, pas la meilleure, la seule Vraie ! En proclamant que les textes qu’il tient pour sacrés disent la vérité, il sous-entend que les autres racontent des bobards. On peut envisager qu’il soit effrayé par la perspective que la majorité se convertisse à la fausse religion. Ou, plus exactement, que le gros de la clientèle rejoigne la concurrence. Rien d’étonnant à ce que le catholique soit islamophobe et que le musulman soit cathophobe, c’est précisément ce que leurs responsables religieux leur demandent. Ne pas aimer la religion de l’autre est le quotidien des curés de toute obédience, et ça ne semble déranger personne. Les curés, les imams et les rabbins ont le droit d’être islamophobes, judéophobes ou cathophobes sans que personne le leur reproche.
Rappelons en outre qu’une religion n’existe pas sans croyants. Un texte ne devient sacré et éventuellement dangereux que parce qu’un lecteur fanatique décide d’appliquer au premier degré ce qui est écrit dans son livre de chevet. Il faut être vraiment naïf pour prendre au pied de la lettre ce que disent les textes fondateurs de toutes les grandes religions, et il faut être particulièrement psychopathe pour vouloir reproduire chez soi ce qu’ils prônent. Bref, le problème, ce n’est ni le Coran ni la Bible, romans soporifiques, incohérents et mal écrits, mais le fidèle qui lit le Coran ou la Bible comme on lit la notice de montage d’une étagère Ikea. Il faut tout bien faire comme c’est marqué sur le papier, sinon l’univers se pète la gueule… Il faut bien égorger l’infidèle selon les pointillés, sinon Dieu va me priver de Club Med après ma mort.
Prenez n’importe quel livre de cuisine, déclarez que tout ce qui y est écrit est la Vérité et appliquez à la lettre, à vous-même et aux autres, ce que préconisent ces nouvelles Saintes Écritures. Le résultat ? Un bain de sang. Votre voisin fait des crêpes sans gluten parce qu’il est allergique ? Le Livre sacré ne
dit rien de ce cas de figure ! Brûlez votre voisin, il blasphème ! Il beurre trop le fond de son moule à tarte ? La mort !
La même expérience est réalisable avec n’importe quel bouquin. Tiens, essayez avec un livre de Stephen King pour rigoler…
Tous les courants de pensée sont soumis à la critique
Les textes « sacrés » ne sont sacrés que pour ceux qui y croient. Même si certaines associations musulmanes et catholiques œuvrent depuis des années afin que le délit de blasphème soit reconnu et puni par la justice française, personne ne risque la prison pour avoir critiqué tel ou tel dogme religieux (à part en Alsace-Moselle, on y reviendra).
Un croyant peut blasphémer dans la mesure où blasphémer a un sens pour lui. Unnon-croyant, malgré tous ses efforts, ne peut pas blasphémer. Dieu n’est sacré que pour celui qui y croit. Pour insulter ou outrager Dieu, il faut être persuadé qu’il existe. La stratégie des communautaristes maquillés en antiracistes consiste à faire passer le blasphème pour de l’islamophobie et l’islamophobie pour du racisme.
Par exemple, il ne viendrait pas à l’idée des communistes de traiter les anticommunistes de communistophobes ni de réclamer leur condamnation pour racisme anticommuniste. On peut tordre le bras à la réalité comme on veut, on ne fera pas admettre à grand monde qu’il existe une « race » communiste. La « race » islamique n’existe pas plus. Le communisme est un courant de pensée aujourd’hui minoritaire en France, régulièrement attaqué ou du moins violemment moqué par tous les fidèles défenseurs du triomphant modèle libéral. Il n’y a (hélas) pas un milliard et quelques de communistes dans le monde, le parti communiste n’est (hélas) pas le deuxième parti de France, il y a (hélas) plus de mosquées que de fédérations du parti communiste, et un communiste qui travaille en contact avec la clientèle ne peut pas arborer une belle grosse faucille et un marteau jaunes sur son tee- shirt rouge.
Si, au contraire de l’existence de Dieu, il est difficile de nier celle de Marx, de Lénine ou de Georges Marchais, ce n’est pas blasphémer, se montrer raciste ni communistophobe que de douter de la validité de leurs écrits ou de leurs discours. En France, une religion n’est pas autre chose qu’un ensemble de textes, de traditions et de coutumes parfaitement critiquables. Affubler Marx d’un nez de clown n’est ni plus ni moins outrageant et scandaleux qu’affubler Mahomet du même pif.
Dieu est assez grand-e pour se défendre tout -e seul-e
Franchement, si Dieu existe et qu’il est aussi puissant que ses serviteurs le prétendent, nous, les infidèles, les incroyants, les laïcards, les athées, les antithéistes, les mécréants, les apostats, on est mal… Nous sommes irrémédiablement condamnés aux flammes de l’enfer.
D’où cette question : pourquoi les croyants font-ils appel à la justice des hommes pour nous punir, alors que la justice divine le fera, et bien plus sévèrement que n’importe quel juge ? Qui est donc ce Dieu qu’on prétend tout-puissant, qui aurait besoin d’avocats pour nous attaquer en justice ? Dieu ne se vexe-t-il pas de constater que celui qu’il considérait jusque-là comme un bon croyant a recours à la justice plutôt qu’à la prière ? Pourquoi le fidèle ferait-il prendre à Dieu le risque d’être ridicule en perdant un procès sur terre, alors qu’il est sûr de gagner tous ses procès au ciel ? Je ne veux me fâcher avec personne, mais, du point de vue du croyant, n’est-ce pas blasphémer que de demander à des magistrats qui sont peut-être eux-mêmes des mécréants de condamner d’autres mécréants au nom de Dieu ? N’est-ce pas l’expression d’une sorte de péché d’orgueil que de prendre en charge la défense de Dieu ? Dieu, le créateur du monde, ce type large d’épaules qui joue avec notre planète comme l’automobiliste arrêté au feu rouge joue avec ses crottes de nez,a-t-il besoin de maître Tartempion pour laver son honneur ?
En attaquant en justice les blasphémateurs, les associations communautaristes ne prouvent qu’une chose : elles ne croient pas en Dieu.
Ou alors elles sont pour la double peine, ce qui est particulièrement méchant et pervers. Elles veulent que nous soyons condamnés ici, en France, et une seconde fois là-haut. Ou plutôt en bas, puisqu’il est communément admis que l’enfer est au sous-sol, et le paradis à l’étage.
Que des croyants veuillent faire vivre à une poignée de blasphémateurs l’enfer sur terre, c’est de la contrefaçon. Comment le plus doué des fidèles peut-il rivaliser avec Dieu en bricolant une pâle imitation de l’enfer officiel, celui où la peau des suppliciés repousse chaque fois qu’on la pèle ? Disneyland attaquerait en justice tous ceux qui se risqueraient à ouvrir sans autorisation un parc copié
sur le modèle original. Il est étonnant que Dieu, réputé encore plus à cheval sur la réglementation que les héritiers Disney, ne punisse pas sévèrement les croyants bricoleurs qui se lancent dans l’exploitation sur terre d’un parc à thème dont ils ne détiennent pas les droits.
Condescendance des élites et infantilisation -
Les journalistes au service de l’islamophobie
Le terme « islamophobie » ne connaîtrait pas ce succès délirant sans la complicité, le plus souvent imbécile, des médias. Pourquoi ont-ils été si prompts à s’emparer de l’islamophobie ? D’abord par fainéantise, ensuite par attrait de la nouveauté et, enfin, par intérêt commercial. Il n’y a aucune motivation antiraciste de leur part dans le fait de contribuer à populariser le terme « islamophobie ». Au contraire.
Pour le dire simplement, tout scandale qui contient le mot « islam » dans son intitulé est vendeur. Depuis l’attentat du 11 septembre 2001, les médias mettent en scène un personnage à la fois fascinant et effrayant : le terroriste islamiste. Un terroriste, ça fout les jetons, mais si vous ajoutez qu’il est islamiste, tout le monde se fait dessus. La peur se vend bien. L’islam qui fait peur se vend bien. Et l’islam qui fait peur est devenu le seul islam visible aux yeux du grand public.
Car l’islam que les médias donnent à manger à leurs consommateurs est forcément radical et poilu. Très souvent, ce que les grands médias présentent comme une information sur l’islam est en réalité une caricature. Et ça ne suscite pas de franche protestation chez les associations qui traquent l’islamophobie. Tant qu’elles sont invitées à s’exprimer sur la montée de l’islamophobie, tout le monde y trouve son compte.
En revanche, c’est lorsqu’une caricature de l’islam dit radical est présentée comme une véritable caricature, et une caricature assumée, que les chasseurs d’islamophobes s’énervent. Pour exister médiatiquement, il est en effet moins risqué de s’en prendre à un petit journal comme Charlie Hebdoque de s’attaquer aux principales chaînes de télé ou aux news magazines…
Aujourd’hui, le journaliste qui demande à un musulman de commenter la « montée de l’islamophobie » ne lui demande finalement rien d’autre que de commenter ce que les médias ont eux-mêmes créé. En résumé, il contribue à amplifier un problème et fait ensuite semblant de s’étonner de l’existence et de la persistance de ce problème. Le responsable musulman à qui le présentateur du 20 heures réclame d’exprimer son sentiment sur cette fameuse « montée de l’islamophobie » devrait lui cracher à la gueule. Il a en face de lui le promoteur de la trouille que suscite l’islam.
Les caricatures de Mahomet
Charlie Hebdo a publié des caricatures de Mahomet bien avant le scandale des caricatures danoises. Notons que les dessinateurs de Charlie Hebdo, avant l’affaire dite des « caricatures de Mahomet », étaient désignés et se désignaient eux-mêmes comme des dessinateurs de presse. Depuis, ils sont généralement présentés comme des caricaturistes.
Ne nions pas le recours à la caricature pour commenter l’actualité, mais la caricature n’est qu’un élément du dessin. Il n’y a rien de honteux là-dedans, mais ce détail montre à quel point l’affaire des caricatures de Mahomet a influencé la manière dont le grand public envisage désormais le travail des dessinateurs de Charlie Hebdo.
Le prophète des musulmans a donc été dessiné dans Charlie Hebdo bien avant cette affaire. Aucune association ni aucun journaliste ne s’est montré horrifié devant ces dessins. Quelques individus exprimaient parfois leur désapprobation par un courrier, rien de plus. Pas de manifestations, pas de menaces de mort, pas d’attentats. Ce n’est qu’après la dénonciation et l’instrumentalisation des caricatures danoises par un groupe d’extrémistes musulmans que caricaturer le prophète des croyants est devenu un sujet capable de déclencher des crises d’hystérie médiatiques et islamiques. D’abord médiatiques, et ensuite islamiques.
Lorsque, en 2006, Charlie Hebdo a réaffirmé le droit pour un dessinateur de caricaturer le terrorisme religieux en republiant les caricatures danoises de Mahomet, les médias ont braqué leurs projecteurs sur le journal satirique. Charlie Hebdo devenait lui aussi une cible potentielle de la vindicte de fous de Dieu. Une publicité délirante a été faite autour de la publication de ces dessins, non parce qu’ils étaient particulièrement choquants, mais parce qu’ils ne pouvaient être que choquants, vu ce que leur instrumentalisation avait provoqué à l’étranger.
Le dessin représentant un Mahomet avec un turban en forme de bombe est resté le plus célèbre. S’il n’a pas été compris par tout le monde de la même façon, il a pu, en revanche, être lu par tous, puisqu’il ne comportait pas de texte. Ses détracteurs ont décidé d’y voir une insulte envers tous les musulmans.
Coiffer le prophète des croyants d’une bombe, c’était suggérer que tous ses fidèles étaient des terroristes. Une autre interprétation était possible, mais elle intéressait moins les médias, dans la mesure où elle n’était pas sulfureuse et, donc, pas vendeuse. Mahomet coiffé d’une bombe pouvait dénoncer l’instrumentalisation de la religion par des terroristes. Le dessin disait : voilà ce que les terroristes font de l’islam, voilà comment les terroristes qui se réclament du Prophète le voient.
C’est parce que les médias ont décidé que la republication des caricatures de Mahomet ne pouvait que déclencher la fureur des musulmans qu’elle a déclenché la colère de quelques associations musulmanes. Colère de façade pour certaines… Dès lors que les micros et les caméras cernaient les représentants de ces associations et que les journalistes les pressaient de se prononcer sur le caractère blasphématoire de ces dessins, il fallait bien que leurs porte-parole réagissent. Il fallait montrer aux fidèles les plus énervés qu’ils étaient de vrais bons défenseurs de la foi.
Les musulman-e-s les plus radicaux compensent leur infériorité numérique par un activisme militant intense. Tout le monde s’y laisse prendre. Les associations musulmanes comme les journalistes. Parce qu’ils ont la plus grande gueule, ils sont l’islam, le vrai. La réalité, c’est que des musulmans, des croyants qui respectent toutes les obligations religieuses, il n’y en a pas beaucoup. Et, parmi ceux-là, la majorité ne s’investit pas dans des associations religieuses, qu’elles soient considérées comme modérées ou non. Et on les comprend. Ils n’ont pas besoin que quelqu’un vienne leur expliquer comment ils doivent croire.
L’islam a beau être présenté comme la deuxième religion pratiquée en France, ça ne signifie pas que tous les immigrés ou les enfants d’immigrés issus d’un pays à majorité musulmane sont des musulmans. Rappelons qu’en 2010, selon une enquête de l’INED (Institut national d’études démographiques) et de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), 2,1 millions de personnes se déclaraient musulmanes en France, tandis que 11,5 millions se disaient catholiques et 125 000, juives… Des chiffres jamais repris par les communautaristes, qui continuent de prétendre, en fonction de leur humeur, de l’air du temps ou de leurs intérêts, qu’il y a 6, 8, 10 ou même 13 millions de musulmans en France !
La foi ne se transmet heureusement pas par les gènes, comme aimeraient nous le faire croire les communautaristes et… l’extrême droite. Mais si tes parents sont musulmans, ou supposés l’être étant donné leur origine, tu seras considéré comme un musulman par les communautaristes et les fachos. Les journalistes qui ont besoin de gonfler un peu les chiffres « qui font peur » sont trop heureux que quelques leaders communautaristes en quête de reconnaissance et de pouvoir les leur servent sur un plateau.
Depuis l’épisode des caricatures de Mahomet et le retentissant procès qui suivit, Charlie Hebdo est sous une surveillance médiatique presque constante. Qu’on ose publier une couverture représentant le Prophète ou même un personnage qui pourrait être pris pour lui, et c’est parti ! Le dessin en question sera présenté comme la « nouvelle provocation de Charlie Hebdo ». Et si la télé décide que c’est une provocation, il y a toujours une bande d’abrutis pour s’estimer provoqués. Que la presse titre « scandale » et il y aura des scandalisés.
Qui sont les islamophobes ? Ceux qui prétendent que les musulmans sont suffisamment cons pour s’enflammer à la vue d’un dessin grotesque. Un dessin qu’ils n’ont pu voir massivement que parce qu’il a été montré sur toutes les chaînes… L’islamophobie n’est pas simplement un marché pour ceux qui font profession de la dénoncer, c’est un marché pour la presse qui la promeut.
***** La politique au service de l’islamophobie *****
Les journalistes ne sont pas les seuls à voir des musulmans là où il faudrait voir des citoyens. Trop de politiques jouent également contre la république en flattant le croyant supposé plutôt que le citoyen. Le communautarisme, que tout le monde dénonce dans les discours, est encouragé dans les faits.
Juste un exemple, inattendu puisque c’est un président de la République socialiste qui en est la vedette. Le 18 février 2014, François Hollande s’est rendu à la Grande Mosquée de Paris pour inaugurer un mémorial en l’honneur des combattants musulmans morts pour la France entre 1914 et 1918. On peut comprendre que le président fantasme quant à l’existence d’un électorat musulman, car les socialistes sont persuadés qu’il existe un « électorat musulman ». C’est-à-dire que la majorité des musulmans ne déterminerait pas son vote en fonction des idées politiques des candidats, mais en fonction du degré de sympathie que ces derniers témoignent aux musulmans. Cette idée suppose que les musulmans, prisonniers de leur identité musulmane, ne peuvent réfléchir autrement qu’en tant que musulmans. Penser cela, c’est tout simplement prendre les musulmans pour des cons. Ou pour des spaghettis trop cuits. Pour les socialistes, si tu plonges la fourchette dans le plat de musulmans et que tu tires, il y a tout qui vient. Ça fait bloc. Encore une fois, les musulmans sont considérés comme des musulmans avant d’être considérés comme des citoyens. Pourtant, ça, ce ne serait pas de l’islamophobie…
Que les responsables du culte musulman rendent hommage aux musulmans morts lors de la Première Guerre mondiale, c’est tout à fait normal. Mais qu’un président de la République rende hommage aux musulmans « morts pour la France », c’est absurde. Les peuples indigènes, les colonisés, les exploités, les esclavagisés qui ont été, pour la majorité d’entre eux, raflés et enrôlés de force ne sont pas morts pour la France en tant que musulmans. Ils sont morts en tant que chair à canon à bas coût. Et, s’ils sont bien morts pour la France, ce n’était pas un choix de leur part. Ils sont morts à cause de la France, ils sont morts pour défendre un pays qui avait volé le leur. Hollande les honore en tant que héros, alors qu’ils sont avant tout des victimes. Devant eux, ils avaient les balles allemandes, derrière eux, les baïonnettes françaises.
Dans le tas des 100 000 morts indigènes de 14-18 que l’on prétend musulmans, il serait étonnant de trouver un combattant engagé pour défendre les valeurs de l’islam… Des Poilus musulmans auraient fait le djihad pour le compte de la France ? Camarades socialistes, il ne faut peut-être pas prendre les colonisés d’hier pour les imbéciles d’aujourd’hui. Que la République élève un monument aux indigènes qu’elle a fait assassiner plutôt que d’inventer des combattants musulmans morts pour la France !
Car, enfin, Hollande s’est-il bien rendu compte du grotesque de la situation ? Il s’est recueilli sur le mémorial des combattants musulmans, pourquoi demain ne se recueillerait-il pas sur le mémorial des combattants athées, des combattants homosexuels, des combattants végétariens, des combattants albinos, des combattants francs-maçons, des combattants chrétiens orthodoxes, des combattants juifs sépharades, des combattants pacifistes, des combattants turfistes, des combattants qui croient que le Soleil tourne autour de la Terre…
La France est un salami que le PS a la fâcheuse tendance à découper en tranches communautaires. Et ce n’est pas par respect pour ces supposées communautés, mais par calcul électoraliste. Trop d’associations cultuelles étiquettent d’office « musulmans » des immigrés qui ne demandent rien d’autre que d’être traités comme des citoyens. Soit parce qu’ils ne sont pas musulmans, soit parce qu’ils n’ont pas besoin du soutien d’associations plus ou moins représentatives pour vivre leur foi.
Que Hollande joue le jeu des boutiquiers de la foi laisse pantois. Évidemment, aucun journaliste, aucun militant de la lutte contre l’islamophobie n’a critiqué le geste du président. Que les musulmans ne soient vus que comme des musulmans, c’est au fond ce qu’ils veulent tous.
Cela fait plus de trente ans que le Parti socialiste promet le droit de vote aux étrangers. C’était un engagement de campagne de François Hollande. Élu, le président a déclaré à plusieurs reprises qu’il y était favorable. Et il a attendu que le Sénat rebascule à droite pour déplorer, le 15 décembre 2014, lors de son discours d’inauguration du musée de l’Histoire de l’immigration, que l’opposition était contre cette réforme. Ouvrir le droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections locales nécessite une révision de la Constitution à laquelle les trois cinquièmes des parlementaires doivent être favorables. François Hollande a-t-il ouvert un débat national sur la question ? Non. Il estime qu’il est moins risqué politiquement de rendre hommage à des « musulmans » morts pour la France que de se battre pour accorder aux immigrés qui participent à la vie du pays un droit légitime.
Cette élite qui infantilise les musulmans au nom de la lutte contre l’islamophobie----------------
Mais pourquoi les dessinateurs de Charlie Hebdo, qui savent que leurs dessins pourront être instrumentalisés par les médias, par les boutiquiers de l’islamophobie, par l’extrême droite musulmane ou par l’extrême droite nationaliste, s’entêtent-ils à caricaturer Mahomet ou à mettre en scène des symboles « sacrés » de l’islam ?
Tout simplement parce que les caricatures de Charlie Hebdo ne visent pas l’ensemble des musulmans. Et si, à la suite d’une surmédiatisation, l’ensemble des musulmans ont accès à ces dessins ? Les dessinateurs de Charlie Hebdo estiment que tous les musulmans ne sont pas intolérants au second degré. En vertu de quelle théorie tordue l’humour serait-il moins compatible avec l’islam qu’avec n’importe quelle autre religion ? Dire que l’islam n’est pas compatible avec l’humour est aussi absurde que prétendre que l’islam n’est pas compatible avec la démocratie ou avec la laïcité…
Si on laisse entendre qu’on peut rire de tout, sauf de certains aspects de l’islam parce que les musulmans sont beaucoup plus susceptibles que le reste de la population, que fait-on, sinon de la discrimination ? La deuxième religion du monde, la prétendue deuxième religion de France, ne devrait pas être traitée comme la première ? Il serait temps d’en finir avec ce paternalisme dégueulasse de l’intellectuel bourgeois blanc « de gauche » qui cherche à exister auprès de « pauvres malheureux sous-éduqués ». Moi, qui suis éduqué, évidemment, je comprends que Charlie Hebdo fait de l’humour, puisque, d’une part, je suis très intelligent et, d’autre part, c’est ma culture. Mais, par respect pour vous, qui n’avez pas encore découvert le second degré, je fustigerai solidairement ces dessins islamophobes que je ferai semblant de ne pas comprendre. Je me mettrai à votre niveau pour vous montrer que je vous aime… Et s’il faut que je me convertisse à l’islam pour être encore plus proche de vous, je le ferai ! Ces démagogues ridicules ont juste un énorme besoin de reconnaissance et un formidable fantasme de domination à assouvir.
Les héros de la lutte contre la prétendue islamophobie de Charlie Hebdo
Les poursuites judiciaires clownesques
D’abord, il y a M. Zaoui Saada. Ce n’est sans doute pas le plus médiatisé de nos détracteurs, mais c’est le plus pugnace. Il est à la tête (à la fois président et secrétaire général) de l’Organisation arabe unie, qui elle-même est une « branche organe » du Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès. Oui, tout ça.
Il s’est fait connaître en 2006 en poursuivant Charlie Hebdo en justice pour « délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance à une nation, à une religion déterminée, de provocation aux crimes et délits ». Reprenez votre souffle, ce n’est pas tout. Il nous poursuivait également pour « injure à la mémoire du prophète Mahomet, injure directe à la communauté musulmane ». Ces poursuites faisaient évidemment suite à la publication des caricatures danoises de Mahomet. Il réclamait 200 000 euros pour chacune de ses associations et 20 000 euros à titre personnel pour « préjudice moral ». C’est vrai qu’en tant que très proche du Prophète il avait sans doute été plus affecté que n’importe quel autre musulman par l’insupportable violence de la douzaine de dessins humoristiques… M. Zaoui Saada ne gagna rien, à part quelques lignes dans la presse.
En décembre 2012, M. Zaoui Saada fit de nouveau parler de lui en poursuivant Charlie Hebdo pour la publication, dans son édition du 19 septembre de la même année, de plusieurs dessins se moquant à la fois de L’Innocence des musulmans, ce « film » anti-islam diffusé sur Internet, et de la réaction excessive de certains musulmans à ce lamentable navet. Sous le titre Intouchables 2, le dessin de couverture de ce numéro de Charlie représentait un musulman dans un fauteuil roulant poussé par un juif religieux. Cettefois-ci, les deux associations de M. Zaoui Saada et M. Saada lui-même
réclamaient un total de… 782 000 euros. Tous les dessins où il était question de près ou de loin du Prophète étaient poursuivis, y compris un dessin se moquant du réalisateur de ce film anti-islam. De même qu’un dessin absurde représentant un salafiste furieux qui montre Bugs Bunny en s’exclamant : « Encore une représentation insultante de notre prophète ! » Étant donné la publicité que nous avaient faite les indignés professionnels, une seconde édition de Charlie avait dû être imprimée et mise sur le marché le vendredi. Oui, le jour sacré pour les musulmans. Croyez-le ou non, M. Saada se servit aussi de cet argument pour justifier ses poursuites…
Le jour du procès, M. Saada, représenté par son avocat, ne s’est pas déplacé devant la 17echambre du tribunal correctionnel de Paris. En effet, on pouvait comprendre que M. Saada, « conseiller en gestion » dans le civil, était retenu ailleurs. En prison, pour être exact. Soupçonné de tentative d’extorsion de fonds sur la personne d’un chef d’entreprise retraité de Jonzac(Charente-Maritime), M. Saada se trouvait en détention provisoire… Lors de la deuxième audience devant la 11e chambre de la Cour, l’avocat de M. Saada ne daigna même pas se présenter. On imagine la déception du milliard et quelques de musulmans offensés par les dessins de Charlie Hebdo que M. Saada prétendait représenter…
Autre pourfendeur notoire de Charlie Hebdo, le fameux Karim Achoui. Un avocat radié du barreau en 2012 et très régulièrement désigné comme « l’avocat du milieu » par une presse bourgeoise qui oublie que même la pègre a le droit d’être défendue. C’est sur le tard que Karim Achoui, privé de sa principale source de revenus, s’est intéressé à la défense de l’islam. En 2013, il fonde la Ligue de défense judiciaire des musulmans (LDJM), une association dont le but est de lutter contre l’islamophobie. Il se dit alors entouré d’une centaine de juristes et d’avocats. Il se vantera même d’avoir été rejoint par l’ancien ministre Roland Dumas sans que jamais l’intéressé ne s’exprime publiquement sur cet engagement.
Dès la création de son association, dont il semble être l’unique voix, il annonce qu’elle attaquera
Charlie Hebdo pour incitation à la haine raciale. Le 9 août 2013 sur le site de Marianne, Achoui décrira son action comme « un combat communautaire pour des libertés individuelles ».
Sa cible : la une de Charlie Hebdo du 10 juillet 2013, dessinée par Riss. Le dessin illustrait les violences de l’armée égyptienne contre les Frères musulmans. On y voyait un islamiste tentant, en vain, de se protéger de tirs avec un Coran. Le Coran ainsi que l’homme étaient transpercés par les balles. Le texte disait : « Le Coran, c’est de la merde, ça n’arrête pas les balles. » Face à la violence physique, confronté à la mort, le croyant qui cherchait à imposer sa vision de la religion à tout un peuple réalise tragiquement que Dieu n’est pas si puissant que ça. Évidemment, ce n’est pas ce que M. Achoui a choisi de comprendre. Il n’a retenu que « le Coran, c’est de la merde ». Et il ne s’appuiera que sur cette phrase, volontairement retirée de son contexte et prise au premier degré, pour entamer des poursuites judiciaires. Un bon combattant contre l’islamophobie doit parfois se faire plus bête qu’il n’est.
En tant que directeur de la publication de Charlie Hebdo, je reçus pour le même dessin deux convocations dans deux juridictions différentes et pour deux plaintes distinctes. Devant le tribunal de grande instance de Paris, j’étais poursuivi pour incitation à la haine en raison de l’appartenance religieuse, et devant le tribunal correctionnel de Strasbourg pour blasphème. Le droit particulier à l’Alsace et à la Moselle permet en effet à des plaignants de poursuivre des citoyens pour blasphème dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Un dessin « raciste » à Parispeut-il être blasphématoire à Strasbourg ? En théorie, oui. Et en pratique aussi.
L’article 166 du Code pénal local dit : « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnus comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus. »
Comment est-ce possible dans une république laïque ? En 1905, l’Alsace-Moselle échappe à la loi de séparation des Églises et de l’État, car le territoire est alors allemand. En 1919, lorsque la France récupère l’Alsace-Moselle, annexée par l’Allemagne de Bismarck en 1871, rien n’est fait pour adapter le droit local au droit français. Les salaires des prêtres, des pasteurs et des rabbins sont financés par l’État, et l’entretien des bâtiments religieux, catholiques, protestants et juifs, est assuré par les collectivités locales. De plus, l’« instruction religieuse » est obligatoire à l’école.
Karim Achoui a bien noté que l’islam ne fait pas partie des religions prises en compte par le droitd’Alsace-Moselle, jamais réformé depuis 1871. La logique voudrait que l’islam, censé être aujourd’hui la deuxième religion de France, soit considéré par la loi d’Alsace-Moselle au même titre que le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme. L’objectif principal de Karim Achoui en attaquant Charlie Hebdo à Strasbourg n’était pas de faire condamner le journal, mais de pointer l’incohérence du droit local. Karim Achoui n’a pas caché sa volonté de se servir de ce procès contre
Charlie Hebdo, qu’il savait perdu d’avance, pour soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) auprès du Conseil constitutionnel. Son but, annoncé sur le site communautaire Oumma.com, étant de « réformer, refonder la loi de 1905 », qui selon lui « est une insulte à 5 ou 10 millions de musulmans en France ». Pas plus le droit alsacien et mosellan que la loi sur la laïcité ne considèrent l’existence des musulmans, il faut donc débattre d’une nouvelle loi qui prendrait en compte la foi de ces millions de croyants… C’est du moins ce que j’ai compris…
Nous n’aurons pas la chance d’avoir un débat avec la LDJM devant un tribunal, ni à Paris ni à Strasbourg, puisque ce collectif de grands avocats n’a pas réussi à fournir aux tribunaux concernés les pièces nécessaires, ni même à se rendre aux convocations des juges. Dommage. Notre avocat aurait bien aimé, lui aussi, pointer du doigt l’absurdité des lois d’Alsace-Moselle concernant les cultes et réclamer leur abrogation. Karim Achoui a fait beaucoup de mousse pour rien. Il a tout de même réussi à se faire élire « personnalité de l’année 2013 » par les lecteurs du site Oumma.com !
Hélas, croire en Dieu est moins décevant que croire en Karim Achoui… La dernière fois que j’ai visité le site Internet de la LDJM, il était encore en chantier. Elle n’est visiblement pas plus douée en droit qu’en informatique. Et le compte Facebook de la fameuse ligue ? Une publicité à la seule gloire de l’avocat radié du barreau.
Les associations qui se trompent de cible d’indignation------------------------------
Et que dire des signataires de cette pétition rédigée au lendemain de l’incendie des locaux de Charlie Hebdo, et qui suivit la publication du numéro renommé Charia Hebdo ? Une pétition intitulée : « Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo ! » L’attentat dont fut victime
Charlie en 2011 avait été particulièrement médiatisé et largement condamné, y compris par Marine Le Pen (ce qui, heureusement, ne l’empêcha pas quelques mois plus tard de nous attaquer une fois de plus en justice). Trop largement au goût d’une poignée de journalistes, sociologues, membres du Parti des indigènes de la République ou du Collectif contre le racisme et l’islamophobie.
Leur texte commence ainsi : « Nous affirmons : qu’un cocktail Molotov lancé la nuit dans des locaux vides et n’occasionnant que des dégâts matériels ne mérite pas une mobilisation médiatique et politique supérieure à celle, pour le moins discrète, qu’occasionne l’incendie ou la mise à sac d’une mosquée ou d’un cimetière musulman. » Que répondre à cela ? Ces braves gens ont parfaitement raison sur le fond. Juste une petite précision sur les faits : l’incendie a été déclenché par deux engins incendiaires, le même jour le site Internet de Charlie Hebdo était piraté par un islamiste turc et la rédaction recevait une pluie de menaces de mort.
Ce qui ne va pas dans le texte des indignés, c’est le titre. Il laisse entendre que soutenir Charlie Hebdo, c’est aller à l’encontre de la liberté d’expression. Parmi ceux qui ont fait part de leur soutien à
Charlie Hebdo, tous, évidemment, ne soutenaient pas la ligne éditoriale du journal, mais un organe de presse indépendant attaqué dans un pays à peu près démocratique. Ce n’est pas Charlie Hebdo qui était défendu, mais le principe même de la liberté d’expression. Certes, les mosquées sont des lieux bien connus pour leur liberté d’expression, et les cimetières musulmans sont des endroits où l’on débat des grands sujets d’actualité. Charlie Hebdo était coupable de n’être ni une mosquée ni un cimetière musulman. « Il est une liberté d’expression qui est bel et bien menacée, et même plus d’une, poursuit l’appel : celle pour commencer des femmes qui voudraient s’habiller comme bon leur semble, sans qu’un État national-laïque leur impose par la loi un dress-code de bonne musulmane cheveux aux vents. » Le texte défend également les SDF, les chômeurs, les précaires, « les perpétuels recalés de
l’espace public officiel ». Pour faire avaler cet indigeste gloubi-boulga qui cherche à opposer la liberté des uns aux libertés des autres, il fallait une pincée de discours social. Il ne masque hélas pas le goût de la propagandiste cucuterie islamiste.
Ce vaillant collectif de Zorros de l’islam qui critique avec raison la presse bourgeoise a oublié de noter que cette dernière parlait largement plus des femmes voilées agressées dans la rue que des kiosquiers menacés parce qu’ils vendent Charlie Hebdo. Qu’ils se rassurent, leur conception de la liberté d’expression est en passe de l’emporter, des marchands de journaux préférant dissimuler Charlie pour éviter les ennuis que de le vendre…
******** Tête d’affiche ****************
N’oublions pas, dans un autre registre, Al-Qaïda. Ou plutôt Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), qui publie depuis 2010 en ligne et en anglais un magazine à destination des jeunes militants occidentaux, appelé Inspire. C’est notamment dans ce magazine que les deux jeunes Tchétchènes qui ont commis l’attentat à la bombe de Boston, le 15 avril 2013, ont trouvé la recette de l’explosif. Car le journal ne se contente pas d’inciter les benêts musulmans occidentaux à tuer des infidèles, il livre aussi quelques conseils pratiques. Prenez quelques planches dans lesquelles vous plantez en vrac de longs clous. Ensuite, rendez-vous sur une passerelle qui surplombe une autoroute. Balancez le bricolage sur les voies et constatez le résultat : des amas de ferraille et des morts au nom d’Allah. Vous venez de faire vos premiers pas dans le djihad. Véridique. Il y a plein d’autres trucs et astuces qu’il serait trop long de recenser ici.
Dans son édition de mars 2013, Inspire publie une affiche où figurent onze noms de personnalités accusées de « crimes contre l’islam » et recherchées « mortes ou vives ». J’y trouve mon nom, mal orthographié mais accompagné d’une photo où l’on peut reconnaître ma gueule effarée. Il s’agit d’une photo parue dans la presse, prise le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo. Amusant. Sur cette affiche, je suis en plus ou moins bonne compagnie. Il y a l’incontournable Salman Rushdie, le leader de l’extrême droite néerlandaise Geert Wilders, Flemming Rose, le rédacteur en chef des pages culturelles du quotidien danois Jyllands-Posten, à l’initiative duquel furent publiées les caricatures de Mahomet, Terry Jones, un pasteur américain complètement taré qui a brûlé des corans, et d’autres heureux lauréats… Afin que les givrés à qui cette publication s’adresse comprennent bien ce qu’on attend d’eux, un flingue fumant est représenté à gauche de la tête du pasteur nazi, à sa droite une tache de sang. L’habile montage est titré « YES WE CAN » et en dessous on peut lire : « A bullet a day keeps the infidel away » (« Une balle par jour éloigne l’infidèle »). Et enfin : « Défends le Prophète Mohamed paix sur lui. »
La lutte contre l’islamophobie peut prendre des formes bien différentes (et je préfère de loin les foireuses actions de Karim Achoui, même si Inspire maîtrise mieux l’humour !), mais le but est le même : empêcher l’infidèle de blasphémer. Oui, je sais, c’est malhonnête de mettre sur le même plan des citoyens qui nous attaquent en justice et des criminels qui nous menacent de mort. Mais si cette exagération peut faire comprendre à ceux qui comparent Charlie Hebdo à un journal raciste que faire des amalgames honteux est facile, tout ne sera pas perdu…
L’effet papillon de la liberté d’expression
On oppose un autre argument à la liberté d’expression des dessinateurs de Charlie Hebdo : ce que vous dessinez dans votre journal vendu à trois exemplaires en France sera, par la magie des réseaux sociaux, vu par des millions d’internautes musulmans. Le battement d’ailes d’un petit dessin ici peut déclencher une tempête de haine à l’autre bout du monde… Lorsqu’on s’exprime, désormais, il faut avoir à l’esprit qu’on s’adresse, qu’on le veuille ou non, à toute la planète. Il faut être prudent. Il faut être responsable.
********************************************** Du respect érigé en principe premier*******************************************
En septembre 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, alors en visite au Caire, qualifiaient Charlie Hebdo d’irresponsable parce que plusieurs dessins traitaient du grotesque film L’Innocence des musulmans, dont nous avons déjà parlé, diffusé sur Internet, et des manifestations de colère qu’il avait suscitées dans « le monde musulman ». À leur suite, de nombreuses personnalités politiques et religieuses ont déploré l’irresponsabilité de
Charlie Hebdo. Se moquer de ce film débile, se moquer de la réaction disproportionnée d’une poignée de musulmans en colère ainsi que de la surmédiatisation de l’événement, et tout ça en quelques coups de crayon publiés dans un journal français vendu exclusivement en kiosques, c’était « mettre de l’huile sur le feu ».
Les chaînes de télé diffusaient des interviews d’expatriés français qui rendaient Charlie Hebdoresponsable des menaces pesant sur eux et leur famille. La sécurité des ambassades de France dans les pays dits musulmans fut renforcée, des écoles françaises à l’étranger furent fermées quelques jours…
Charlie Hebdo était devenu plus dangereux qu’Al-Qaïda. Mieux, Charlie Hebdo justifiait l’existence des groupes terroristes qui se réclament de l’islam. Des dessins vite qualifiés d’islamophobes légitimaient l’action d’assassins. La provocation venait de Charlie Hebdo, il était normal de s’attendre à des réactions violentes.
Le journal, qui respecte autant que possible les lois françaises sur la presse, était d’un coup sommé, y compris par des ministres français, de respecter des lois internationales et non écrites promulguées par quelques tarés prétendument musulmans.
Quelles conclusions faut-il tirer de cet épisode ? Qu’il faut céder aux pressions des terroristes ? Qu’il faut aligner les lois françaises sur la charia ? Mais quelle version ? La plus sévère, évidemment. Ça limite les risques.
Et si demain un terroriste qui se revendique du bouddhisme ravage la planète, on nous demandera de ne surtout pas mettre en scène les acteurs de cette violence, de peur de déclencher la fureur des bouddhistes du monde entier. Et si après-demain un terroriste végétarien menace de mort tous ceux qui prétendent que manger de la viande réjouit les papilles, il faudra respecter les carottes comme on exige de nous de respecter la confrérie des prophètes des trois monothéismes.
On nous demande de respecter l’islam, mais ce n’est pas respecter l’islam que d’en avoir peur (même si ce n’est pas un crime que d’en avoir peur). Ce n’est pas respecter l’islam que de confondre l’islam et le terrorisme islamique.
Que font ceux qui hululent dès qu’est publié dans Charlie Hebdo un dessin qui met en scène un terroriste se réclamant de l’islam ? Ils laissent entendre qu’en caricaturant un terroriste islamiste le dessinateur a voulu symboliser tous les musulmans. Il suffit que le terroriste soit identifiable comme musulman, c’est alors de tout l’islam que se moque le dessinateur. Si on dessine un djihadiste dans ses œuvres de djihadiste, c’est le milliard de croyants qu’on traîne dans la boue. Lorsqu’on représente un Mahomet qui dénonce les extrémistes de sa religion, on insulte tous les musulmans. Le terroriste doit être dépouillé de tous les éléments qui peuvent faire penser qu’il est musulman, et, quant à Mahomet, il est tout simplement interdit de le représenter. Si dessiner de manière grotesque un terroriste islamiste, c’est islamophobe, cela revient à dire que tous les musulmans sont des terroristes ou qu’ils sont solidaires avec ces derniers.
Celleux qui accusent les dessinateurs de Charlie Hebdo d’islamophobie chaque fois qu’un personnage porte une barbe ne sont pas seulement malhonnêtes ou de mauvaise foi gratuitement, iels montrent leur soutien à l’égard de l’islam dit radical. Lorsqu’on dessine un vieux qui commet un acte pédophile, on ne jette pas l’opprobre sur tous les vieux, on ne laisse pas entendre que tous les vieux sont pédophiles (ni l’inverse), et, d’ailleurs, à part de très rares imbéciles, personne ne reprocherait ça aux dessinateurs de Charlie Hebdo. Ce qui a été dessiné, c’est un vieux pédophile, rien d’autre.
La une du numéro de Charlie Hebdo de 2006 consacrée aux caricatures danoises et signée Cabu est un exemple magnifique. Un barbu enturbanné se prend la tête à deux mains. Il rage ou il pleure. Les deux peut-être. Dans une bulle, il dit : « C’est dur d’être aimé par des cons… » Le titre qui surplombe le dessin précise : « Mahomet débordé par les intégristes ». Mahomet se plaint de l’attitude des intégristes, c’est explicite, pourtant Charlie Hebdo sera violemment critiqué pour avoir laissé entendre que tous les fidèles du prophète de l’islam étaient des cons… Les dessins de Charlie Hebdo ne sont pas simplement lus de travers par des analphabètes, ils sont redécoupés par de gros malins dans le but d’en mutiler le sens.
Puisque, selon eux, Charlie Hebdo est un journal islamophobe et, donc, raciste, il est devenu courant que nos détracteurs transforment un dessin afin de le rendre conforme à l’idée qu’ils se font du journal. Il a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux un dessin d’octobre 2013, signé Charb, représentant Taubira avec un corps de singe. Si le dessin était bien de moi, il en manquait l’essentiel. Réalisé pour dénoncer l’attitude d’une tête de liste du FN aux municipales qui avait sur son compte Facebook accolé la photo d’un singe à celle de la ministre de la Justice, ce dessin était titré « Rassemblement Bleu Raciste » et en bas à gauche figurait une flamme tricolore… Les deux mentions avaient été enlevées de cette parodie d’affiche du FN. Par qui ? Le premier à faire circuler le dessin sans le texte ni la flamme est le chanteur Disiz en 2013.
Disiz avait participé à une chanson de rap qui accompagnait la sortie du film La Marche, s’inspirant librement de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Treize rappeurs ont participé à l’écriture de cette chanson. Parmi eux Akhenaton, Kool Shen, Soprano, Nekfeu… C’est ce dernier qui composa le couplet suivant : « D’t’façon y a pas plus ringard que le raciste/Ces théoristes veulent faire taire l’islam/Quel est le vrai danger : le terrorisme ou le taylorisme ?/Les miens se lèvent tôt, j’ai vu mes potos taffer/Je réclame un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo. »
Charlie Hebdo a été incendié en 2011 alors qu’il publiait un numéro intitulé Charia Hebdo pour se moquer du risque d’instauration de la charia en Tunisie et en Libye. Nekfeu appelait donc poétiquement à incendier de nouveau le journal pour des raisons religieuses… Charlie Hebdo a répondu à Nekfeu, mais c’est Disiz qui rétorqua avec un dessin truqué sur Instagram que Charlie Hebdo, journal bien connu pour son islamophobie, était aussi un journal raciste. La polémique s’est terminée par une amusante sortie de Disiz, toujours sur Instagram, à l’attention des dessinateurs de Charlie Hebdo : « Même si vous étiez muets je vous couperai la parole, vous voulez savoir comment je ferai ? Eh bien je vous couperai les mains […]. »
Il s’est passé une chose similaire avec un ex-collaborateur de Charlie Hebdo qui fait désormais profession de dénoncer le caractère raciste du journal (évidemment depuis le jour où il en est parti) avec une mauvaise foi extraordinaire. Lui aussi trouva utile pour appuyer ses propos de publier des dessins retirés de leur contexte. Ainsi, un dessin mettant en scène un (véritable) islamiste belge particulièrement toqué, dont une journaliste de Charlie avait fait un long portrait, était isolé et dénoncé comme un dessin mettant en scène le « musulman type ».
Quel est l’intérêt pour des gens qui semblent sincères dans leur lutte contre le racisme de faire passer un journal comme Charlie Hebdo pour raciste ? Un journal qui défend le vote des immigrés, la régularisation des sans-papiers, les lois antiracistes… Ne devrions-nous pas être dans le même camp ? Oui. Mais c’est oublier que ce n’est pas la lutte contre le racisme qui intéresse vraiment ces gens, mais la promotion de l’islam.
Prudence et lâcheté au service de l’islamophobie
Heureusement, tout le monde ne fait pas preuve de la même irresponsabilité que Charlie Hebdo face au risque de se faire traiter d’islamophobe ou de blasphémateur. Prenons l’exemple de l’édition 2012 du festival de création contemporaine de Toulouse, appelé Printemps de septembre. L’artiste marocain Mounir Fatmi présentait son œuvre Technologia, une vidéo projetée sur le Pont-Neuf et dans laquelle apparaissaient des versets du Coran. Parce que des « textes sacrés », des sourates du Coran, ont été projetés (accidentellement,paraît-il) sur le sol du Pont-Neuf, un groupuscule se revendiquant musulman a protesté, au prétexte qu’il était insultant pour leur religion de fouler aux pieds des versets du texte sacré. Une passante aurait d’ailleurs été frappée pour avoir marché dessus. Un imam est intervenu pour rétablir le calme, et une dizaine de cars de police ont pris position à proximité du sacrilège.
L’artiste n’en est pas revenu : « Cette installation, hommage à mon héritage arabo-musulman,qui est achetée et présentée par le musée d’art contemporain de Doha, au Qatar, n’avait jamais posé de problème jusqu’ici. » Après une réunion de crise à la mairie, à laquelle ont participé des représentants musulmans, l’artiste a décidé de remballer : « Les conditions d’exposition de ma pièce ne sont pas réunies et elles nuisent à sa lisibilité, et surtout à sa compréhension, je préfère la suspendre. » Dans le même temps, le directeur du Printemps de septembre, Paul Ardenne, pétochait : « Dans le contexte actuel hypersensible, c’est mieux ainsi. »
En cédant à une extrême minorité qui ne représente qu’elle-même, on reconnaît son autorité. Ces radicaux confisquent la parole de l’islam, et tout le monde laisse entendre qu’ils ont raison. L’islam en France, ce ne sont donc plus des millions de croyants qui ne font chier personne en pratiquant ou non leur culte, c’est officiellement une poignée d’aboyeurs. Et la faute n’en revient pas aux musulmans, mais aux abrutis de bourgeois planqués, terrifiés par l’idée qu’ils se font des musulmans. Ils seraient très intolérants et très sensibles à toute parole, tout acte qui pourrait être interprété comme islamophobe.
Qu’ont en commun l’œuvre de Mounir Fatmi et les caricatures de Charlie ?
Les réactions indignées d’une poignée de connards.
De grands intellectuels terrorisés, de vieux clowns moralistes, des journalistes demeurés se sont demandé sérieusement si publier des caricatures de Mahomet « dans le contexte » était bienvenu… À Toulouse, une œuvre artistique qui ne contrevenait en rien aux règles de l’islam a été annulée parce qu’elle était potentiellement islamophobe. Il ne s’agit donc plus de disserter sur les limites de la liberté d’expression. Il ne s’agit pas de disserter sur tel dessin pour savoir s’il est de bon goût ou de mauvais goût… Les censeurs n’en veulent pas du tout, de cette pute de liberté d’expression ! Pas du tout ! Mais ils ont raison de manifester leur barbare bêtise, puisque ça fonctionne. L’autocensure est en passe de devenir un art majeur en France.
Mounir Fatmi a eu peur que son œuvre ne soit pas comprise… Mais par qui ? Ces gueulards ne comprendront jamais rien, il n’y a rien à leur expliquer ! Tant que le plus con des talibans ne sera pas en mesure de comprendre mon art, je me refuse à l’exprimer, c’est ça ? Le Coran n’est pas que le livre saint des musulmans, c’est aussi un livre (libre de droits), patrimoine de l’humanité.
Laisser entendre que seuls les imams et les fidèles peuvent évoquer le Coran, le Prophète ou Dieu, sans tomber dans l’islamophobie, c’est faire le jeu des islamistes les plus radicaux. Et, en ne relayant que la parole d’extrémistes, que fait-on, sinon créer chez les gens une détestation de l’islam ?
Les catholiques, jaloux
Le terme « islamophobie » est devenu tellement populaire que l’extrême droite catholique, qui voit dans l’islam à la fois une « fausse religion » et une concurrence inacceptable, tente de s’emparer du concept. Dans les manifestations contre certaines pièces de théâtre mettant Jésus en scène de manière non conforme au droit canon et dans les défilés contre le mariage pour tous, on a entendu des slogans dans lesquels était dénoncée la « cathophobie ». Comme il y a une islamophobie et des islamophobes, pourquoi en effet n’y aurait-il pas une cathophobie et des cathophobes ?
Pour avoir mis de très nombreuses fois Jésus, le pape, les saints et tout le matériel liturgique en images, Charlie Hebdo a été poursuivi une bonne douzaine de fois par une association de catholiques intégristes qui a longtemps été proche du Front national : l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne. L’AGRIF se bat contre le racisme… Le racisme antiblanc et antichrétien. Charlie Hebdo a été accusé par cette association, entre autres choses, de racisme antifrançais. Comment se manifeste le racisme antifrançais pour des catholiques intégristes ? C’est simple : en dessinant la Sainte Vierge dans des positions qui n’avaient jamais été évoquées dans sa biographie officielle, nous insultions la France. En effet, depuis que Louis XIII a consacré sa personne et son pays à la Mère de Dieu, la France et la Vierge sont indissociables. Se moquer de la Vierge, c’est se moquer de la France et de tous les Français.
C’était avant l’invention de l’islamophobie. Aujourd’hui, les dessinateurs et les rédacteurs deCharlie Hebdo sont moins des racistes antifrançais que des cathophobes. Si ça marche avec les musulmans, on ne voit pas pourquoi ça ne marcherait pas avec les catholiques et, plus généralement, avec les chrétiens. Oui, la christianophobie est un des maux qui rongent la « fille aînée de l’Église » (pas vraiment, puisque ce n’est pas le royaume de France qui le premier devint chrétien, mais celui d’Arménie).
Lorsque, le 29 octobre 2011, les catholiques intégristes de l’association Civitas ont fait aboutir leur manifestation nationale contre la christianophobie devant le Théâtre de la Ville, à Paris, pour protester contre la représentation de la pièce de Romeo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu, jugée par eux blasphématoire, ils ont été rejoints par une poignée de musulmans solidaires. Il était amusant de voir (j’y étais) les nombreux catholiques de Civitas chanter à genoux et dans les gaz lacrymogènes « Je vous salue Marie, pleine de grâce » à gauche du théâtre, tandis que sur le terre- plein de la place du Châtelet des barbus les encourageaient avec des banderoles réclamant notamment qu’on ne « touche pas à Issa », le nom de Jésus en arabe. Si pour les musulmans Jésus n’est pas le fils de Dieu, il est tout de même un prophète important. Le problème, c’est que les militants de Civitas étaient séparés de leurs amis musulmans par un cordon de CRS, ce qui empêchait tout contact. Une vague inquiétude s’est emparée des chrétiens priant lorsqu’ils virent ces barbus musulmans. Beaucoup n’ont pas compris qu’ils étaient là pour soutenir leur action et se sont interrogés à haute voix sur les raisons de la présence de ces « bougnoules ». N’étaient-ils pas hostiles ? Non, ils ne l’étaient pas. Mais les propos entendus ce jour-làde la part de certains catholiques intégristes étaient moins « islamophobes » que tout simplement racistes. Passons. L’extrême droite catholique n’a pas besoin du soutien des musulmans intégristes, elle a juste besoin de leur vocabulaire. Si l’islam a récupéré quelques figures du christianisme pour asseoir sa légitimité, les catholiques intégristes, des siècles plus tard, récupèrent les astuces propagandistes de leurs pendants musulmans.
Toute victoire des musulmans intégristes dans leur lutte contre l’islamophobie est attendue à la fois avec gourmandise et jalousie par les catholiques intégristes. Lorsque, les 7 et 8 février 2007, s’est tenu à Paris le procès que trois associations musulmanes intentaient à Charlie Hebdo pour avoir republié les caricatures danoises, un seul témoin a été cité par les plaignants : un prêtre catholique. Des alliances sont possibles.
Les catholiques intégristes, mais aussi d’autres, réputés plus modérés, ruminent depuis 1905 l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État et rêvent d’une revanche. Ce qu’une jurisprudence accorderait aux musulmans, elle l’accorderait également aux autres croyants.
Les termes « cathophobe » et « christianophobe » n’ont pas encore le succès médiatique de celui d’« islamophobe », parce qu’il y a une réelle différence entre les actes antimusulmans et les actes qui seraient antichrétiens. Les actes antimusulmans sont beaucoup plus nombreux, alors qu’il y a moins de musulmans que de chrétiens en France. Et il est difficile de citer des discriminations à l’encontre de chrétiens en raison de leur appartenance religieuse… Mais il ne faut pas désespérer, c’est à force de rabâcher des mensonges qu’on finit par imposer une vérité.
Et la judéophobie ?
Il ne manque plus aux juifs intégristes que d’entrer dans la danse. Il existe bien « judéophobie », mais le terme est trop ambigu. On ne sait s’il désigne la haine du Juif en tant qu’il est né de parents juifs, qu’il est de culture juive ou qu’il appartient au peuple juif, et le juif, en tant qu’il est un adepte de la religion juive. Oui, les Juifs/juifs font chier. Les juifs n’ont qu’un mot pour désigner deux choses. Si tous les Arabes ne sont pas des musulmans, si tous les Européens ne sont pas des chrétiens, tous les Juifs ne sont pas des juifs… Alors, comment se foutre de la gueule des extrémistes religieux juifs sans créer de confusion avec l’ensemble du peuple juif ? En les désignant précisément. Ce n’est pas très compliqué. Pas plus compliqué que de distinguer djihadiste et musulman, musulman et immigré, musulman et Arabe, Arabe et Maghrébin, etc.
Pourtant, le grand projet des pourfendeurs de l’islamophobie, c’est de placer sur le même plan l’antisémitisme et la critique à l’encontre de personnes se réclamant de l’islam. Se moquer d’un terroriste islamiste serait la même chose qu’affirmer que les Juifs seraient des êtres inférieurs ou nuisibles. Les réseaux sociaux sont infestés de ce genre de commentaires qui insinuent que ce que les caricaturistes se permettent avec les musulmans (encore une fois, ce n’est pas parce qu’on représente un musulman avec une kalachnikov que tous les musulmans en portent une), ils ne se le permettent pas avec les Juifs. Eh bien, non. Pas s’il s’agit du peuple juif. Pas plus qu’on ne ridiculise le peuple arabe parce qu’il est arabe, on ne ridiculise le peuple juif parce qu’il est juif.
En revanche, oui, nous mettons sur le même plan les religieux juifs extrémistes qui, par exemple, chassent les Palestiniens de Cisjordanie à coups de bulldozers et de fusils-mitrailleurs que les djihadistes qui chassent les infidèles en Irak ou en Syrie. Nous ne représentons pas un Arabe en costume de musulman si nous voulons représenter un Arabe et nous ne représentons pas un Juif en costume de rabbin si nous voulons représenter un Juif. Il n’y a pas de correspondance entre le racisme ou l’antisémitisme et la critique d’extrémistes religieux. Mais rien n’y fait, les inventeurs de l’islamophobie veulent absolument que l’islamophobie soit considérée comme un racisme antimusulmans équivalent à l’antisémitisme, ce racisme antijuifs.
Et il n’y a pas que des imbéciles qui prêchent pour cette reconnaissance. L’excellent journaliste Alain Gresh publiait dans Le Monde diplomatique du 20 septembre 2012 un long texte où « l’irresponsabilité » de Charlie Hebdo était fustigée. Selon lui, Charlie Hebdo, journal antiraciste et de gauche, ferait le jeu de la droite et de l’extrême droite. En voici un extrait : « Imaginons, en 1931 en Allemagne, en pleine montée de l’antisémitisme, un hebdomadaire de gauche faisant un numéro spécial sur le judaïsme (la religion) et expliquant à longueur de colonnes, sans aucune connotation antisémite, que le judaïsme était rétrograde, que la Bible était un texte d’apologie de la violence, du génocide, de la lapidation, que les juifs religieux portaient de drôles de tenues, des signes religieux visibles, etc. Évidemment, on n’aurait pas pu dissocier cette publication du contexte politique allemand et de la montée du nazisme […]. Nous vivons en Europe la montée de forces nationalistes, de partis, dont l’axe de bataille n’est plus, comme dans les années 1930, l’antisémitisme, mais bien l’islamophobie. » Charlie Hebdo aurait en effet pu dire tout ça du judaïsme (la religion) à cela près que nous l’aurions dit des extrémistes religieux juifs et non de l’ensemble des juifs croyants. Mais, en 1931, existait-il un terrorisme international qui se réclamait du judaïsme orthodoxe ? Des djihadistes juifs menaçaient-ils d’instaurer l’équivalent de la charia en Libye, en Tunisie, en Syrie, en Irak ? Un rabbin Ben Laden avait-il envoyé un biplan s’écraser contre l’Empire State Building ? Je ne suis pas historien, mais je ne pense pas… En 1931, l’intégrisme juif n’était pas ce qu’est au XXIesiècle l’intégrisme musulman. Et, non, l’islamophobie n’est pas le nouvel antisémitisme. Il n’y a pas de nouvel antisémitisme, il y a ce vieux, hideux et immortel racisme. Un racisme dont sont victimes des populations d’origine musulmane, oui. Aujourd’hui, en France, le racisme le plus violent s’exerce à l’encontre des populations roms. Doit-on dire qu’il y a une « romophobie » ? Ridicule. Il y a un racisme à l’encontre des Roms.
Pourquoi vouloir absolument jumeler antisémitisme avec islamophobie ? La seule conséquence d’une telle association serait la disparition du mot « racisme ».
Bien avant la publication du texte d’Alain Gresh, le 16 mars 2007, Plantu, notre confrère dessinateur duMonde, très engagé dans la lutte contre la censure, était invité à un débat organisé à Genève par l’ONU. Il y a réclamé « une trêve des blasphèmes », rapportait alors l’AFP. Une telle trêve, selon Plantu, devrait être également observée par « les dessinateurs moyen-orientaux qui dessinent des Juifs ou des Israéliens avec des nez crochus ». À la lecture de ce genre de déclaration, on se prend la tête à deux mains et on se demande s’il ne faut pas changer de métier… Pour Plantu, la critique de la religion serait donc à mettre sur le même plan que le racisme. Plantu renvoie dos à dos les caricaturistes qui mettent en scène Mahomet et les dessinateurs qui ont participé au concours de dessins sur la Shoah organisé à l’époque par l’Iran… Puisque, selon Plantu, les dessinateurs moyen- orientaux confondent antisémitisme et blasphème, emboîtons-leur le pas, prétendons que la Shoah est une religion et que c’est pour cette raison qu’on ne peut pas remettre en cause son existence ! Et, pendant qu’on y est, disons qu’il y a autant de preuves de l’existence de Dieu qu’il y en a de l’existence de la Shoah. Le bruit qu’on entend ? Les négationnistes qui se frottent les mains.
Il n’y a pas de blasphème antirépublicain !
Hélas, les propagandistes religieux qui essaient d’imposer un délit de blasphème en France ne sont pas seuls. L’État donne parfois le mauvais exemple. Même si le mot « blasphème » n’apparaît pas dans les textes, ni « francophobie » ou « républicanophobie », il existe des lois qui instaurent et punissent le blasphème antirépublicain ou antifrançais.
C’est pour protester contre le décret du 21 juillet 2010 qui réprime l’outrage au drapeau français, et contre la loi du 18 mars 2003 qui réprime le fait d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore, que Charlie Hebdo a appelé en janvier 2011 tous les citoyens à résister à la censure. Il s’agissait de tourner en ridicule, de détruire ou de souiller le symbole de la République. Il ne s’agissait pas d’inviter à détruire un bien matériel appartenant à autrui, mais de montrer qu’une République laïque ne peut décider pour ses citoyens quel symbole est sacré ou non.
Souvenez-vous. Le 6 mars 2010, la Fnac de Nice donne le résultat d’un concours de photo amateur. Pour illustrer le thème « politiquement incorrect », un concurrent a réalisé un cliché montrant un homme en train de s’essuyer le cul avec le drapeau tricolore. Cette image, primée par le jury, a été publiée le 19 mars dans le journal gratuit Metro. Protestations de la part du préfet, du président UMP du conseil général et d’anciens combattants. Michèle Alliot-Marie,garde des Sceaux, et Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, s’indignent à leur tour.
Le 25 mai 2010, Louis Nègre, sénateur UMP des Alpes-Maritimes, révèle qu’il a déposé une proposition de loi qui vise à sanctionner les outrages aux emblèmes nationaux.
Le 1er juillet 2010, on apprend par la presse que deux salariés de la Fnac font l’objet d’une procédure de licenciement pour faute grave. Selon la direction de l’entreprise, ils sont responsables d’avoir « validé » le scandaleux résultat du concours photographique.
Le 23 juillet 2010, le décret réprimant l’outrage au drapeau est publié au Journal officiel.
« De l’outrage au drapeau tricolore
« Art. R. 645-15. Hors les cas prévus par l’article 433-5-1, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait, lorsqu’il est commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore :
« 1° De détruire celui-ci, le détériorer ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;
« 2° Pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à leur commission.
« La récidive des contraventions prévues au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15. »
Le 27 septembre 2010, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) annonce avoir déposé devant le Conseil d’État un recours contre ce décret. La LDH considère que ce décret est « en violation de la Constitution et du principe de liberté d’expression ». La LDH n’a, semble-t-il, reçu aucune réponse.
Pour la première fois, le 22 décembre 2010, un homme est condamné en vertu du décret réprimant l’outrage au drapeau français. Une première fois qui ne coûte pas trop cher : M. Saïdi écope de 750 euros d’amende avec sursis pour avoir brisé la hampe d’un drapeau tricolore dans une préfecture. La veille, M. Saïdi, un Algérien venu renouveler son titre de séjour à la préfecture de Nice, a pété les plombs lorsqu’on lui a demandé une fois de plus de repasser. Il s’est emparé du drapeau qui était dans le hall du bâtiment, l’a cassé en deux et l’a jeté sur le fonctionnaire sans l’atteindre. Deux policiers l’ont maîtrisé, paraît-il difficilement.
La préfecture des Alpes-Maritimes a logiquement déposé plainte pour « dégradation de biens publics et détérioration d’un symbole de la République française ». Et, comme elle en a maintenant la possibilité, pour « outrage au drapeau tricolore ». Les fonctionnaires ont aussi porté plainte. Et M. Saïdi, en prime de sa condamnation pour outrage, a écopé de quatre mois de prison avec sursis pour rébellion.
Ce décret sur l’outrage au drapeau national était-il nécessaire pour condamner l’excité ? Évidemment, non. La dégradation de biens publics et la rébellion suffisaient. Mais vu le climat dans lequel nous a sciemment plongés le gouvernement de l’époque en lançant le débat sur l’identité nationale, faire condamner un étranger, algérien qui plus est, pour outrage, c’était trop bon. La préfecture, relais de la politique discriminatoire de l’État sarkozyste, se devait d’expérimenter cette nouvelle arme, qui sera tôt ou tard employée aussi contre les mauvais Français.
Tiens, que le FN se soit emparé des couleurs nationales pour en faire son logo, personne ne trouve ça outrageant. Amis blasphémateurs, faites vite, si vous voulez rire un peu ! Dans cette France rabougrie, peureuse, congestionnée, méchante, aigrie, pisser sur la flamme du Front national sera bientôt un outrage au drapeau qui vous coûtera 1 500 euros.
Charlie Hebdo n’a pas été poursuivi en vertu de la loi qui réprime l’outrage au drapeau. Cette loi n’a,semble-t-il, plus été appliquée depuis l’affaire Saïdi, mais elle existe toujours et les fachos s’en serviront un jour, puisque aucune loi ne les empêche de se présenter aux élections et d’être élus… En effet, prendre le risque de laisser les clés de l’Élysée dans les mains potelées de l’extrême droite, ce n’est pas manquer de respect à la République…
Un autre exemple tout aussi absurde peut illustrer la tentative d’instauration en France d’un blasphème républicain calqué sur le blasphème religieux.
Le 17 septembre 2010, quatre islamistes vêtus de noir haranguent la foule dans le centre de Limoges. L’un des hommes est équipé d’un mégaphone, tandis que deux de ses amis tiennent un drapeau noir sur lequel est inscrite en blanc et en arabe la profession de foi musulmane. L’homme barbu à calotte blanche qui parle brandit un Code pénal français et dénonce le contenu de « ces trois mille pages » censées protéger les individus. En effet, dans ces trois mille pages, « pas une ligne qui protège le droit des musulmans ». « En France, être islamophobe est un droit », conclut-il, indigné, en jetant le Code pénal au sol. « Ce livre ne nous défend pas, donc, ce livre, nous ne le respectons pas. C’est ce livre qui doit être brûlé, pas un autre ! Tant qu’il n’a pas été modifié. » Et, plutôt que le brûler, il shoote dedans. La scène, qui a été filmée, traîne certainement encore sur YouTube.
Qu’est-il arrivé à l’excité ? Il s’appelle Mohamed Achamlane, il est le leader d’un groupuscule islamiste baptisé Forsane Alizza (« les Cavaliers de la fierté »), dissous en février 2012. Il a commis des actes bien plus graves que de jeter un livre au sol et a été condamné. Mais pour ce manque de respect au Code pénal ainsi que pour l’envahissement d’un restaurant McDonald’s (le 12 juin 2010) et l’appel au boycott de la marque, qu’il accuse de soutenir Israël, il a été jugé le 9 juin 2011 pour « provocation publique à la discrimination nationale, raciale ou religieuse ». Il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis et à 2 000 euros d’amende. Certes, sa condamnation n’est pas uniquement due au fait qu’il a jeté un Code pénal au sol, mais il a été condamné également pour cela, sans que l’on puisse dire précisément quelle peine vaut le blasphème à l’encontre du Code pénal.
Comment peut-on sérieusement condamner quelqu’un pour avoir shooté dans un livre, quel qu’il soit ? Que ce soit le Coran, la Bible, la Torah, le Code pénal, le Code Rousseau, les Pages jaunes ou bien le deuxième tome des aventures de Valérie Trierweiler, il ne s’agit que de quelques feuilles de papier noircies d’encre. Il est particulièrement crétin de brûler un livre, mais il n’est pas très sain de sacraliser des symboles, qu’ils soient républicains, religieux ou autres.
En octobre 2010, un homme demeurant à Bischheim, dans le Bas-Rhin, s’est filmé en train de faire un avion avec des pages du Coran, puis de le lancer sur des verres censés représenter les tours du World Trade Center. Il a finalement brûlé ce qui restait du Coran avant d’uriner dessus pour éteindre les flammes. La scène a été diffusée sur le Net par l’auteur. Lui aussi a fait l’objet de poursuites pour provocation publique à la discrimination nationale, raciale ou religieuse. L’homme a été relaxé, le tribunal considérant que la vidéo n’excédait « pas les limites de la liberté d’expression » et que son auteur avait stigmatisé des « actes terroristes auxquels la communauté musulmane ne peut être assimilée ». Ouf.
Si la justice parvient à distinguer les musulmans des terroristes qui se réclament de l’islam, pourquoi la plupart des anti-islamophobes n’y arrivent-ils pas ? De la même façon, ce serait bien que la justice comprenne que, lorsque le drapeau français est brûlé ou souillé, ce n’est pas toute la France qui est visée… Et quand bien même elle le serait, pitié, halte à la chasse aux blasphèmes !
Et l’athéophobie, dans tout ça ?
Si l’athéophobie désigne la critique violente de l’athéisme, amis culs-bénits, soyez athéophobes en toute sérénité ! Ne réservez pas vos insultes à l’égard de la Raison à l’intimité de vos tombeaux de la pensée que vous appelez temples, églises, synagogues ou mosquées ! Faites des journaux, des blogs, des spectacles, des marionnettes, pour vous moquer de cette absurdité que représente pour vous la vie sans Dieu, la vie sans votre Doudou suprême ! Caricaturez l’absence de Dieu, faites-luiun gros nez, un petit nez, des yeux de fou, des cheveux hirsutes, aucun athée ne vous poursuivra jamais en justice, vous ne recevrez pas de menaces de mort, et vos locaux ne seront pas détruits…
Il se trouve qu’il n’y a pas de terrorisme athée au XXIe siècle. Les athées sont persécutés à peu près partout dans le monde, mais aucun ne détruit les œuvres d’art créées par des croyants pour rendre hommage à leur dieu. Mieux, ces abrutis d’athées sont bien souvent les premiers à demander qu’on protège les sites religieux menacés par de pieux barbares pour qui la beauté est un blasphème contre leur Créateur. Un Créateur aveugle et sourd, méchant comme la gale et con comme un manche.
Allez-y ! Osez ! Osez simplement rire de ceux que vous considérez comme vos ennemis, osez rire sans retenue (si toutefois cela n’est pas pécher) des hérétiques, des mécréants, des apostats, personne ne vous tuera au nom de ce qui n’existe pas ! Aucun athée ne revendiquera l’existence d’un racisme anti-athée. Ils ne sont pas cool, les athées ?
Ce n’est que s’ils sont victimes d’une discrimination en raison de leur absence de foi qu’ils se réveilleront, les athées, et qu’ils iront en justice. Refuser un travail à un athée parce qu’il est athée ou refuser un travail à un musulman parce qu’il est musulman relève de la même loi, du même droit, du même tribunal. Aucune discrimination n’est plus ou moins grave que d’autres.
SOMMAIRE
Le racisme ringardisé par l’islamophobie
La foi, c’est se soumettre
Croire, c’est d’abord avoir peur
Avoir peur est un droit
Tous les courants de pensée sont soumis à la critique Dieu est assez grand pour se défendre tout seul
Condescendance des élites et infantilisation Les journalistes au service de l’islamophobie
Les caricatures de Mahomet
La politique au service de l’islamophobie
Cette élite qui infantilise les musulmans au nom de la lutte contre l’islamophobie
Les héros de la lutte contre la prétendue islamophobie de Charlie Hebdo Les poursuites judiciaires clownesques
Les associations qui se trompent de cible d’indignation
Tête d’affiche
L’effet papillon de la liberté d’expression
Du respect érigé en principe premier
Prudence et lâcheté au service de l’islamophobie
Vers la déclinaison d’un concept porteur
Les catholiques, jaloux
Et la judéophobie ?
Il n’y a pas de blasphème antirépublicain !
Et l’athéophobie, dans tout ça ?